L'infirmière Libérale Magazine n° 289 du 01/02/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Par leur rôle propre de participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé, les infirmières ont une place dans la prise en charge de l’obésité. À condition de changer leur regard sur la maladie, de sortir des schémas coercitifs et de replacer le patient au centre de la décision.

Madame R., 55 ans, obèse, vient au cabinet pour un vaccin antigrippal. Elle s’excuse de son retard, car son arthrose aux genoux la gêne pour marcher. Elle refuse d’en parler au médecin qui l’a déjà sermonnée : « Maigrissez d’abord, on verra ensuite ! ». C’est vrai que, depuis le décès de son mari, elle a encore pris 10 kilos, mais manger est le seul plaisir qui lui reste… Demandez à madame R. Si elle fait le lien entre ses douleurs et ses problèmes de poids. Expliquez-lui qu’il n’est pas nécessaire de perdre beaucoup de poids pour améliorer le confort articulaire, que perdre du poids ne veut pas dire arrêter de manger mais changer certaines habitudes. Vous lui conseillez de prendre contact avec le secrétariat d’un réseau médical régional qui prend en charge les problèmes de surpoids et propose notamment des consultations avec un psychologue : ce deuil difficile n’est peut-être pas étranger à ses problèmes de poids.

CHANGER SON REGARD

Consciemment ou non, les soignants empruntent les schémas de raisonnement sociétaux qui tiennent les obèses pour seuls responsables de leurs échecs (« mais voyons, ils n’ont qu’à faire un effort… »). Stigmatisante, cette attitude est surtout contre-productive pour les obèses qui finissent par fuir toute prise en charge médicale. Changer son approche passe par plusieurs points.

Considérer les multiples facettes de l’obésité

Éviter en particulier les raccourcis qui cantonnent l’obésité à un problème nutritionnel : « Ils n’ont qu’à moins manger… »

Limiter les messages coercitifs

Il est important de tenir des propos positifs et pas coercitifs comme « il faut maigrir, il ne faut plus manger ceci… ».

Chasser les discriminations

→ Éviter les jugements blessants comme « là, il va falloir faire quelque chose ! », « vous êtes en obésité morbide, vous devez absolument maigrir ». Le message peut passer avec plus de tact : « Votre poids actuel montre que vous êtes dans la zone obésité. »

→ Contrôler les attitudes non verbales : soupir, grimace, agacement quand le poids rend difficile un acte placent le patient en position de problème et non plus d’individu.

→ Mettre à disposition un matériel adapté : une chaise de taille appropriée au cabinet, un brassard de tensiomètre et un mètre ruban de grande taille, une toise et un pèse-personne gradué idéalement jusqu’à 200 kilos.

La lutte contre les discriminations est un axe prioritaire du plan obésité 2010-2013 (lire Savoir plus p. 48).

OUVRIR LE DIALOGUE

Il est tout à fait dans le rôle de l’Idel d’ouvrir le dialogue sur ce sujet d’éducation à la santé. La difficulté principale est de respecter le désir du patient, sans devenir intrusif.

À quelle occasion ?

Peu d’obèses parlent spontanément de leur maladie. Pour les patients habituels ou en soins récurrents, certaines occasions sont une porte d’entrée : soins qui concernent une pathologie liée comme le diabète, situations à risque de prise de poids comme l’arrêt du tabac, un deuil, des traitements médicamenteux…

Comment ?

→ Aborder le problème sous un angle détourné, en partant par exemple d’une pathologie liée au poids avec des questions ouvertes : « Que savez-vous de votre problème de santé ? », « Qu’est-ce qui peut l’aggraver ? »

→ Explorer ses propres représentations de la maladie : « Pensez-vous que cela puisse être lié au poids ? »

→ Replacer le patient au centre du dispositif en le laissant libre de ses choix, respecter son choix de se taire mais laisser une porte ouverte pour une autre fois : « Si vous voulez en parler un autre jour, n’hésitez pas. »

→ Utiliser des outils de mesure (IMC, tour de taille) comme outils de dialogue (lire l’encadré ci-dessous) : moins culpabilisants que le poids, ils permettent au patient de prendre conscience de son état de santé et de se motiver avant ou pendant une prise en charge. Leur utilisation ne doit cependant pas se cantonner pas à un chiffre “verdict”, mais amorcer un dialogue sur les difficultés, le mode de vie…

ÉVALUER LA MOTIVATION

Indispensable pour mettre en place un travail sur le long terme, la motivation du patient (et d’un membre de la famille) est souvent le fruit d’un long cheminement personnel et d’échecs répétitifs. En déterminer l’avancement peut être un objectif de l’Idel.

Deux questions simples

Sans être formé forcément à l’entretien motivationnel, on peut poser deux questions simples.

