L'infirmière Libérale Magazine n° 294 du 01/07/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Monsieur D., 78 ans, à qui vous préparez chaque semaine son pilulier, vient de se brûler avec un café bouillant. Apparaît une cloque qu’il veut désinfecter. Dans son armoire à pharmacie, vous trouvez un flacon de Diaseptyl qu’il se rappelle avoir entamé l’année dernière à l’occasion d’un zona.

Vous expliquez à monsieur D. que les antiseptiques en flacon se périment vite, en général au bout de quelques semaines, et qu’il est possible que celui-ci ait perdu de son efficacité ou qu’il soit contaminé par des bactéries. Vous désinfectez sa brûlure avec votre propre matériel et lui conseillez de se procurer un antiseptique en dosettes type Dosiseptine à la pharmacie, car ces conditionnements à usage unique se conservent longtemps. Vous lui proposez de faire le point sur les médicaments périmés et inutiles afin que son fils puisse les rapporter à la pharmacie.

QUAND ABORDER LE SUJET ?

L’intervention à domicile place les Idels en première ligne pour la gestion des armoires à pharmacie, mais nombre de patients n’ouvrent pas facilement les portes du “précieux meuble”. Les bons moments pour y “jeter un œil” :

→ lors de soins, les “boîtes à pansements” étant souvent rangées à proximité ;

→ lors de la préparation des médicaments ;

→ lors d’un prélèvement, quand celui-ci peut être faussé par la prise d’un traitement ;

→ dès que le patient vous demande conseil quant à la prise d’un traitement hors prescription ;

→ dès que l’observance est compromise (illettrisme, familles étrangères, déficience cognitive…).

À savoir : les études montrent que, dans la grande majorité des cas, la gestion des médicaments revient aux femmes. Adressez-vous à elles en priorité !

UNE ARMOIRE SÉCURISÉE

Le contenant

→ Réserver un meuble/une enceinte dédié(e).

→ Le placer en hauteur, pour éviter son accès aux enfants, dans une pièce ni trop chaude ni trop froide, sans grandes variations de température (loin d’un radiateur), à l’abri de l’humidité et de la lumière. La salle de bain et la cuisine ne sont donc pas des lieux adéquats.

→ Dans l’idéal, il est préférable que cette armoire puisse être fermée avec une clé, en particulier en présence d’enfants ou de déficiences cognitives (Alzheimer…).

→ Y afficher les numéros d’urgence : pharmacie et médecin traitant, SOS médecin, pompiers, Samu, hôpital et centre anti-poison.

Le grand ménage

L’armoire à pharmacie doit être régulièrement triée, idéalement tous les six mois.

Recycler

Écarter et ramener à la pharmacie pour un recyclage sécurisé :

→ tous les produits périmés ;

→ tous les traitements prescrits non pris en particulier les antibiotiques, les antalgiques de palier II, les anti-inflammatoires, les psychoactifs (anxiolytiques, anti-dépresseurs…).

Conserver

→ Les médicaments/matériels destinés à l’automédication en cas de troubles bénins et traitements en cours éventuels.

→ Les emballages d’origine avec la notice.

Ordonner

→ Ranger les médicaments selon un triple classement : par public cible (enfants/adultes particulièrement), par mode d’application (interne ou externe) et par indications (plaies, douleurs et fièvre, troubles digestifs, troubles cutanés…). Ne jamais mélanger les médicaments vétérinaires aux médicaments humains.

→ Noter les dates d’ouverture sur les conditionnements entamés multidoses.

→ Noter sur les boîtes l’indication si celle-ci n’apparaît pas clairement (maux de ventre, allergie…) et la personne cible (enfant, adulte…).

Les risques des périmés

À condition de les conserver dans des conditions optimales (emballage d’origine, à l’abri de la lumière et de la chaleur, correctement rebouchés), les médicaments périmés présentent relativement peu de risques pour la santé.

Les risques éventuels sont de trois ordres :

→ une baisse d’efficacité : c’est le risque majeur en ce qui concerne les médicaments en vente libre. Le danger d’un déséquilibre thérapeutique des traitements aigus et courts étant moindre par rapport à des traitements chroniques à faible marge thérapeutique (anticoagulants, anticonvulsivants…) ;

→ une toxicité : le risque est faible pour les médicaments d’automédication. En revanche, c’est le cas pour d’autres traitements, comme les antibiotiques périmés de la classe des tétracyclines (toxicité rénale) ;

→ une altération du contenu : le contenu peut s’altérer après ouverture, en particulier les solutions qui s’oxydent à l’air ou sont contaminées par des micro-organismes (voir encadré ci-dessous).

