L'infirmière Libérale Magazine n° 294 du 01/07/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Madame B., maman de Lucas, 3 ans, fait appel à vous pour l’ablation de points de suture suite à une chute. Vous la trouvez paniquée : comme Lucas présente de la fièvre et un léger rhume, elle lui a donné du Doliprane mais a utilisé la pipette de l’Advil.

Madame B. est dans une situation fréquente d’erreur médicamenteuse chez l’enfant par confusion. Vous la rassurez, car la pipette d’Advil délivre un volume de médicament moindre que celle de Doliprane au kilo, mais lui conseillez d’appeler le centre antipoison dont elle dépend (liste sur le Vidal) pour en avoir le cœur net. Vous lui rappelez à l’avenir de bien ranger les flacons dans leur boîte d’origine avec la notice et la pipette appropriée. Les enfants, du fait de leur organisme immature, sont plus sujets aux intoxications médicamenteuses. La fièvre, si elle est bien tolérée, ne doit pas systématiquement être traitée.

LES PERSONNES ÂGÉES

Risques iatrogéniques accrus

Plusieurs facteurs accroissent les risques iatrogéniques de l’automédication :

→ l’altération des fonctions physiologiques, en particulier l’insuffisance rénale ou hépatique responsables respectivement d’une moindre excrétion ou métabolisation des produits ;

→ la fréquente déshydratation qui favorise l’accumulation des produits dans l’organisme avec un risque accru de surdosage et de toxicité ;

→ la baisse de l’acuité visuelle ou des fonctions cognitives, source d’erreurs de prises ;

→ les comorbidités fréquentes (troubles cardio-respiratoires, diabète…) ;

→ la polymédication avec un risque important d’interactions médicamenteuses ou de surdosages ;

→ le diagnostic difficile des effets indésirables peu spécifiques comme les vertiges, les malaises, un essoufflement, une sédation.

Conduite à tenir

→ Conseiller aux personnes âgées de limiter fortement l’utilisation de médicaments hors prescription. Insister sur cette mesure en été, lorsque les risques de déshydratation sont importants.

→ Surveiller en particulier l’usage des antidouleurs et le risque de surdosage avec les produits prescrits par le médecin, les patients sous traitement à faible marge thérapeutique (antihypertenseurs, anticoagulants, antiarythmiques). Attention aussi aux patients sous psychotropes dont l’effet sédatif potentialisé par certains traitements d’automédication (codéine, anti-histaminiques…) favorise les chutes (mise en cause fréquente dans les fractures du col du fémur).

LES ENFANTS

Risques d’erreurs accrus

Outre la moindre maturité physiologique de l’enfant (y compris la peau, plus fine, qui laisse passer plus facilement les produits d’usage local dans la circulation générale), plusieurs facteurs concourent également à un risque accru d’erreurs médicamenteuses :

→ la non-verbalisation des symptômes chez les plus jeunes ;

→ l’offre moindre de médicaments pédiatriques ;

→ la multiplication des erreurs “humaines” : dosages-poids, pipettes interchangées, transposition abusives de traitements adultes… Selon une enquête*, 55 % des parents font au moins une erreur en automédiquant leurs enfants.

Conduite à tenir

→ Éviter toute automédication chez le nourrisson.

→ Ne pas instaurer de traitements systématiquement en cas de symptômes bénins, comme une fièvre inférieure à 38,5 °C, qui est un moyen de défense de l’organisme.

→ N’utiliser que des traitements destinés à un usage pédiatrique, choisir les formes adaptées à l’âge, respecter les doses-poids, garder les notices et pipettes/dosettes/cuillères dans la boîte d’origine.

→ Ne jamais adapter la dose d’un médicament destiné aux adultes.

→ Respecter les indications des traitements : le paracétamol ou l’aspirine ne sont pas des traitements pour aider à mieux dormir…

LES FEMMES ENCEINTES/ ALLAITANTES

Risque d’exposition de l’enfant

Pendant la grossesse, la prise de médicaments par la mère expose le fœtus à un risque de malformation (variable selon les molécules et le terme de la grossesse) et de toxicité. Au cours de l’allaitement, certains médicaments absorbés par la mère passent dans le lait : l’enfant dont l’organisme est immature peut y être exposé avec un risque de toxicité potentielle.

