L'infirmière Libérale Magazine n° 289 du 01/02/2013

 

Dr Éric Bismuth, médecin algologue à Lyon

La vie des autres

L’algologue traite les douleurs, qu’elles soient aiguës ou surtout chroniques, mais il ne soigne pas seul. Sa spécialité lui impose en effet un véritable partenariat, avec des neurologues, des rhumatologues, des psychiatres, des infirmières… Et s’ouvre forcément sur la ville.

Le médecin spécialiste de la douleur a un nom : l’algologue. Tout spécialiste qu’il est, l’algologue ne promet pas, en une prescription miracle, de faire disparaître ces maux de dos ou ces migraines qui vous gâchent l’existence depuis de longues années. « L’objectif de départ, c’est de faire diminuer ces douleurs », insiste le Dr Bismuth, médecin algologue à Lyon. Pour Éric Bismuth, l’alliance thérapeutique entre le médecin et le patient demeure seule gage d’amélioration. Elle repose sur la confiance… qui peut vite être trahie par des promesses que même l’algologie ne sait pas tenir. « Le plus important consiste à garder un lien avec le patient perdu dans un labyrinthe dont il ne sait plus comment sortir. » La douleur chronique est le fruit d’une histoire médicale et personnelle complexe dont la prise en charge se révèle tout autant compliqué.

Un équilibre précieux

En France, les premières consultations anti-douleur ont ouvert dans les années 1980. L’algologie, elle, « est née avec un médecin anesthésiste américain, John Bonica, qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est retrouvé face à des patients, amputés, mutilés, qui souffraient de douleurs que personne ne pouvait prendre en charge, raconte le Dr Bismuth. C’est lui qui a eu l’idée de la notion de pluridisciplinarité. » Quand un algologue reçoit un patient en consultation, il l’aborde en fait « dans toutes ses dimensions », explicite le Dr Bismuth. Il procède à une triple évaluation : somatique, psychologique et sociale. « Toute la prise en charge de la douleur doit reposer sur ce trépied, poursuit Éric Bismuth. Sinon, elle est bancale. » Les patients éprouvent eux-mêmes souvent des réticences à concevoir la part du psychologique dans leurs maux physiques bien réels. Charge à l’algologue de « développer une lucidité accrue du patient », écrit le “maître à penser” du Dr Bismuth, le Dr Patrick Giniès, dans Créer, organiser et développer une structure anti-douleur*. Le but : faire du patient un « partenaire qui ne sera plus un client revendicateur mais une aide incontournable pour qu’il trouve lui-même les voies de sa guérison », enchaîne Patrick Giniès. Le Dr Bismuth a été formé dans le centre anti-douleur dirigé par le Dr Giniès à Montpellier en 2001, année où il a passé sa capacité d’évaluation et de traitement de la douleur.

Travail d’équipe

Le médecin algologue ne travaille donc pas tout seul dans son coin. Au contraire, il a besoin des autres professionnels de santé : les spécialistes d’organes, les psychiatres, les psychologues, les aides-soignantes, les infirmières… La guérison ne s’obtient pas uniquement par les médicaments ou la chirurgie ; elle passe également par certaines techniques de relaxation, la psychothérapie, les thérapies cognitives et comportementales ou encore l’hypnose. Le médecin algologue travaille parfois dans un cabinet libéral, mais c’est rare. On le trouve plutôt à l’hôpital ou dans une clinique. Il exerce dans le cadre soit d’une consultation anti-douleur, soit d’une unité de consultations anti-douleur, soit d’un centre anti-douleur. Il traite les douleurs aiguës, mais surtout les douleurs chroniques : « La douleur se transforme en maladie douloureuse chronique à partir du moment où elle est présente depuis trois à six mois », explique le Dr Bismuth.

Douleurs et maladies mentales

Le Dr Bismuth, urgentiste pendant quinze ans à Aubagne puis médecin à l’Hôpital privé d’Istres, est, quant à lui, l’algologue référent dans le seul centre anti-douleur de France pour patients atteints de maladies mentales : schizophrénie, dépression, névrose post-traumatique… Le centre anti-douleur est installé au sein de Saint-Jean-de-Dieu, à Lyon, un établissement privé à but non lucratif qui assure les missions de service public de psychiatrie de secteur. Pourtant, 90% des patients du Dr Bismuth viennent d’ailleurs : ils sont adressés par les centres médico-psychologiques ou encore les centres anti-douleur traditionnels.

Lors de sa première consultation d’environ une heure, le patient est reçu par le binôme algologue-psychologue ou algologue-psychiatre. Tout au long de sa prise en charge, il reçoit des soins prodigués par les infirmiers douleur, le psychomotricien, l’ostéopathe. Des consultations sont organisées avec les spécialistes d’organes partenaires du centre. En somme, un vrai travail d’équipe, très loin de l’image du médecin prestidigitateur qui arriverait à lui seul, d’un coup de baguette magique, à vous faire oublier vos douleurs.

* À télécharger sur www.cnrd.fr, le site du Centre national de ressources de lutte contre la douleur.

Il dit de vous !

« Ce qui semble se dessiner avec le prochain plan douleur présenté dernièrement par la ministre de la Santé Marisol Touraine, ce sont des prises en charge de la douleur à domicile. C’est l’avenir. Les infirmiers libéraux représentent de véritables relais soignants pour des patients éloignés des centres anti-douleur et de tout secteur d’hospitalisation. Le patient pourra ainsi éviter des déplacements loin de chez lui pour certaines prises en charge douloureuses. Il gagnera en confort à rester à domicile plutôt qu’à attendre dans un établissement. De même, la douleur ne pourra plus servir de prétexte pour garder ces patients plus longtemps en hospitalisation. Les infirmières et infirmiers sont formés à la prise en charge de la douleur chronique et aiguë et constituent l’un des vecteurs dans l’éducation thérapeutique du patient douloureux. En cela, l’infirmière demeure aujourd’hui le chaînon le plus important dans la prise en charge de la douleur ! »

PROFESSION

Diplômes et formations

Plusieurs formations universitaires existent en algologie : les Diplômes universitaires (DU) dont certains ont été transformés en Diplômes inter-universitaires (DIU), la capacité d’évaluation et de traitement de la douleur et le Diplôme d’études spécialisées complémentaires (Desc). DU et DIU sont accessibles à de nombreux professionnels, dont les infirmiers. La capacité est seulement délivrée aux médecins, pharmaciens et chirurgiens dentistes. Le Desc est ouvert aux médecins et chirurgiens. Pour se former en dehors de l’université, la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et le ministère de la Santé ont réédité en 2008 un mémento destiné à l’ensemble de la communauté des soignants, où l’on trouve les principales questions posées par les patients face à la douleur. À retrouver sur www.cnrd.fr et www.sfetd-douleur.org.