UN CONTENU ADAPTÉ

C’est utile

Le matériel de premier soin

Thermomètre, ciseaux, compresses stériles, sparadrap, pansements, bandes de gaze, bandelettes de suture adhésives, gants.

Du sérum physiologique en dosettes

Pour nettoyer une plaie, le nez ou les yeux.

Un antiseptique

→ Pour nettoyer le matériel ou la peau non lésée avant ponction ou injection (sauf glycémie capillaire ou enfant avant 30 mois) : alcool à 60 ou 70 ° qui se conserve plusieurs mois.

→ Pour le nettoyage des petites plaies, choisir un antiseptique de base à large spectre et bien toléré comme la chlorhexidine en solution aqueuse (Diaseptyl, Dosiseptine…) ou alcoolique (Septeal, Biorgasept…) ou encore l’hypochlorite de sodium (Dakin, Amukine). Déconseiller en usage domestique les dérivés iodés (Bétadine) qui peuvent masquer l’évolution des plaies, provoquer des réactions d’hypersensibilité et qui ne sont pas indiquées chez le nourrisson ou aux 2e et 3e trimestres de grossesse. Les colorants type éosine ne sont pas antiseptiques mais asséchants. L’eau oxygénée, hémostatique, n’a pas un pouvoir antiseptique suffisant.

→ Ne garder et n’utiliser qu’un seul antiseptique à la fois pour éviter tout risque d’incompatibilité.

→ Privilégier les unidoses qui, non ouvertes, se conservent longtemps. Les distinguer clairement des unidoses de sérum physiologique pour éviter d’utiliser par erreur les antiseptiques dans les yeux !

Un soluté de réhydratation oral

Seul traitement “urgent” en cas de risque de déshydratation (Adiaril, Fanolyte…) : diarrhées du nourrisson, personnes âgées, coup de chaleur, etc.

De l’arnica

En gel, pommade et/ou granules homéopathiques, en cas de coups ou de chocs.

Un antidouleur/ antipyrétique

Adapté pour chaque membre de la famille, en fonction de l’âge et des éventuelles contre-indications.

Éventuellement utile

Selon les sensibilités et antécédents des membres de la famille, certains médicaments ont leur place dans la pharmacie familiale.

Troubles digestifs

→ Douleurs ou spasmes abdominaux/pelviens : un antispasmodique type phloroglucinol (Spasfon…).

→ Constipation : de préférence un laxatif doux type osmotique (par exemple Sorbitol, Lactulose, Forlax…), bien toléré et non irritant pour la muqueuse intestinale.

→ Diarrhées : outre le soluté de réhydratation orale, il peut être utile d’avoir un adsorbant/protecteur intestinal (argile, charbon activé…) qui améliore la consistance des selles, douleurs abdominales et flatulences (Smectalia, équivalent automédication du Smecta, Acticarbine…). Le lopéramide (Imodium, Peracel, Ercestop…), qui ralentit le transit, devrait être réservé aux cas où la diarrhée est gênante, car il peut bloquer l’élimination des agents pathogènes responsables et ainsi retarder la guérison. Ne pas utiliser en cas de maladies intestinales chroniques (Crohn, rectocolite hémorragique…), d’insuffisance hépatique et de traitement antibiotique en cours (risque d’aggravation d’une colite pseudomembraneuse, effet indésirable grave des antibiotiques et qui se manifeste par une diarrhée).

→ Digestion difficile : un cholérétique (qui augmente la sécrétion biliaire) hépatoprotecteur comme l’artichaut ou le boldo en phytothérapie (Oxyboldine, Hépanephrol) ou la bétaïne (citrate de bétaïne).

→ Brûlures gastriques/remontées acides : un antiacide local à base de bicarbonate de sodium, de sels de magnésium ou d’aluminium, par exemple Maalox, Gavisconel… Ils doivent toujours être pris à 2 heures de distance au moins de tout autre traitement dont ils peuvent diminuer l’absorption digestive.

