L'infirmière Libérale Magazine n° 292 du 01/05/2013

 

Ophtalmologie

Cahier de formation

LE POINT SUR

Passant longtemps inaperçu par les patients, le glaucome est pourtant une maladie du nerf optique qui constitue la 2e cause de cécité dans les pays industrialisés. Il est important d’en poser le diagnostic et d’optimiser l’observance des traitements.

Définition

Le glaucome est une maladie du nerf optique qui s’accompagne le plus souvent d’une augmentation de la pression intraoculaire liée à un défaut d’évacuation de l’humeur aqueuse (liquide constitué essentiellement d’eau, produit par les corps ciliaires, et rejoignant la circulation veineuse en s’écoulant au travers d’un filtre appelé trabeculum situé au niveau de l’angle irido-cornéen).

Cette accumulation de liquide dans la chambre antérieure de l’œil provoque une hyperpression intraoculaire qui altère la papille optique (d’où sort le nerf optique), déformant le nerf optique et lui provoquant une excavation.

Il en résulte un rétrécissement du champ visuel périphérique, qui, sans traitement, peut évoluer vers la cécité. Le glaucome représente en effet la deuxième cause de cécité dans les pays développés après la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).

Plus d’un million de personnes seraient concernées par le glaucome en France.

Les glaucomes

Le glaucome à angle ouvert

Une modification progressive de la perméabilité du trabeculum empêche la circulation de l’humeur aqueuse, mais l’angle irido-cornéen reste ouvert et normal. L’atteinte est le plus souvent binoculaire et asymétrique.

Ce glaucome est le plus fréquent (80 à 90 % des cas). Il peut être primitif ou secondaire à des traumatismes oculaires (avec atteinte monoculaire), à une rétinopathie diabétique ou à une prise prolongée de corticoïdes.

Les principaux facteurs de risque sont : l’âge, une forte myopie, le sexe masculin, le tabagisme, les antécédents familiaux, l’appartenance à une éthnie à peau noire, l’hypertension artérielle, l’hyperpression intraoculaire. Il existe toutefois des glaucomes à pression oculaire normale (dans un quart des cas), ce qui évoque une certaine susceptibilité des nerfs optiques à cette affection neuronale.

Le glaucome à angle fermé

Forme la plus rare, elle constitue une urgence ophtalmique. Ce type de glaucome survient sur un œil prédisposé par un angle irido-cornéen étroit (ce qui est le cas des hypermétropes). Sous l’effet d’une mydriase (dilatation de la pupille), l’iris se bombe et s’applique contre la cornée, provoquant une fermeture soudaine de l’angle irido-cornéen, qui empêche l’évacuation de l’humeur aqueuse. La tension oculaire augmente alors brutalement et de façon importante (> 50 mm de Hg).

Dans 30 % des cas, ce type de glaucome est d’origine iatrogène, consécutif à la prise de médicaments anticholinergiques (comme les antidépresseurs tricycliques, certains neuroleptiques, antispasmodiques et anti-histaminiques, les traitements de l’incontinence urinaire, les anticholinergiques inhalés utilisés dans le traitement de l’asthme – en cas de projection accidentelle dans les yeux), ou de traitements vasoconstricteurs utilisés pour soulager les symptômes d’un rhume, ou à l’instillation de collyre mydriatiques.

Les facteurs de risque sont : l’âge, le sexe féminin, une origine asiatique, le stress, l’effort visuel soutenu, l’hypermétropie et la cataracte.

Les signes cliniques

→ Le glaucome à angle ouvert apparaît insidieusement et demeure longtemps asymptomatique. Il est la plupart du temps découvert fortuitement à l’occasion d’un examen ophtalmique de routine (pour presbytie notamment). En France, quelque 400 000 personnes seraient atteintes de glaucome sans être identifiées, donc non traitées. Le diagnostic repose sur la mesure de la pression intraoculaire par tonométrie (on parle d’hyperpression intraoculaire si la pression est supérieure à 21 mm de Hg), l’examen du nerf optique par un fond d’œil, l’appréciation de l’étendue du champ visuel par périmétrie, la mesure de l’angle irido-cornéen par gonioscopie et la mesure de l’épaisseur des fibres optiques péripapillaires par tomographie par cohérence optique.

→ Le glaucome à angle fermé apparaît brutalement. Il se manifeste par d’importantes douleurs oculaires et péri-oculaires, des céphalées éventuellement accompagnées de nausées et de vomissements. L’œil est rouge et dur comme une bille de bois. La vision est brouillée et baisse rapidement. Une tonométrie et une gonioscopie permettent de confirmer le diagnostic. En l’absence de l’instauration en urgence d’un traitement, une cécité peut survenir en cinq à six heures.

Le traitement

Du glaucome à angle ouvert

Traitements médicamenteux

L’objectif du traitement est de réduire la pression intraoculaire, en diminuant la secrétion d’humeur aqueuse et/ou en facilitant son évacuation. Il fait appel en première intention à une monothérapie par collyre bêta-bloquant ou analogues de prostaglandines. En cas d’inefficacité, plusieurs collyres anti-glaucomateux sont associés en bi-, voire trithérapie. L’acétazolamide par voie orale peut également être associée aux collyres.

