Nathalie Grave, directrice de l’Association du service de soins infirmiers à domicile dans le Lot-et-Garonne
La vie des autres
Visites à domicile, autonomie, réticences face aux hiérarchies pesantes… Ces missions pourraient laisser penser que Nathalie Grave est Idel. En réalité, elle dirige un Ssiad. Et, en tant qu’infirmière-coordinatrice, la coordination relève bien de sa fiche de poste.
Dans son exercice, Nathalie Grave, 47 ans, compte plus d’un point commun avec les Idels. La directrice de l’Assid, l’Association du service de soins infirmiers à domicile, basée à Marmande (Lot-et-Garonne), se rend chez les malades, pour évaluer leur situation initiale et, tous les quatre mois, pour la réexaminer. « Il s’agit avant tout d’être empathique, explique l’infirmière-coordinatrice devenue directrice (voir encadré ci-contre). À domicile, on se trouve chez les patients, ce n’est pas comme à l’hôpital ou en Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Il faut faire abstraction de tout jugement personnel. » Et de dépeindre une ambition qui anime également les Idels : « Reconnaître à l’individu le droit de vivre comme bon lui semble. Même avec de l’expérience, ce n’est pas toujours évident. » Comme les libérales, encore, Nathalie Grave échappe à certains jougs hiérarchiques. Tel celui des chirurgiens de bloc opératoire, où elle a exercé pendant douze ans. « En Ssiad, la hiérarchie est moins lourde qu’à l’hôpital. L’autonomie me plaît, nous avons une liberté. Ici, on fait relativement “ce qu’on veut”. » Et ce qu’elle fait relève, entre autres, de la coordination.
Que faire, justement, de la nouvelle Majoration de coordination infirmière (MCI), sujet de discorde « Personne n’a dit aux Ssiad s’ils devaient payer ou non la MCI aux infirmières libérales. Jusqu’ici, c’est le flou artistique. » Certains Ssiad les paient. Pas le sien, en raison de sa propre vision du métier : « Je ne peux pas payer la coordination aux Idels alors que c’est moi qui suis censée l’assurer. Selon ma fiche de poste, c’est moi qui la fais ! J’ai constaté un peu de revendications : j’ai reçu trois ou quatre factures à ce titre. Mais quand j’explique ma vision, aucune Idel ne monte au créneau. Il n’y a pas eu de tollé. »
Toutefois, un point éloigne – « par choix » – Nathalie Grave de l’exercice en libéral : elle n’en apprécie pas le caractère individuel, dénué d’équipe et de partage.
« J’ai fait ce métier pour travailler avec d’autres. Pas pour me retrouver chaque jour toute seule au volant. » À son poste de directrice de l’Assid, elle collabore par exemple avec une technicienne administrative pour gérer les finances. Elle note une différence avec une structure territoriale (comme un Centre communal d’action sociale) pour laquelle elle a déjà travaillé : en Ssiad, il faut élaborer un budget et le suivre, et pas seulement limiter ses dépenses dans le cadre d’enveloppes pré-établies.
Cette dimension collaborative nécessite certaines qualités ou compétences. Avoir déjà bourlingué, par exemple, peut être utile pour se forger une “personnalité forte”. “En réunion, il faut pouvoir s’exprimer facilement à l’oral”, témoigne Nathalie Grave. Il s’agit également, face aux responsables d’associations, de refuser l’habit d’exécutante. Et, avec les Idels « pas toujours très accessibles », de tisser des liens.
Pour accomplir ses missions, Nathalie Grave recourt au management, à la gestion humaine, à la démarche qualité. Absentes de ses études d’infirmière, ces disciplines s’imposent aujourd’hui avec l’accroissement des contrôles dans le domaine de la santé, notamment par les évaluations obligatoires des Ssiad, à la fois en interne et, pour une majorité d’entre eux dès 2015, sur un plan externe. « Nombre de Ssiad font très bien leur boulot, mais ils ne se professionnalisent pas, poursuit Nathalie Grave. La qualité d’un Ssiad, c’est la stratégie, la vision panoramique de l’activité. Il ne s’agit pas simplement de faire entrer les malades, de leur délivrer un soin et de les faire sortir au moment du décès, mais, quand on franchit la porte du Ssiad, de vouloir faire mieux aujourd’hui qu’hier. » La professionnalisation passe par le fait de répondre à des appels d’offres de l’Agence régionale de santé, ou encore par l’élaboration de “projets” – terme très présent dans la langue managériale. « Un projet se construit s’il a été mûri, s’il est clair dans l’esprit du directeur de Ssiad. Pour l’infirmière-coordinatrice, de plus en plus, il s’agit de prendre la plume et non plus la seringue. » Le tout, évidemment, au service des patients. L’Assid, qui a tourné la “page noire” d’un conflit social en 2010 et fait partie de la minorité de Ssiad certifiés Afnor, prend en charge une cinquantaine de malades. La “grosse” dépendance représente plus de la moitié de l’activité.
« J’entretiens de très bonnes relations avec la plupart des infirmières libérales qui collaborent avec le Ssiad, c’est-à-dire une trentaine. Il arrive que certaines fassent de la résistance passive à la collaboration, en ne remplissant pas la feuille qui leur est destinée dans le dossier du patient à domicile. Je ne suis au courant de la réalisation de ces actes que lorsque me parvient leurs facturations de soins techniques effectués par délégation. A posteriori, donc. Les treize aides-soignantes du Ssiad, sur le terrain tous les jours, peuvent aussi m’aider à “contrôler” que ces infirmières ont effectué le travail. Dans le contrôle, cela manque de traçabilité, de confort, de finalisation. »
Un diplôme sert à acquérir des connaissances, à changer sa façon de travailler, mais pas seulement. Cela permet aussi de changer le regard des autres sur soi. D’accroître sa légitimité. En septembre 2010, Nathalie Grave a ainsi décroché la certification professionnelle “gestionnaire de Ssiad”, devenant à cette occasion directrice de Ssiad en plus d’être infirmière-coordinatrice. Plus que ses missions, cela a modifié son degré de reconnaissance… et son niveau de rémunération. Délivré par l’université de Montpellier I en partenariat avec le Centre d’études supérieures en économie et gestion hospitalière (Cesegh), ce certificat a été fondé à l’initiative de l’Union nationale des associations et services de soins infirmiers (Unassi). « Nombre d’infirmières-coordinatrices se sentaient désemparées par rapport aux nouvelles réglementations qui tombent sans cesse », justifie Nathalie Grave. Plus d’informations sur le site du Cesegh (http://petitlien.fr/6h9i).