Troubles ophtalmologiques

Irritation passagère dont la cause est connue (coup de vent, branche dans l’œil, chlore de la piscine…): des unidoses de solution de lavage (type Dacryum), un collyre anti-irritation pour soulager (Antalyre, Sensivision…), voire un antiseptique (Sédacollyre, Vitabact, Biocidan, etc.). Ne jamais conserver un collyre à base de cortisone ou d’anesthésique local pouvant aggraver une lésion cornéenne ou une infection en cours (type zona ou herpès ophtalmique).

Rhume

→ Lavage nasal : une solution de lavage nasale d’eau de mer, plus ou moins additionnée d’antiseptique (Physiologica Septinasal, Prorhinel, Physiomer, Sterimar…).

→ Congestion nasale : les traitements oraux, bien que courants, ne sont pas anodins et nécessitent des précautions. Ils contiennent un vasoconstricteur et/ou un anti-histaminique et sont souvent associés à un antalgique “caché”, comme le paracétamol ou l’ibuprofène dont il faut tenir compte (risque de surdosage en association à d’autres traitements). Par exemple Fervex, Humex Rhume, Actifed Rhume, DolirhumePro, Nurofen Rhume…

La pseudoéphédrine, utilisée en cas de nez bouché, expose en particulier à de nombreux effets indésirables type palpitations, tachycardie, insomnie, sécheresse buccale, nausée, voire, plus graves, cardiovasculaires (angor, poussées hypertensives…) et neurologiques (convulsions, AVC).

Ces traitements ont de nombreuses contre-indications : HTA sévère, maladie coronarienne, antécédents d’AVC, de convulsions, glaucome, troubles de la prostate, moins de 15 ans, femme qui allaite…

Les traitements locaux à base d’huile essentielle à action vasoconstrictrice/anti-inflammatoire/anti-infectieuse type lavande, thym, eucalyptus, menthe, etc. (Sprays Euvanol Rhinedrine, Nécyrane…), comportent des risques de convulsions liés au terpènes (huiles essentielles), en particulier chez l’enfant.

Troubles cutanés

→ Irritation, piqûre d’insectes : une crème apaisante (Onctose, Apaisyl). Mais attention à celles contenant de la cortisone, elles ne doivent pas être utilisées chez l’enfant en bas âge ni sur un herpès.

→ Boutons de fièvre : aciclovir en crème, antiviral dont l’efficacité dépend notamment de la précocité de l’application.

→ Brûlures : une crème apaisante cicatrisante (Biafine, Osmosoft…) pour les brûlures de 1er degré, un pansement gras (type Jelonet) ou hydrocolloïde (Urgo Brûlure, Urgomed…) pour les brulures de 2e degré peu étendues.

Troubles circulatoires passagers.

En cas de sensation de jambes lourdes, connue et évaluée par un médecin, la pharmacie peut contenir un veinotonique oral (Ginkor fort, Diosmine Conseil, Daflon…) et/ou local (Cyclo 3 crème, Ginkor Spray fraîcheur intense…). En cas de crises hémorroïdaires, passagères et sans signes de gravité (saignements anormaux…), le veinotonique oral peut être associée à un topique anti-inflammatoire/antiseptique/cicatrisant/anesthésique en suppositoire et/ou pommade (Titanoréine, Sédorrhoïde…).

Anxiété/insomnie

Un traitement phytothérapeutique associant diverses plantes anxiolytiques (comme la valériane, l’aubépine, le passiflore…), type Euphytose ou Spasmine, ou un complexe homéopathique (Gelsemium, Ignatia…), type Sedatif PC ou Zenalia, peut éventuellement trouver sa place dans la pharmacie familiale en cas de signes d’anxiété légère ou de difficultés d’endormissement.

C’est inutile, voire dangereux

→ Les traitements prescrits non utilisés, en particulier les antibiotiques et anxiolytiques.

→ Les traitements ayant déclenché une allergie chez l’un des membres de la famille.

Quel antalgique et pour qui ?

Le paracétamol

→ Il doit généralement être privilégié car il est le mieux toléré (DolipraneLib, Paracétamol Conseil…).

→ Sauf contre-indications : allergie connue au paracétamol et pathologies hépatiques graves (hépatites, cirrhose, etc.).

