L'infirmière Libérale Magazine n° 292 du 01/05/2013

 

RELATIONNEL

L’exercice au quotidien

Idel dans les Hautes-Pyrénées depuis dix-neuf ans, Philippe Pranal évolue en équipe mobile “douleur soins palliatifs” dans un réseau de santé. Extraits du discours qu’il a tenu* devant des psychanalystes lacaniens.

« Lors d’une banale injection intramusculaire, la dame se place debout devant la fenêtre, relève ses jupes, se penche et attend. Je m’approche derrière elle et elle me laisse la piquer. Soudain, elle me dit, avec un beau sourire, « pénétration – éjaculation »… J’ai compris ce jour-là que la vie resterait pleine de mystères et de poésie ! Soignant autant qu’homme, comment se dépatouille-t-on avec son corps et celui des autres ? Cela ne figure pas dans le manuel du parfait infirmier. Le corps est vivant, vieillit et meurt très bien tout seul. Nous le regardons, le jaugeons, nous en émouvons. Chaque jour, j’examine des patients – bien patients. Je pique, perfuse, panse, lave… dans une prise au corps et à l’intimité. Je prends plaisir à faire cela. Soigner n’est pas que rationnel. Et moi, membre du corps… soignant, qu’est-ce que j’y engage ? Le désir de soigner, le besoin de reconnaissance ? En premier lieu, sûrement, je me soigne moi-même ! De mes difficultés dans ma relation à l’autre : peur de ne pas être à la hauteur, de faire souffrir… et peur de ma propre souffrance, de mourir avec. C’est contagieux, docteur ?

L’infirmier est tenu d’être à l’écoute du patient et, plus important, de respecter ses choix. Bien caché derrière des textes officiels, des protocoles, des actes techniques – « Je suis payé à l’acte » –, l’infirmier se doit de conserver une “neutralité bienveillante”. Ni fou, ni pervers, quoi ! Tout est dans l’intention. Massage ou caresse. À l’inverse, il existe aussi le dégoût face à un corps gémissant, aux plaies, aux odeurs. Mes émotions me submergent. Alors, je me suis forgé une “éthique personnelle”. Qu’est-ce que l’autre pense que cela me fait ? Rien : neutre et bienveillant.

Le possible d’un soin se situe autour de la rencontre de deux corps, de deux personnes : un sourire, une caresse légère sur la joue, un silence… Donner du temps, de la chaleur est un gage d’humanité qui me procure chaque jour l’envie de continuer à être infirmier. Je donne et je reçois de celui que je soigne. Demain, certainement, je serai à sa place. Vivre, c’est apprendre à mourir. Enlever les barrières du savoir – celui qui est debout, celui qui est alité. Partager. C’est une piste. »

* Ce texte est un extrait du discours lu le 6 octobre 2012 par Philippe Pranal au cours du colloque sur le corps soigné/corps soignant organisé par l’association de psychanalyse Jacques Lacan à Tarbes et reproduit avec son accord.

Avis de l’expert
Sylvaine Bourrel-Gibaud, psychologue clinicienne et psychanalyste, intervient en service d’oncologie et en soins palliatifs

Prendre conscience du non-verbal

« Peu de soignants sont amenés à réfléchir à la dimension du corps et à leur façon d’agir. Pas seulement en tant que soignant, mais en tant que sujet, être qui parle, pris dans ses représentations et ses affects. Le langage chez l’humain modifie radicalement le rapport au corps. Est-ce que nos gestes sont en accord ou en désaccord avec ce que nous essayons de dire au patient ? Bien que passé sous silence, tout cela est perçu. Leur effet a lieu à notre insu. Lors de leurs formations, les futurs soignants sont prévenus contre la subjectivité : “Soyez dans la maîtrise, la technique. Soyez pro !” D’entrée, c’est un faux départ. Aujourd’hui, on avance. Ils sont invités à être dans l’écoute et à partager avec leurs collègues. Pour les libéraux, seuls dans le soin, il est d’autant plus nécessaire de faire appel, par exemple, à la ressource des réseaux et de s’accorder un temps de réflexion. »