HAUTE-GARONNE (31)
Initiatives
Infirmière libérale, Marguerite Costa tient un cabinet de sevrage tabagique depuis 2007, dans la région toulousaine. En quelques consultations, elle aide les patients à arrêter de fumer
Sa première cigarette, elle s’en souvient comme si c’était hier. Elle avait 15 ans. Une copine, qui voulait dissimuler son tabagisme à ses parents, lui avait demandé de garder son paquet pour la nuit. « Problème : cette nuit-là, j’ai eu une insomnie terrible, se souvient Marguerite Costa. Alors, ne sachant pas quoi faire, j’ai pris une cigarette dans le paquet de ma copine… » Elle ignorait qu’elle venait de mettre la main dans un engrenage pernicieux qui allait l’assujettir pendant plus d’une décennie… Treize ans plus tard, Marguerite a 28 ans et attend son deuxième enfant. Un soir, Jean-Jacques, son mari, écrase sa dernière cigarette dans un cendrier en décrétant : « À partir de maintenant, on arrête de fumer, tous les deux. » Pour Marguerite, c’est la torture pendant plusieurs mois : elle fume en cachette et doit gérer les moments de manque qui occasionnent crises de larmes et bris de vaisselle… « Cela a été terrible. J’ai fini par y arriver seule, mais il est bien plus facile de se faire aider. » Aussi, quand, devenue infirmière à la clinique Ambroise-Paré à Toulouse, elle assiste à une conférence sur la tabacologie, elle a le déclic.
Tout en continuant à travailler et à s’occuper de sa famille nombreuse – un troisième enfant est né en 2000 – Marguerite, qui avait décroché son diplôme d’infirmière en 1991, se décide à retourner sur les bancs de la fac. Après une année d’études, en juin 2006, elle obtient le diplôme universitaire de tabacologie à l’université de médecine de Toulouse. Et ne s’arrête pas en si bon chemin : elle enchaîne sur un diplôme interuniversitaire de thérapie comportementale et cognitive. « Il me semblait intéressant d’aborder aussi ce qui relève de la dépendance psychologique. » Car, comme l’explique la tabacologue à chaque consultation avec un nouveau patient, il existe trois types dépendance : la plus connue est physique, reliée à la dose de nicotine absorbée chaque jour ; une autre, psychologique, repose sur les idées que le fumeur émet au sujet de la cigarette (elle calme, console, tient compagnie) ; la dernière est comportementale : elle assujettit le fumeur à une gestuelle, à des rites (avec un café, avec de l’alcool…) et à des situations (la convivialité…).
Dès septembre 2006, elle ouvre, à la clinique Ambroise-Paré, en tant que salariée, la première consultation de tabacologie au sein d’un établissement de santé en Haute-Garonne. C’est en avril 2007 qu’elle opère le grand saut en se lançant en libéral, tout en conservant, les premières années, son mi-temps à Ambroise-Paré. Elle ouvre son cabinet de sevrage tabagique à Montrabé, près de Toulouse, où elle vit. Aujourd’hui, elle assure une centaine de consultations par an, à son cabinet, mais aussi à la clinique Saint-Jean-du-Languedoc, où un pneumologue lui laisse sa salle de consultation, tous les vendredis après-midi : un bon moyen de recevoir ses patients au centre-ville de Toulouse, toujours sous le statut de libérale.