→ Quelle est votre motivation à changer sur une échelle de 1 à 10 ?

→ À combien évaluez-vous votre confiance en vous pour changer sur une échelle de 1 à 10 ?

Les phases de motivation

Les réponses et observations du patient permettent de définir globalement dans quelle phase de motivation il se trouve. On peut par exemple se baser sur les phases de changement d’après Prochaska et DiClemente.

→ Phase de précontemplation : la personne ne voit pas son comportement/poids comme problématique et n’envisage pas le moindre changement. Aucune action de sa part ne peut donc être attendue dans les prochains mois.

→ Phase de contemplation : la personne reconnaît le problème mais reste très ambivalente par rapport au changement avec une forte dualité avantages/contraintes : un changement peut être envisagé dans les mois à venir.

→ Phase décisionnelle : la personne décide d’établir un plan d’action, elle se prépare au changement dans le mois à venir.

La conduite à tenir

→ Lors des phases 1 et 2 : ne pas insister, fournir des informations sur une prise en charge médicale en insistant sur une meilleure qualité de vie et les bénéfices santé.

→ Lors de la phase 3 : inciter le patient à un suivi médical individuel.

Orienter vers une structure adaptée

Orienter le patient volontaire vers les professionnels adéquats :

→ le médecin généraliste, en premier recours, qui jugera de la nécessité de l’intervention d’autres professionnels?;

→ un réseau, généralement régionalisé, constitué dans le but de fédérer les professionnels médicaux, paramédicaux, médico-sportifs de ville ou des établissements de soin et les associations de patients autour d’un médecin coordinateur. Le but est d’harmoniser les moyens et les pratiques : protocoles communs, ateliers éducatifs, thérapies comportementales, cycles d’éducations thérapeutiques… Certains réseaux autour du diabète traitent également de la problématique “obésité”, d’autres sont spécifiques : OSEAN (Obésité sévère de l’enfant et de l’adulte en Nord-Pas-de-Calais, www.reseau.osean.com) ou ROMDES (Réseau d’obésité multidisciplinaire d’Essonne et Seine-et-Marne, www.romdes.org) ;

→ une unité d’accueil spécialisé : il existe au moins une structure d’accueil régionale en CHR ou CHU, généralement rattachée aux services d’endocrino-métabolisme, de diabétologie et nutrition ou de médecine interne. Les centres médicochirurgicaux interrégionaux sont des centres de référence dont l’approche thérapeutique s’appuie sur des réunions de concertation pluridisciplinaires. Ils prennent en charge plus particulièrement, en hospitalisation classique ou de jour, les situations complexes : obésité sévère, non-observance, trouble du comportement alimentaire…

Le bon réflexe est de constituer, avec l’aide de l’Agence régionale de santé (ARS) : un annuaire des acteurs de proximité, associations, réseaux et centres hospitaliers à remettre au patient.

IMC et tour de taille comme outils de dialogue

• L’IMC

Un disque fourni aux professionnels par l’INPES et validé par l’OMS permet de calculer rapidement l’IMC.

→ En pratique : mesurer et peser le patient sans chaussures et lire le résultat.

→ À savoir : ce disque ne peut être utilisé chez la femme enceinte, les personnes de plus de 75 ans (normes différentes) ni chez les enfants (un disque spécifique existe). Une déshydratation fait diminuer l’IMC et des œdèmes, une ascite ou une forte musculature l’augmentent.

→ Le kit adulte (disque et livret d’accompagnement) peut être commandé sur www.inpes.sante.fr.

• Le tour de taille

→ Il se mesure à l’aide d’un mètre ruban, debout, les pieds joints, sans vêtements, à la fin d’une expiration non forcée, avec les bras relâchés le long du corps paumes vers l’intérieur.

→ En pratique : trouver un point situé à mi-distance entre la partie inférieure de la dernière côte et la crête iliaque où placer une extrémité du ruban et enrouler le mètre à l’horizontale, le long de la ligne axillaire. Lire la mesure au dixième de centimètre.

Point de vue…

« L’intrusion des professionnels vécue comme une coercition »

Dr Éric Drahi, médecin généraliste à Saint-Jean-de-Braye (45), spécialisé en éducation thérapeutique du patient, intègre les techniques motivationnelles dans son approche thérapeutique

« L’approche coercitive est souvent la seule que les obèses connaissent. L’enjeux des techniques motivationnelles est d’amener le patient à construire lui-même ses objectifs et son plan de changement et à considérer les professionnels comme une aide et non un mentor. Sonder la motivation est une première étape que l’infirmière à domicile peut aborder très simplement à condition d’assurer le “service après vente” ! Soit elle y est formée et elle poursuit la démarche en collaboration avec le médecin, en réalisant par exemple des enquêtes alimentaires, soit elle oriente le patient vers un autre professionnel. »