SANTÉ PUBLIQUE
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DÉCRYPTAGE → Un rapport dévoilé le 25 février esquisse le contrôle des Ehpad par l’autorité administrative habituellement en charge des prisons. De quoi, au-delà de la polémique, poser plus largement la question de la privation de liberté de nos aînés dans ces structures.
Certains rapports peuvent faire l’effet d’une bombe. Celui de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté [une autorité administrative indépendante, ndlr], sera-t-il de cet acabit ? L’annonce est pour le moins fracassante : « Je veux que nous allions voir comment cela se passe dans les 7 000 Ehpad de France », récidive Jean-Marie Delarue ces dernières semaines dans les médias. Car il avait déjà déposé en mai 2012 un avant-projet de loi auprès du Premier ministre, afin d’étendre ses compétences aux Ehpad.
En matière de privation des libertés, les résidences pour personnes âgées méritent-elles de se retrouver dans le même panier que les prisons, les commissariats et les centres de rétention ? La comparaison est osée.
Indécente même, pour les professionnels qui travaillent dans ces lieux. « Nous sommes tombés de haut », reconnaît Francis Beddok, ancien directeur d’Ehpad et aujourd’hui formateur auprès des personnels de santé du groupe Adef. « J’ai été surpris par le contexte général, admet Henri Carbuccia, président de l’Apiass
Catherine Ollivet est présidente de l’association France-Alzheimer de Seine-Saint-Denis. Très en colère, elle défend bec et ongles le travail des professionnels. « Ils se donnent un mal fou, avec souvent des moyens limités, pour que justement la vie des résidents soit une vraie vie, en tenant compte des contraintes et des handicaps de chacun. La très grande majorité des Ehpad répondent déjà aux enjeux de liberté. Et quand il y a un contrôle de la liberté des personnes, il se fait sur prescription médicale. J’insiste sur ce terme. » Effectivement, une “prescription médicale de mise en place d’une contention physique” peut être délivrée par le médecin. Comme des barrières de lit, dans le but d’optimiser la sécurité d’un résident. Aujourd’hui, 90 % des nouveaux entrants sont des personnes qui souffrent de déficits cognitifs, à des stades plus ou moins évolués. « Et si Monsieur Delarue vient faire un contrôle et qu’il tombe sur une personne qu’on empêche de sortir, que va-t-il proposer ? », reprend Francis Beddok, qui a aussi travaillé dix ans comme infirmier psy au sein de la pénitentiaire. « Je fais très bien la distinction entre la personne qu’on prive de liberté en le mettant en prison et une personne âgée qu’on prive de liberté car elle se mettrait en danger elle-même. » La vie en Ehpad s’apparente à une vie en communauté. Avec des règles, quelques notions d’horaires. Mais c’est au personnel de s’adapter au résident et pas le contraire.
« On ne comprend pas pourquoi ce rapport ne vise que les Ehpad, se demande Daniel Parent, directeur du COS
« Nous travaillons sur des démarches de bientraitance, affirme Francis Beddok, la maison de retraite est un lieu de vie. Pas un lieu de soin. Nous faisons du soin dans un lieu de vie ! » Une tendance dans plusieurs établissements : le débat autour du port de la blouse. En dehors de l’infirmerie ou des soins médicaux en chambre, la blouse pourrait ainsi être proscrite.
Pour Catherine Ollivet, le problème de l’enfermement serait toutefois plus préoccupant au sein même du domicile : nombre de malades type Alzheimer ou apparenté vivent seuls chez eux. Et, parfois, ils restent tout le temps enfermés pour leur sécurité. On peut se montrer plus maltraitant à domicile qu’en institution. « Les infirmières libérales et les auxiliaires de vie savent parfaitement ce que c’est de pénétrer dans un domicile dont la personne ne détient plus les clefs. »
Alors quid du rapport Delarue ? « Ce rapport a outré un certain nombre de corps d’inspection, admet Daniel Parent. Est-ce que monsieur Delarue aura une plus grande compétence ? Nous l’invitons à venir nous aider au sein des établissements, pour répondre à ce problème qui se pose au quotidien. Celui de gérer à la fois la sécurité et la liberté dans une vie collective. Mais il faut se rendre compte que cette stigmatisation des Ehpad désespère le personnel, les équipes soignantes et les équipes de direction. »
(1) Association professionnelle des inspecteurs de l’action sanitaire et sociale (www.apiass.org). Les inspecteurs (IASS) dépendent du ministère des Affaires sociales et de la Santé.
(2) Centre d’orientation sociale, www.cos-asso.org.
Henri Carbucci, inspecteur de l’action sanitaire et sociale et président de l’Apiass
« De nombreux outils de contrôles en Ehpad existent depuis longtemps, notamment le corps des inspecteurs de l’action sanitaire et sociale. Il y a aussi l’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales. Ces services ont procédé à 446 contrôles en 2011, qui ont porté sur des problèmes de maltraitance ou de non-bientraitance. Ces contrôles n’intègrent pas ceux qui ont pu être faits pour s’assurer de la bonne gestion de la structure ou même des enquêtes pour s’assurer que les personnels ont bien les diplômes requis. Sur ces 446 interventions, 60 % ont été faites en prévenant l’établissement. Mais ce n’est pas parce qu’on prévient qu’on ne découvre rien, loin de là ! Car ce sont des missions d’enquête très approfondies. Et donc 40 % se font de manière inopinée. Ces inspections donnent lieu à des injonctions. On demande à l’établissement de mettre en place des mesures correctives. Et il peut arriver qu’on nomme des administrateurs provisoires ou qu’on transfère les autorisations d’un opérateur à un autre. »