L'infirmière Libérale Magazine n° 290 du 01/03/2013

 

Véronique Bacle, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des professionnels de santé au travail

La vie des autres

Depuis une réforme de juillet 2011 qui a modifié l’exercice de la santé au travail, les infirmiers de santé au travail sont titulaires de nouvelles missions : de quoi rendre ce métier plus attractif.

« J’ai découvert l’exercice de la santé au travail au hasard d’une mission en intérim, raconte Véronique Bacle. Car, au cours des études en Ifsi, la prévention est très peu abordée auprès des élèves et encore moins la santé au travail. » L’aspect préventif de cette fonction a énormément plu à Véronique, qui a été par la suite embauchée dans l’entreprise où elle a effectué sa mission d’intérim. Le métier d’infirmier de santé au travail (IST) est très réglementé par le Code du Travail et par le Code de la Santé publique. « Le Code du Travail précise qu’un IST doit être présent dans les entreprises industrielles à partir de 200 salariés et dans les entreprises du tertiaire à partir de 500 salariés », rapporte Véronique, qui exerce à Lille. Néanmoins, un service de santé au travail est obligatoire pour les entreprises employant au moins un salarié. Les petites entreprises doivent donc adhérer à des services inter-entreprises, car l’un des objectifs de la réforme a été de faire en sorte que les salariés des petites entreprises bénéficient du même suivi de santé que celui des grandes entreprises.

La mission des IST

Les IST ont pour mission d’assister le médecin du travail dans l’ensemble de ses activités qui sont de trois ordres. Ils doivent tout d’abord assurer le suivi de santé des salariés. Dans ce cadre, ces derniers bénéficient de visites médicales assurées par le médecin du travail. Elles ont lieu tous les ans si le salarié travaille sur un poste à risque, sinon, tous les deux ans. « Mais, depuis la réforme de juillet 2011, les visites médicales peuvent avoir lieu tous les 36 ou 48 mois, à condition qu’entre-temps, le salarié bénéficie d’entretiens infirmiers, indique Véronique. Ces entretiens sont prescrits par le médecin du travail et sont protocolisés. » Pendant ces entretiens, l’IST questionne le salarié sur le déroulement de son travail. « Nous l’interrogeons également sur sa santé et endossons un rôle d’éducation à la santé en fonction de ce qu’il nous rapporte, ajoute-t-elle. À titre d’exemple, si l’employé est soumis au bruit et qu’il ne met pas de bouchons d’oreilles, nous allons lui rappeler en quoi c’est indispensable. » Après chaque consultation, l’infirmière doit dresser une synthèse de la consultation, qu’elle remet au médecin du travail afin d’établir une traçabilité. Puis ils décident ensemble si le salarié bénéficiera d’examens complémentaires en fonction des risques auxquels il est soumis. Le médecin du travail et l’IST doivent également mener des actions en milieu de travail avec des études de postes, des mesures d’ambiance et de bruit, et participer au comité d’hygiène, sécurité, condition de travail de l’entreprise. « Nous faisons le lien entre la santé et le travail en observant les conditions de travail des salariés, explique Véronique. Dans un service inter-entreprise, les ergonomes et les techniciens interviennent notamment pour faire des études de poste. Enfin, la dernière mission du médecin et de l’IST est d’assurer les urgences au sein des entreprises. « Dans les grandes entreprises, nous allons mettre en place des protocoles d’évacuation et d’urgence, et assurer la formation des sauveteurs secouristes du travail », rapporte l’infirmière. Une partie des missions des IST consiste à dispenser des soins liés aux accidents du travail ou aux malaises. Dans les services inter-entreprises, le médecin et l’infirmier ont simplement un rôle de conseil.

Formation

Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de formation obligatoire pour devenir IST. « Quand j’ai commencé à exercer ce métier, j’ai cherché des formations mais elles n’existaient pas, précise Véronique. J’ai effectué une maîtrise de sciences sociales au travail pour mieux comprendre ce milieu. Mais nous étions plusieurs infirmières à revendiquer une formation spécifique et, finalement, un Diplôme inter-universitaire de santé au travail (DIUST) a été créé en 1995 à Lille, Rouen et Strasbourg. » Ce diplôme est devenu une licence en 2006/2007. Néanmoins, il n’est pas obligatoire. Parallèlement, la réforme de 2011 précise que, pour mener les entretiens infirmiers, les IST doivent être titulaires d’une formation. « Mais la loi n’est pas plus précise sur le volume d’heures de cette formation, regrette Véronique. Et il n’est pas précisé qu’elle doit être diplômante. » Et d’ajouter : « Nous attendons la circulaire qui précisera le volume horaire de cette formation que nous voudrions obligatoire. » Le SNPST revendique également une reconnaissance, par le ministère de la Santé, de la spécialité santé-travail au niveau master. Cette reconnaissance a également un motif salarial. Le salaire des IST varie en fonction des conventions collectives des entreprises.

Pour ceux qui travaillent en service inter-entreprises, leur salaire dépend de la grille du Centre interservices de santé et de médecine au travail en entreprise (CISME) qui démarre à 1 800 euros brut. « Mais il n’y a que deux échelons, souligne Véronique. Nous sommes donc en négociation pour revoir cette grille. » Plus généralement, les salaires varient de 1 800 à 3 000 euros brut tous secteurs confondus.

Elle dit de vous !

« Les IST peuvent être amenés à avoir des liens avec les infirmières libérales, car de nombreux travailleurs ont des pathologies chroniques. Nous pouvons donc avoir des échanges sur un traitement, sur l’adaptation de doses, comme pour le diabète, ou si un salarié est en horaires alternés. Ces échanges vont s’intensifier, car de plus en plus de personnes porteuses de pathologies chroniques sont au travail. Les libérales peuvent beaucoup apporter aux IST sur le suivi d’un patient dans sa globalité et sur la technicité des soins, car ce sont des soignants de la pathologie. Les IST peuvent informer sur le lien entre la santé et le travail, et sur leurs connaissances des risques pour la santé. L’exercice des deux professions se ressemble, car il n’a pas lieu dans le milieu du soin mais dans la vie des gens, chez eux ou à leur travail. »

PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ AU TRAVAIL

Manque de reconnaissance

« Quand les Ifsi m’invitent à venir parler de la profession d’IST auprès des élèves, je n’hésite pas, car il y a un vrai manque d’informations autour de ce métier », soutient Véronique. Les modules de santé publique ne sont pas très présents dans le cursus des étudiants en soins infirmiers, même depuis la réforme. » Selon elle, la prévention est le « parent pauvre » en France. « C’est pareil du côté des médecins du travail qui essuient une véritable pénurie de professionnels », remarque-t-elle. Plus de la moitié d’entre eux ont plus de 55 ans, peu d’internes sont formés et le métier n’est ni attractif ni valorisé: « Dès la formation, il faudrait apporter une vision plus dynamique de la profession. » Du côté des IST, avec les entretiens infirmiers créés avec la réforme, les infirmières reviennent à leur coeur de métier. « Il faut montrer que cette spécialité est en train de changer avec la réforme », considère-t-elle.