Françoise Cacelli, membre de la Société pyrénéenne de soins palliatifs, accompagnante bénévole de malades
La vie des autres
Depuis toujours, Françoise Cacelli accompagne des malades. Cette envie d’aider, elle la met au service de la Société pyrénéenne de soins palliatifs qu’elle a intégrée en 2006.
Françoise Cacelli habite Argelès-Gazost, jolie ville thermale des Hautes-Pyrénées. Mais, le soir, lorsqu’elle quitte son poste de responsable du service des ressources humaines à la mairie, ce n’est pas pour piquer une tête dans la piscine : « Après mon travail, le lundi, je rends visite à une dame âgée de 86 ans qui a survécu à son cancer, explique cette presque quinquagénaire. Le jeudi, je vais chez un monsieur en fin de vie. Le mardi, avant mon cours de danse, je me rends au service de soins palliatifs de la clinique de l’Ormeau. C’est à plus de 30 kilomètres de chez moi… » En effet, depuis quelques années, Françoise est bénévole de l’association SP2 (Société pyrénéenne de soins palliatifs).
« J’ai toujours rendu visite aux malades. Cela me vient de l’enfance. Il existait alors une véritable solidarité dans notre quartier : chacun rendait visite aux personnes âgées, aux malades… Je suivais les adultes. Je me sens concernée par les autres. Cela relève aussi d’une démarche citoyenne : d’une certaine façon, je “rends” à la société ce qu’elle m’apporte », ajoute-t-elle sans emphase au pourquoi de son engagement.
C’est à l’occasion de la Foire des hobbies de Tarbes que Françoise a découvert l’association SP2 : « J’avais le désir de me rapprocher d’autres personnes ayant la même démarche que moi. » À l’issue d’un premier entretien, elle bénéficie, sur les années 2006-2007, d’une formation de 45 heures, comme tous les nouveaux adhérents. S’appuyant sur la psychologie, le programme vise à fournir des compétences en écoute et favorise la prise de conscience de tous les enjeux émotionnels et humains de l’accompagnement. Être bénévole auprès des grands malades ne s’improvise pas. « La formation nous fournit des outils – l’utilisation de la reformulation, savoir ne pas attendre de résultats… – et diverses connaissances essentielles comme les différentes phases que traverse un individu en fin de vie – le déni, la colère, le chantage… »
Six ans après ses débuts en 1993, l’association SP2 a donné naissance à un réseau de soins, pionnier en la matière : le réseau de santé Arcade (douleurs, accompagnement et soins palliatifs). L’association n’a conservé que l’activité d’accompagnement. Toutefois, le réseau Arcade demeure le lien privilégié entre les familles, les patients et la trentaine de bénévoles accompagnants. Un infirmier coordinateur peut servir, pour le bénévole, de relais au départ et de repère.
De cette filiation, SP2 a conservé un professionnalisme appréciable et assure une qualité d’intervention dans la durée. De façon trimestrielle, les bénévoles participent à un groupe de parole en présence d’une psychologue, pour « vider son sac », résume Françoise.
SP2 propose aux proches un groupe d’entraide dans le travail de deuil. En outre, côté bénévoles, la formation continue veille à alimenter leur réflexion et leur permet d’accompagner dans de bonnes conditions. « En 2011, nous avons abordé le thème de la validation (méthode Feil) et, en décembre dernier, nous avons pu écouter l’exposé du sociologue et bénévole d’accompagnement, Tanguy Châtel, sur le rapport que la société entretient avec la mort », indique la jeune femme (lire encadré ci-dessous). Enfin, le tout est formalisé par la signature d’une charte rappelant les valeurs sous-jacentes et le rôle bien défini du bénévole, qui s’engage notamment à laisser à la porte ses convictions personnelles et religieuses et à assurer une écoute respectueuse de l’intimité.
« Le bénévolat est ressenti par les grands malades et les mourants comme une reconnaissance de leur place dans la communauté humaine. […] Le bénévole rappelle à tous que la mort est un acte social dont chacun a à redécouvrir le sens », stipule clairement ladite charte. En effet, en marge de l’approche médicale et des soins, l’accompagnant bénévole se présente en tant qu’individu, comme un égal. « Ce sont des moments de partage sans jugement et au rythme de l’autre. Les uns et les autres partagent avec moi leurs angoisses, leurs désirs et leurs souffrances morales. Parfois, mon arrivée permet de faire baisser la pression. » Les situations sont aussi diverses qu’il y a de personnes et de visites.
« Porter un intérêt à la personne malade lui confirme son identité et sa dignité. La fin de vie n’empêche pas de faire des projets, de se raconter. L’espace que je lui consacre est un moment de grande richesse. J’en retire aussi un bénéfice : une telle relation qui m’unit à l’autre me permet de me sentir utile et nourrit mes relations de tous les jours, notamment avec mes deux filles. Ce n’est pas triste, on est dans la vie. Toutefois, il ne faut pas s’oublier, et poser un cadre est important. Sinon, ce n’est plus bénéfique pour personne », conclut-elle avec conviction.
« Je croise peu les soignants à domicile. Mais, s’ils arrivent, ils sont prioritaires. Je sors de la chambre et laisse les soins se faire ou prends congé. Avec le réseau Arcade, nous avons la possibilité d’appeler l’infirmier référent pour donner une appréciation de l’état de la personne, à un niveau humain ou pour relayer des témoignages quant à leur souffrance. Dans les services d’un établissement, au début, il peut y avoir une sorte de gêne quant à notre présence, mais il ne faut pas chercher à nous imposer. En tant que bénévole, je ne suis pas là pour juger les soignants. Dans la clinique où SP2 intervient, une convention a été signée, et nous pouvons prendre part à certaines réunions pluridisciplinaires afin d’apporter un regard extérieur à la situation de certains patients, comme sur la dégradation de leur moral. En échange, les soignants nous orientent aussi vers certains patients à qui notre présence pourrait apporter un soutien. »
Le 3 décembre dernier, Tanguy Châtel était l’invité d’une journée de formation réservée aux membres de SP2. Le soir même, il animait une conférence-débat conviant le grand public à réfléchir sur un sujet – la fin de vie et la mort elle-même – auquel chacun sera inéluctablement confronté : un débat « spécifique des pays riches ». Dans la salle, la question de l’euthanasie n’a pas manqué de faire surface. Une option que le sociologue estime inadaptée à l’heure de la loi dite Leonetti. « L’humanité a débuté avec l’instauration de rites funéraires, une étape tombée aux oubliettes de la modernité. Ce sont les soins palliatifs qui ont redonné droit de cité à la fin de vie dans les années 1980. Aujourd’hui, le deuil est entré dans une phase de déni, une forme pathologique et non de tabou », rappelait-il.