→ Bêtabloquants : les collyres bêtabloquants (Bétagan, Bétanol, Bétoptic, Cartéol, Ophtim, Timabak, Timoptol…) constituent le traitement de référence du glaucome à angle ouvert. Ils diminuent la production d’humeur aqueuse par les corps ciliaires. Mais les collyres bêtaboquants exposent aux mêmes effets indésirables (refroidissement des extrémités, fatigue en début de traitement, bradycardie, essoufflements, hypotension, aggravation d’une hypoglycémie…) que les bêtabloquants administrés par voie générale, dont ils partagent d’ailleurs les mêmes contre-indications (insuffisance cardiaque non contrôlée, asthme, BPCO, maladie de Raynaud, Artériopathie oblitérante des membres inférieurs, AOMI).

→ Analogues de prostaglandines : les collyres analogues de prostaglandines (Lumigan, Travatan, Xalatan…) sont de plus en plus souvent utilisés en première intention du fait de leur efficacité sur le glaucome. Ces médicaments facilitent la circulation de l’humeur aqueuse, en se fixant sur le muscle ciliaire et en provoquant un relâchement de ce dernier. Leurs effets indésirables systémiques sont rares. Il s’agit surtout de céphalées, d’hypotension et d’aggravation de l’asthme à l’aspirine. En revanche, les effets indésirables locaux sont très fréquents : modification de la longueur et de l’épaisseur des cils, modification de la couleur des iris clairs (pouvant être définitive), réactivation oculaire du virus de l’herpès.

→ Sympathomimétiques : les collyres sympathomimétiques provoquent une diminution de production d’humeur aqueuse par stimulation des récepteurs alpha-2-adrénergiques. Les effets indésirables sont essentiellement locaux à type d’hyperhémie (rougeur de l’œil) et de manifestations allergiques. Pour un traitement au long cours, la brimonidine (Alphagan) doit être préférée à l’apraclonidine (Iopidine), car cette dernière est plus allergisante et perd de son efficacité avec le temps.

→ Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique : les collyres inhibiteurs d’anhydrase carbonique (Azopt, Trusopt) réduisent la production d’humeur aqueuse en inhibant l’enzyme impliquée dans la synthèse de cette dernière par les corps ciliaires. Ils peuvent provoquer une irritation oculaire, des céphalées, une asthénie, des nausées et des dysgueusies (sensation d’amertume). L’acétazolamide est un inhibiteur d’anhydrase carbonique se présentant sous forme orale (Diamox en comprimés), utilisé en cas d’inefficacité des traitements locaux ou en attente d’un geste chirurgical, pour provoquer une chute rapide de la pression intraoculaire. Ses effets indésirables sont liés à son action diurétique au niveau des néphrons : déshydratation et troubles hydro-électrolytiques à type d’hypokaliémie, modification de l’équilibre acido-basique avec risque de lithiases urinaires (calculs rénaux).

Traitements non médicamenteux

En cas d’échec des traitements locaux ou de glaucomes diagnostiqués à un stade avancé, une opération chirurgicale consistant à retirer tout ou partie du trabeculum (trabéculectomie ou sclérectomie profonde) pour permettre la filtration de l’humeur aqueuse, ou un traitement au laser (Selective Laser Trabeculoplasty) visant une meilleure résorption de l’humeur aqueuse, pourront être envisagés.

Du glaucome à angle fermé

Le traitement du glaucome à angle fermé repose sur l’iridotomie périphérique au laser après avoir abaissé la pression intraoculaire par administration intraveineuse d’inhibiteur d’anhydrase carbonique (Diamox IV), sous surveillance étroite de la kaliémie, et exercé un effet myotique (c’est-à-dire après avoir diminué le diamètre de la pupille) par l’instillation de pilocarpine. Le deuxième œil doit être traité préventivement.

Conseils aux patients

→ L’Idel peut contribuer à l’information des patients sur cette pathologie et sur la nécessité d’un dépistage précoce. Ainsi, il convient d’encourager les visites régulières chez un ophtalmologiste et de déconseiller l’achat de lunettes loupes pour presbytes, qui court-circuite les consultations ophtalmiques et constitue une entrave au diagnostic.

→ Rappeler aux patients les méfaits du tabac et de l’alcool, toxiques pour le nerf optique.

→ Concernant le traitement du glaucome à angle ouvert, il faut insister sur la nécessité d’une bonne observance, à vie, des traitements, même si la maladie est asymptomatique, afin de prévenir la malvoyance et de rappeler aux patients que les formes évoluées empêchent la conduite automobile et peuvent nécessiter une adaptation de la vie professionnelle.

→ L’Idel doit contribuer à faciliter l’administration de ces traitements en donnant des conseils pour l’instillation des collyres : se laver les mains avant l’administration, adopter des horaires fixes afin de limiter le risque d’oubli, aménager des moments calmes et adopter une position confortable pour l’instillation, ne pas toucher le globe oculaire avec l’embout du flacon, respecter un intervalle d’au moins 5 minutes entre l’administration de deux collyres différents afin d’en optimiser l’efficacité. Lors de ses visites à domicile, l’Idel peut s’assurer que les patients notent bien les dates d’ouverture des collyres sur les conditionnements (entre 15 jours et 12 semaines après ouverture selon les collyres).

→ Enfin, pour limiter le risque de passage systémique de principes actifs et d’effets indésirables généraux (notamment avec les collyres bêtabloquants), il peut être utile de conseiller au patient de comprimer avec l’index le haut de l’aile du nez, au niveau du sac lacrymal, quelques secondes après l’instillation, afin d’obstruer le canal lacrymal.