L'infirmière Libérale Magazine n° 292 du 01/05/2013

 

Cannabis

Le débat

Courant mars, un patient atteint de myopathie, qui utilisait du cannabis pour des raisons thérapeutiques, a été condamné par la justice. Parallèlement, la ministre de la Santé s’est prononcée en faveur de l’examen du dossier du Sativex, un médicament à base de dérivés du cannabis. Les opinions s’opposent.

Dr Alain Rigaud,

médecin psychiatre, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa)

Est-ce que l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques peut présenter un intérêt pour un certain nombre de patients ?

Le cannabis ne guérit pas les maladies, mais, contrairement aux molécules antalgiques, il est connu pour avoir des effets apaisants et relaxants immédiats. Alors, pourquoi ne pas les utiliser Par exemple, il permet de soulager les nausées ou les vomissements pour les personnes qui font une chimiothérapie, il peut stimuler l’appétit pour les personnes atteintes du sida, il atténue les douleurs neurologiques pour celles qui ont la sclérose en plaques. Mais il s’agit d’automédication, car on ne connaît pas le dosage.

Marisol Touraine a demandé en février à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) d’examiner le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Sativex, qui contient du tétrahydrocannabinol (THC) et du cannabidiol. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose. Le Sativex dispose de l’AMM dans d’autres pays. Si aucune étude n’est menée en France, nous allons continuer à entretenir une série d’interrogations et surtout l’automédication, pouvant entraîner, pour les consommateurs, des effets secondaires et des conséquences avec la justice, puisque l’usage au cannabis est illicite. Comme toute substance psychoactive, ses molécules peuvent avoir des effets néfastes. Leur usage doit être encadré comme pour l’alcool ou le tabac.

Quel regard portez-vous sur les personnes qui consomment du cannabis à des fins thérapeutiques, mais en tout illégalité, et qui sont d’ailleurs condamnées par la justice ?

Je les comprends, car elles n’ont pas accès au cannabis sous forme de médicaments, sauf pour de rares exceptions. Si les autres molécules sur le marché ne les apaisent pas, on peut comprendre qu’elles aient recours au cannabis. Le problème, pour les pouvoirs publics, est que l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques ouvre la voie à certaines dérives. D’où la nécessité de faire des recherches. À partir du moment où le principe actif du cannabis permet d’améliorer les souffrances, il faut faire les démarches pour que cela entre dans la règle du médicament. À l’Anpaa, nous estimons que le cannabis pourrait être dépénalisé et démystifié.

Pr Jean Costentin,

neuropsycho– pharmacologue, membre de l’Académie nationale de médecine et président du Centre national de prévention, d’études et de recherche des toxicomanies

Est-ce que l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques peut présenter un intérêt pour un certain nombre de patients ?

Absolument pas. Le cannabis est un horrible mélange d’une multitude de constituants dont le dominant est le THC qui crée une dépendance psychique, avec des risques de sédation, d’ivresse, de dépression, de troubles de types délirants ou hallucinatoires, des effets anxiolytiques devenant au long cours anxiogènes, des perturbations de la mémoire. Des liens avérés entre le cannabis et les troubles psychotiques ont même été démontrés dès le XIXe siècle ! Les risques sont donc bien plus importants que les bénéfices, d’autant plus que, pour chacune des indications potentielles du cannabis, il existe d’authentiques médicaments qui font mieux que le THC : il se situe souvent en deçà des médicaments de référence dont nous disposons, ses effets sont modestes et n’ont rien d’irremplaçables.

Marisol Touraine a demandé en février à l’ANSM d’examiner le dossier d’AMM du Sativex, qui contient du THC et du cannabidiol. Qu’en pensez-vous ?

Je ne soutiens pas du tout cette démarche qui s’inscrit dans une politique visant à travestir le cannabis en médicament et dans une tentative de banalisation du cannabis. Avant de prendre cette décision, la ministre a recueilli les avis des Académies nationales de médecine et de pharmacie qui ont fait part d’une dénégation formelle en disant que le cannabis est une drogue et un faux médicament. Ce n’est pas parce que certains pays ont légalisé le cannabis sous la pression de lobbies que nous devons faire la même chose.

Quel regard portez-vous sur les personnes qui consomment du cannabis à des fins thérapeutiques, mais en tout illégalité, et qui sont d’ailleurs condamnées par la justice ?

La thérapeutique ne doit pas servir de masque, ni de caution à la toxicomanie. Le cannabis échappe aux critères de la thérapeutique et ne peut donc se parer d’une caution médicale. En revanche, lorsque la médecine est devenue totalement inopérante, lorsqu’elle n’est plus en mesure d’agir utilement, elle n’a plus à formuler d’interdits pour ce qui se situe au-delà de ses limites (dans une démarche compassionnelle, ou d’accompagnement du mourant).