À savoir : en cas d’apparition de signes cutanés d’allergie, le traitement doit être arrêté et une consultation est recommandée. L’attention des usagers doit être attirée sur la présence de paracétamol parfois “caché” dans nombre de spécialités (contre le rhume ou antalgiques associés, type Ixprim…).

L’ibuprofène

→ Il est en général réservé aux situations où le paracétamol ne suffit pas. C’est un antalgique, antipyrétique et anti-inflammatoire (Ergix, Intralgis, Upfen, Ibuprofène Conseil, Nurofentabs…).

→ Sauf contre-indications : risque hémorragique (intervention planifiée, antécédents…), ulcère digestif évolutif, grossesse (formellement après le 6e mois), insuffisance cardiaque, rénale, hépatique sévère, allergie connue aux AINS ou à l’aspirine, risque de déshydratation (personne âgée, canicule+++), suspicion de varicelle, prise concomitante d’autres AINS, anticoagulants, lithium.

À savoir : l’apparition de symptômes digestifs inhabituels, notamment saignements, ou d’éruptions cutanées doit faire stopper le traitement et consulter le médecin.

L’aspirine

C’est un AINS salicylé dont le profil est similaire à celui de l’ibuprofène (+ contre-indication avec le méthotrexate à dose ≥ 15 mg/semaine), mais qui exposerait à un risque augmenté d’effets indésirables (Aspro, Aspirine pH8…).

La codéine

→ Antalgique opiacé de niveau II, la codéine est disponible sans prescription à dose exonérée en association aux autres antidouleurs (Compralgyl, Migralgine, Gaosédal codéiné, Prontalgine Sedaspir…).

→ Elle expose à un risque d’effets indésirables (somnolence, nausées, constipation…) et est contre-indiquée en cas d’asthme et d’insuffisance respiratoire.

À savoir : la codéine expose à un risque accru de dépendance et peut parfois être détournée à des fins récréatives.

Point de vue…

L’effet générique ouvre les portes des armoires à pharmacie

Béatrice Baptiste, infirmière libérale à Thuir (66)*

« Depuis l’arrivée de génériques, les patients, notamment âgés, sont perdus dans leurs traitements, et nous sommes de plus en plus sollicitées pour la préparation des médicaments. L’effet positif, c’est que nous avons ainsi plus facilement accès aux armoires à pharmacie à domicile. Cela nous permet de faire d’abord un grand ménage dans les traitements, de fond ou d’automédication, d’éliminer les périmés et les traitements inutiles qui ne devraient pas y figurer, comme un reste d’antibiotiques ou de cortisone. Et quand ils nous demandent conseil pour un traitement d’automédication, on connaît mieux leurs traitements, on est plus vigilant pour éviter les cumuls d’une même molécule, les surdosages, les contre-indications. »

* Formée à la consultation infirmière et titulaire d’un DU en éducation pour la santé, Béatrice Baptiste a notamment animé des ateliers sur la pharmacie familiale avec la Mutualité française.

Durée de conservation après ouverture

→ Sirops ou solutions buvables, correctement rebouchés et dans leur emballage d’origine : la durée de conservation varie selon les produits mais est en moyenne de 4 semaines. Les pipettes enfant doivent être soigneusement rincées après chaque usage à l’eau chaude.

→ Collyres multidoses : 15 jours à 3 mois selon les produits.

→ Antiseptiques : en moyenne, 1 mois pour les dérivés iodés (comme la Bétadine dermique) et la chlorhexidine alcoolique, 15 jours pour la chlorhexidine aqueuse ou le Dakin, 8 jours pour l’eau oxygénée… Les unidoses se conservent 24 heures après ouverture, jusqu’à date de péremption si elles restent scellées. Les sprays se conservent aussi jusqu’à date de péremption.

Infos clés

Des outils grand public

→ Dans le cadre du libre accès en officine, les autorités sanitaires ont édité des dépliants Bien vous soigner avec des médicaments disponibles sans ordonnance pour les pathologies courantes (douleur, herpès labial, RGO, rhume, rhinite ou conjonctivite allergique, diarrhées passagères…). Pour les consulter/télécharger : sur le site de l’ANSM en suivant ce lien raccourci : http://petitlien.fr/6lhi.