Cahier de formation
Savoir faire
Après un AVC, la qualité de vie d’un patient peut être aggravée en raison d’une aphasie, de troubles de la déglutition ou de complications de l’hémiplégie. L’infirmière libérale a un rôle à jouer, notamment dans la surveillance des nouveaux anticoagulants oraux indiqués dans la prévention des récidives d’AVC.
Monsieur P., 82 ans, est rentré chez lui après un AVC ischémique dont il a conservé une aphasie. Il comprend tout, mais son langage n’est pas cohérent. Dans les échanges avec son épouse, il est plus agité. De son côté, celle-ci est épuisée par le nouveau handicap de son mari.
Vous pouvez faire baisser l’anxiété du couple en expliquant qu’il existe des moyens adaptés pour améliorer leur communication. Il peut être intéressant de revoir un orthophoniste pour faire à nouveau le point sur les capacités de monsieur P. et l’intérêt de reprendre la rééducation.
Elles sont consécutives à une atteinte des aires cérébrales spécialisées dans les fonctions linguistiques, situées dans l’hémisphère gauche pour un droitier et dans l’hémisphère droit chez un gaucher. Ces atteintes peuvent toucher un pôle expressif (aire de Broca) ou un pôle réceptif (aire de Wernicke). Les aphasies englobent des formes très variables. La distinction habituelle repose sur la fluidité du langage : les aphasies à langage réduit (aphasies de Broca) et les aphasies avec langage fluide (aphasies de Wernicke).
C’est une aphasie motrice consécutive à des lésions dans l’aire de Broca qui a un rôle central dans l’organisation du langage articulé. Le patient conscient de son trouble manifeste souvent de l’irritation ou du découragement. La pathologie peut évoluer jusqu’au mutisme avec un risque important de développer une dépression.
Le patient ne peut formuler oralement ses idées. La compréhension orale et écrite est généralement préservée. L’aphasie de Broca est caractérisée par l’impossibilité de trouver le mot juste, l’emploi de mots impropres ou l’inversion de syllabes (“balavo” pour lavabo). Le patient parle peu, avec une parole hachée, des phrases courtes, un vocabulaire restreint et un débit ralenti. Le patient peut mêler des éléments automatiques, élocutions courantes ou formules toutes faites (formules de politesse, jurons…). L’écriture est généralement très perturbée.
L’aire de Wernicke est le siège de la compréhension des différents signes du langage où sont associées les informations provenant des aires auditive et visuelle. On distingue deux types d’aphasie de Wernicke, caractérisés soit par des mots déformés, soit par la substitution de mots de sens apparentés (paraphasie). La personne ne souffre pas de troubles articulatoires. Elle n’a pas conscience de son trouble, s’étonne qu’on ne la comprenne pas et peut montrer de l’agacement.
Le langage est abondant, voire logorrhéique. L’emploi d’un mot pour un autre est fréquent (“couteau” pour cuillère, par exemple), jusqu’à un véritable jargon avec déformation ou transposition de syllabes et de mots. Le discours est désorganisé et incompréhensible, même si le vocabulaire reste fourni. Le débit peut être normal ou rapide et presque incontrôlable. La compréhension écrite ou orale est très fortement perturbée, même si l’écriture copiée est normale. « Le patient atteint d’une aphasie de Wernicke ne comprend pas puisque l’aire de Wernicke atteinte est une aire sensitive. C’est une entrée d’informations, explique Dominique Benichou, orthophoniste en libéral et en hospitalier au CHU Laënnec, à Nantes (44). De plus, ce patient, qui n’a pas de retour critique sur ce qu’il dit, continue à parler sans s’interroger sur le sens de son discours. »
Le patient rencontre un orthophoniste dès sa prise en charge initiale à l’hôpital. Dans les quinze jours suivant l’AVC, une prise en charge orthophonique peut être prescrite pour l’évaluation et la rééducation d’une aphasie. « Quand l’aphasie est importante au départ, elle est globale, le patient ne comprend pas et ne peut pas s’exprimer. Par la suite, le trouble évolue vers une aphasie de Broca, de Wernicke ou vers d’autres variantes, avec des degrés de sévérité variable », précise Dominique Benichou, orthophoniste.
La prise en charge vise une récupération spontanée grâce à la plasticité du cerveau que l’orthophoniste cherche à stimuler. Durant cette phase qui peut durer de six à douze mois, les séances d’orthophonie sont fréquentes pour atteindre au moins six heures de rééducation par semaine.
Progressivement, la fréquence des séances est réduite jusqu’à interruption de la rééducation. Le travail personnel effectué par le patient à domicile prend alors une importance non négligeable. Cependant, il doit être coordonné et contrôlé par l’orthophoniste.