Conduite à tenir

→ Demander systématiquement l’avis du médecin/pharmacien/sage-femme avant de prendre un médicament, y compris les traitements locaux (pommades, spray nasal…). Ils pourront en cas de doute consulter les centre régionaux de pharmacovigilance (liste sur le site www.sante-gouv.fr) ou le Crat (Centre de référence sur les agents tératogènes, www.crat.org).

→ En cas de nécessité, toujours préférer le paracétamol à tout autre antidouleur. Les AINS (ibuprofène en vente libre) et l’aspirine sont formellement contre-indiqués à partir du 6e mois de grossesse.

→ Privilégier les traitements homéopathiques.

LES MALADES CHRONIQUES

Risque d’aggravation

Certaines maladies chroniques :

→ peuvent être aggravées par la prise de traitements d’automédication ;

→ peuvent ralentir l’élimination, donc favoriser un effet toxique des médicaments.

Quelques cas courants

→ Rappeler aux diabétiques d’éviter tout sirop ou solution buvable sucrée, préférer les “sans sucre” maintenant largement commercialisés.

→ Les hypertendus qui suivent un régime hyposodé doivent éviter toute forme effervescente, riche en sodium.

→ L’insuffisance rénale expose à un risque toxique pour des doses moindres pour les produits normalement éliminés par le rein qui s’accumulent dans l’organisme. C’est le cas de tout AINS (aspirine, ibuprofène, etc.) qui ont de plus une toxicité rénale propre et risquent d’aggraver l’insuffisance rénale existante.

→ L’insuffisance hépatique sévère expose au risque d’accumulation des produits normalement métabolisés par le foie. Le paracétamol, hépatotoxique, n’est pas indiqué dans ce cas.

→ Attirer l’attention des alcoolodépendants en sevrage sur l’alcool contenu dans de nombreuses solutions buvables, les sirops, les teintures mères, bains de bouche qui peuvent déstabiliser leur traitement et/ou provoquer un effet antabuse involontaire.

LES MALADES POLYMÉDIQUÉS

Risques d’incompatibilités

Plus on multiplie les traitements, plus on expose à un risque d’interactions médicamenteuses.

Conduite à tenir

→ Les patients polymédiqués devraient s’abstenir de toute automédication sans un avis médical.

→ Tout traitement chronique doit être rappelé lors de l’achat d’un produit d’automédication.

→ Lors de l’instauration de tout traitement chronique, demander au médecin une liste de produits que l’on peut utiliser en automédication.

*“Automédication des enfants par les parents : un vrai risque”, enquête descriptive transversale, CHU de Toulouse, La Revue du praticien, n° 60, 20 juin 2010.

Point de vue…

« Penser aux associations quand la langue est une barrière »

Béatrice Baptiste, infirmière libérale à Thuir (66)

« Lors d’un stage à la Mutualité française, dans le cadre d’un DU en éducation pour la santé, j’ai été amenée à animer des ateliers sur le bon usage des médicaments, en collaboration avec une association d’intégration des femmes étrangères*. Je me suis rendue compte à quel point la barrière de la langue ou l’illettrisme pouvait compliquer le bon usage des médicaments prescrits ou non. Pour faire passer les messages, dans ce cas, il faudrait recourir à des supports papiers avec des dessins, plus compréhensibles, ou à un intermédiaire capable de traduire. Inciter ces populations à se tourner vers une association d’insertion est une bonne initiative. »

* Association départementale Femmes Espoir (Perpignan).

En cas d’ingestion excessive de paracétamol

L’intoxication au paracétamol est fréquente, soit lors d’accidents domestiques (enfants) ou lors d’erreurs de dosage.

→ Les risques : le paracétamol à dose excessive expose à une toxicité hépatique grave (parfois mortelle).

→ Les signes : des signes d’intoxication peuvent apparaître dans les heures suivant l’ingestion type nausées, vomissements, diarrhées, sueurs, mais ils peuvent aussi être absents et n’apparaître que lorsque les lésions hépatiques sont à un stade avancé, plusieurs jours plus tard.

→ La conduite à tenir : consulter immédiatement le médecin traitant ou appeler le centre antipoison. À savoir : il existe un antidote au paracétamol, la N-acétylcystéine, qui, si elle est utilisée tôt (dans un délai de 6 à 10 heures), contribue au traitement.