Pr Bruno Vellas, gériatre et responsable du Gérontopôle au CHU de Toulouse (31)
La vie des autres
Bruno Vellas dirige l’hôpital de jour d’évaluation des fragilités, à Toulouse. Cette structure pilote tient à prévenir le basculement des personnes âgées dans la dépendance. Une prise en charge novatrice, en partenariat avec les soignants au domicile : médecins généralistes et, bientôt, Idels.
À une époque où cette spécialité n’attire pas les foules parmi les étudiants en médecine, Bruno Vellas choisit la gériatrie. À l’université Paul-Sabatier de Toulouse, les cours dispensés par le Pr Albaret le passionnent et dessinent sa voie : « J’ai alors compris que la gériatrie était une spécialité où il y avait encore beaucoup à faire et dans laquelle la recherche n’était pas déconnectée des soins, par opposition à certaines disciplines où tout est centré sur la recherche moléculaire, par exemple. » Un intérêt peut-être aussi suscité par son père, professeur de droit, qui s’était intéressé au vieillissement, au point de créer l’Université du troisième âge de Toulouse, en 1973.
Dans les années 1980, Bruno Vellas est donc l’un des premiers internes des hôpitaux à choisir la gériatrie. Son parcours de pionnier ne fait que commencer… Après son clinicat, il part pour Albuquerque, aux États-Unis. Là-bas, il étudie la nutrition, ainsi que les chutes des personnes âgées et leurs incidences au long cours. À son retour, en 1990, il entre au CHU de Purpan et initie des recherches sur la nutrition et l’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées. Ses travaux l’amènent à se pencher sur la maladie d’Alzheimer. Constatant que sa prévalence est élevée, il crée le Centre de mémoire, de ressources et de recherches (CM2R) de Midi-Pyrénées. En effet, depuis toujours, ce médecin tient à lier étroitement soins cliniques et recherche.
Ces dernières années, il s’est intéressé de près à la dépendance. Son credo est simple : au lieu de prendre en charge la dépendance a posteriori, préoccupons-nous de la prévenir. Ou, du moins, de maintenir le plus possible les capacités d’autonomie des personnes âgées. « 95 % de la gériatrie intervient trop tard, sur des sujets acquis à la dépendance. Il nous faut agir aussi sur la prévention, argue notre gériatre. 40 % des personnes présentent des signes de fragilité à partir de 65 ans. Or, plus celle-ci est dépistée de manière précoce, meilleures sont les chances de stabilisation ou même d’amélioration. » Précisons que les gériatres recensent trois types de sujets âgés : les personnes autonomes, les personnes dépendantes, et, à mi-chemin, les personnes “fragiles”, à savoir autonomes pour l’instant, mais qu’un événement de vie ou l’irruption d’une pathologie pourrait faire basculer dans la dernière catégorie…
En 2007, le Gérontopôle de Toulouse est créé, avec Bruno Vellas à sa tête. Inspiré des “cancéropôles”, cet ensemble intégré au CHU fédère cliniciens et chercheurs en gériatrie. Quatre ans plus tard, en septembre 2011, une structure pilote voit le jour au sein du Gérontopôle : l’hôpital de jour d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance. Un établissement destiné aux personnes de 65 ans et plus, détectées par leur médecin traitant comme étant “fragiles” au regard de la dépendance. Six critères sont listés dans la fiche de repérage destinée aux médecins traitants : la solitude du patient, une perte de poids récente (4 ou 5 kilos en un an), une difficulté à se déplacer, une vitesse de marche ralentie (plus de 4 secondes pour parcourir 4 mètres), des problèmes de mémoire. Un sujet âgé est considéré comme fragile s’il présente au moins 3 de ces 5 critères.
En pratique, l’hôpital de jour a adressé un mailing à plusieurs milliers de médecins généralistes de Toulouse, de la Haute-Garonne et des départements limitrophes. Actuellement, 156 d’entre eux collaborent activement, en orientant des patients perçus comme fragiles vers l’hôpital de jour (lire l’encadré du bas). Dans un avenir proche, il est prévu d’intégrer les Idels dans cette démarche (lire l’encadré ci-dessus). Pour étendre son périmètre de recrutement des patients, l’établissement va collaborer avec des centres communaux d’action sociale. De plus, plusieurs maisons de santé pluriprofessionnelles de Haute-Garonne se montrent intéressées par la démarche de repérage et envisagent de s’y impliquer, avec des Idels.
Pérennisé depuis avril 2013, l’hôpital de jour a quitté le secteur de Purpan, à l’ouest de la ville, pour s’installer en bord de Garonne, au centre-ville, au plus près des patients. Saluée par la ministre des Personnes âgées et de l’Autonomie, cette structure devrait bientôt faire des émules ailleurs en France.
Et au-delà de nos frontières, qu’en est-il « Tous les pays membres de la Société mondiale de gérontologie et gériatrie (SMGG) se soucient de prévenir la dépendance », assure le responsable du Gérontopôle, qui a présidé pendant dix ans la SMGG. Une fonction qui a amené ce Toulousain pure souche, père de trois enfants, à voyager souvent. En juin dernier, à 56 ans, il a été élu à l’Académie de médecine. Récompense suprême pour un parcours de pionnier.
Pour en savoir plus : www.ensembleprevenonsladependance.fr, www.chu-toulouse.fr.
« Le travail de repérage des personnes âgées fragiles est effectué par les médecins généralistes. Mais les Idels ont un rôle à jouer : elles ne doivent pas juste se centrer sur les sujets dépendants, mais aussi intervenir en amont, dans la détection. Dans certaines situations, elles pourraient se demander si le sujet âgé ne présente pas un risque de fragilité, et l’interroger dans ce sens. Nous préparons ainsi une nouvelle échelle de repérage dans laquelle les Idels auront à donner leur impression clinique. Après l’évaluation, elles doivent être en mesure de suivre le Plan personnalisé de soins : nutrition, préconisations d’exercice physique… Une nouvelle médecine et de nouveaux soins infirmiers sont à inventer. Ce qui suppose des formations, de nouvelles missions et, peut-être, de nouveaux actes de nomenclature. »
L’hôpital de jour accueille les personnes de 65 ans que leur médecin généraliste a identifiées comme “fragiles”. Sur une journée, les capacités physiques et mémorielles, les éventuels troubles visuels et auditifs, l’alimentation et l’autonomie sont passés au crible par une équipe pluridisciplinaire. Les soignants se réunissent ensuite pour proposer un PPS sous la forme de deux à trois recommandations pragmatiques et réalisables au quotidien, pour préserver les capacités d’autonomie (conseils nutritionnels, d’exercices d’éducation physique ou de mobilisation). L’équipe étudie les aides sociales à mettre éventuellement en place. Si une pathologie sous-jacente est décelée, le sujet âgé est orienté vers un spécialiste. Dans les quinze jours qui suivent son passage à l’hôpital, il est invité à consulter son médecin traitant. Informé des résultats de l’évaluation par l’hôpital de jour, celui-ci coordonne le suivi du PPS.