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TENDANCE → Les infirmiers salariés connaissent depuis quelques mois des difficultés d’accès à l’emploi, en particulier dans les grandes villes. Si ce phénomène nouveau persiste, il pourrait conduire à une nouvelle vague d’installation en libéral.
Le phénomène est impossible à chiffrer, mais bien perceptible au niveau local. Ce sont les conseils départementaux de l’Ordre infirmier qui en sont les premiers témoins : « Nous n’avons pas de statistiques mais, très régulièrement, des infirmiers salariés qui ne trouvent plus d’emploi s’adressent à nous pour faire des remplacements en libéral », explique le conseil du Rhône. En effet, « les ARS et les CPAM demandent une preuve d’affiliation à l’Ordre avant de délivrer une autorisation d’exercer en libéral », rappelle le conseil de la Gironde, qui voit lui aussi affluer ces infirmiers décontenancés par un marché de l’emploi salarié saturé. « C’est un phénomène naissant, qui date de quelques mois seulement », précise-t-il. Les instances nationales n’ont pas encore de remontées : l’Ordre national n’a rien noté, comme les syndicats Sniil ou FNI. Interrogé, son président Philippe Tisserand fait cependant un lien avec des demandes d’information sur l’installation au libéral « plus nombreuses, venant d’infirmiers qui n’ont pas mûri leur projet professionnel », peut-être d’infirmiers au chômage qui cherchent précipitamment à effectuer des remplacements.
Une nouvelle vague d’installation en libéral se profilerait donc si se confirmaient les récentes difficultés d’accès à l’emploi salarié. Une page Facebook intituléeInfirmier(e)s au chômage ?, a été créée en octobre pour pallier un « manque d’informations sur ce phénomène déroutant ». Y témoignent des infirmiers décontenancés qui se contentent, au mieux, de courtes missions d’interim ou de CDD à temps partiel. Les grands hôpitaux ont été les premiers à constater, surpris, ce retournement de conjoncture. « Il y a un an, on craignait le pire pour l’emploi infirmier, explique Luc Durand, coordonnateur général des soins du CHU de Bordeaux. Aujourd’hui, nous avons plus de 700 dossiers en attente. » Même en Île-de-France, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, habituée à la pénurie, connaît le plein emploi depuis septembre, et a même recruté 270 infirmiers supplémentaires par rapport aux prévisions budgétaires.
Christophe Bougeard, directeur général de l’Appel médical, principale agence d’interim et de recrutement des professions de santé en France, confirme une « conjoncture difficile, inédite depuis douze à quinze ans ». La situation s’est selon lui retournée dans le courant du second semestre 2012. La Fnesi, alertée dès le mois de juillet, a réalisé son enquête auprès des agences d’interim. Elle constate « de grandes disparités géographiques : certaines régions comme la Bretagne, l’Aquitaine, le Nord-Pas-de-Calais, l’Alsace et la Normandie n’emploient plus, alors que des offres d’emplois existent en Île-de-France ou en région Centre ».
Trois facteurs d’explication sont avancés. Le premier est la réforme de 2009 des études infirmières, raccourcies à 6 semestres au lieu de 38 mois. Les sorties d’écoles ont donc été plus nombreuses en 2012 : en Aquitaine, par exemple, le nombre de diplômés a été supérieur de + 9,5 % en 2012 par rapport à 2011. Pour Christophe Bougeard, c’est le « principal facteur explicatif. Cette sur-offre est très ponctuelle et limitée dans le temps ». L’agence constate déjà « des premiers indices d’amélioration » et prévoit « un retour à l’équilibre dans le courant du 1er semestre 2013 ». La Fnesi s’interroge aussi sur le numerus clausus infirmier : « Des régions qui ont des difficultés à recruter obtiennent une augmentation de leurs quotas, sans que soit prise en compte la situation de l’emploi dans les régions alentours. Pourtant, les infirmiers se déplacent », estime Ève Guillaume. Dernière explication avancée par la Fédération étudiante : l’emploi infirmier est une variable d’ajustement pour des établissements en difficulté économique. La Fédération hospitalière de France, qui a interrogé les DRH de ses établissements, admet que les difficultés d’accès à l’emploi infirmier « recoupent des situations de restriction budgétaire ». Au-delà du problème, ponctuel ou non, d’accès à l’emploi salarié, il y a une « vraie fuite de l’hôpital, rappelle Phillipe Tisserand, en raison des conditions de travail et des salaires très faibles. Et ce phénomène, lui, n’est pas nouveau ».