« Il y a toujours une récupération possible », affirme l’orthophoniste qui prend l’exemple d’un patient qui fait un AVC à l’âge de 80 ans et qui continue de faire des progrès sept ans plus tard. « Les progrès peuvent paraître dérisoires pour le patient ou l’entourage, mais ils sont à considérer car ils permettent d’en envisager d’autres… » La stimulation doit être maintenue. L’infirmière peut solliciter le médecin traitant pour une prescription d’orthophonie après s’être assurée de la motivation du patient.
→ Continuer à parler au patient qui, malgré les difficultés de compréhension, comprend les aspects non verbaux du langage (mimiques, gestes, etc.).
→ Établir un contact visuel et par le toucher avant chaque soin.
→ Utiliser des phrases courtes et des questions fermées (réponses par oui ou non, ou par un signe de tête).
→ Employer un ton de voix normal si le patient n’a pas de troubles auditifs.
→ Si le patient ne comprend pas, répéter d’une autre manière et laisser du temps pour la réponse.
→ Chercher des substituts à la communication orale (clignement des yeux, pression de la main).
→ Ne pas faire croire au patient qu’on l’a compris si ce n’est pas le cas.
→ En présence de stéréotypies (répétitions fréquentes et incontrôlées de paroles), ne pas faire répéter sans l’avis de l’orthophoniste au risque de fixer définitivement les répétitions.
→ Vérifier systématiquement la pose des prothèses dentaires, auditives ou le port des lunettes si le patient ne peut en faire la demande.
Les aides doivent être adaptées aux possibilités du patient. L’utilisation d’une ardoise magique ou d’un calepin est possible si la capacité d’écrire est conservée. Les images sont utilisables avec le patient qui comprend (aphasie de Broca). « C’est plus compliqué en présence d’une aphasie de Wernicke, prévient Dominique Benichou, les patients peuvent refuser ce support dont ils ne voient pas l’intérêt car ils n’ont pas conscience de leurs difficultés à s’exprimer. D’autant qu’ils sont souvent plus autonomes et capables d’aller vers les autres. » Dans tous les cas, c’est au soignant ou à l’entourage d’engager la démarche, de prendre la plaquette et de montrer les images. « Ce ne sont pas des outils de communication habituels. Il ne faut pas attendre que le patient prenne l’initiative. »
Les cahiers de communication permettent d’aller plus loin que les plaquettes imagées limitées à une communication assez basique. Il est possible d’élaborer un cahier de communication sur un carnet de format A5 ou un porte-vues. L’objectif est de transmettre des informations essentielles sur les besoins du patient en restant simple. La participation du patient et de la famille est indispensable.
Il faut pouvoir mettre des informations et en retirer, en fonction de l’évolution des capacités du patient. Le cahier est divisé en rubriques classées par thème (habillement, alimentation…). Chaque rubrique est enrichie au fur et à mesure par des images “parlantes” avec leur signification écrite dessous. Il vaut mieux éviter les pictogrammes et les symboles, sauf pour les symboles très connus comme la croix verte des pharmacies sous lequel on écrit le mot “pharmacie”.
Le cahier de communication doit être utilisable par toutes les personnes qui gravitent autour du patient (auxiliaire de vie, soignants, etc.). Pour des questions plus personnelles (photos de la famille…), Dominique Benichou conseille de créer un “cahier de vie” sur le même principe, mais réservé aux proches.
Il est nécessaire d’aider le patient aphasique à aller vers les autres malgré son handicap pour surmonter la gêne qui s’installe. Des associations peuvent être un recours. Dominique Benichou, également présidente de France AVC 44 (antenne locale de France AVC), a ainsi mis en place :
→ des groupes de parole qui permettent aux patients et à leurs proches de rencontrer d’autres personnes et d’échanger sur leur quotidien, les difficultés rencontrées et les éventuelles solutions apportées ;
→ et des ateliers mémoire-langage pour ceux qui ont besoin d’aide au niveau du langage.
« On en trouve de plus en plus dans les antennes de France AVC », souligne la dynamique orthophoniste qui incite les infirmières à informer les patients et leur famille.
D’autres associations peuvent encore être utiles pour rompre l’isolement, comme la Fédération nationale des aphasiques de France (Fnaf) ou d’autres associations sans lien avec l’aphasie.
« Le patient qui n’arrive pas à communiquer n’est pas seul avec ce handicap, car la communication concerne au moins deux interlocuteurs. L’entourage est handicapé à son tour parce qu’il ne peut entrer en relation. Les répercutions sont de deux ordres : soit le patient ne peut pas exprimer un besoin, et c’est frustrant pour la famille qui ne peut subvenir à ce besoin ; soit le patient a des difficultés de compréhension, et l’entourage parle à une personne qui ne comprend pas le message. Le conjoint valide est également en souffrance et des couples se brisent par peur de ne pas pouvoir surmonter la situation et la vivre. »