Les consultations permettent de faire le bilan des dépendances physique, psychologique et comportementale, des motivations du patient pour arrêter de fumer, ou pour poursuivre la vie sans cigarette, et de ses habitudes de vie : consommation de café, d’alcool, de cannabis, pratique d’un sport, prise de poids… Toutes les données relevées sont notées dans un dossier papier mais aussi dans le logiciel de tabacologie CDT.net. C’est également l’occasion de mesurer le taux du monoxyde de carbone (CO) dans les poumons, via le testeur de CO, qui permet d’évaluer la quantité de CO absorbée par un fumeur par tranche de 24 heures. On peut ainsi en déduire le besoin quotidien d’un fumeur en nicotine – ou, le cas échéant, valoriser l’abstinence d’un ex-fumeur. « Ce qui est dangereux, c’est le volume de fumée qui entre dans les poumons. Celui-ci dépend du nombre de cigarettes consommées, mais aussi et surtout de l’intensité avec laquelle on “tire” sur la cigarette », précise Marguerite Costa. À 16 heures, au cabinet de Montrabé, arrive Ludivine, une jeune femme de 37 ans, qui s’apprête à fêter une année entière sans fumer. Après le test de CO et un questionnaire d’évaluation de l’anxiété, la conversation s’engage. Face aux risques de tentation évoqués, la tabacologue propose à Ludivine des trucs et astuces : limiter sa consommation d’alcool, laquelle abaisse la vigilance et risque d’exposer à la tentation, réaliser des “visualisations”, où on s’imagine, à l’avance, en train de refuser une cigarette qui est proposée au cours de la soirée.
En fin d’après-midi, Marguerite Costa file à la polyclinique du Parc, située dans le quartier Saint-Michel de Toulouse. En 2011, l’infirmière tabacologue a été sollicitée par les cardiologues pour établir des bilans tabacologiques de patients hospitalisés, dans le cadre d’un check-up cardiaque. « Par la suite, j’ai suggéré d’étendre ce type de prise en charge à tous les patients hospitalisés en cardiologie et en pneumologie. Ces patients font l’expérience de trois ou quatre jours sans fumer : c’est le moment d’agir ! S’ils acceptent, et sur prescription médicale, je vais à leur rencontre dans leur chambre, pour une consultation d’une heure. Je les rappelle ensuite à un mois, puis à trois mois. » Dans ce cas, les interventions de l’infirmière tabacologue sont gratuites pour les patients, car elles sont prises en charge dans le cadre d’une subvention de MIG (Mission d’intérêt général) que la clinique perçoit pour la prévention et l’éducation à la santé.
Cette prise en charge intéresse vivement les soignants des services de cardiologie et de pneumologie. Il faut dire que ceux-ci aperçoivent parfois, avec dépit, des patients hospitalisés en train de fumer à la fenêtre de leur chambre, malgré l’interdit ! Récemment, Marguerite Costa a proposé la même démarche aux gynécologues de la maternité de la clinique Saint-Jean. L’objectif est de se rendre au chevet de femmes enceintes hospitalisées, de futures mamans en salle de travail, ou de femmes qui viennent d’accoucher, afin d’évoquer avec elles le sevrage tabagique. Ou la réduction de la consommation de tabac, pour celles qui allaitent.
Le lendemain, à 13 h 30, Marguerite Costa file à la clinique Saint-Jean pour ses consultations. La première patiente de ce jour-là, une jeune fille de 16 ans, confirme qu’elle n’a pas touché une cigarette depuis trois semaines. Marguerite Costa l’embrasse en guise d’encouragement et de félicitations. Chez les jeunes, la tentation du tabac est réelle. Puis vient Madeleine, 76 ans, qui a récemment arrêté ses huit cigarettes quotidiennes, encouragée par son mari. Ensuite, une jeune femme d’une vingtaine d’années entre dans la pièce : c’est sa première consultation. Décidée à arrêter le soir même, elle se fait bien expliquer l’usage des patchs. La tabacologue lui prodigue quelques conseils : l’annoncer d’emblée à ses amis, inviter uniquement des amis non fumeurs chez elle, pour commencer…
En guerre contre les dépendances, contre les influences et les tentations extérieures, contre les dégâts du tabac sur la santé, Marguerite Costa déploie tout un arsenal : la conviction, les substituts sous leurs différentes formes, les astuces de thérapie cognitive et comportementale, éventuellement une aide psychologique extérieure… « En général, un sevrage total requiert de quatre à six séances. Le suivi est essentiel car une séance ne suffit pas. » En 2010, 35 % des hommes et 22 % des femmes venus dans son cabinet avaient arrêté de fumer un an plus tard, alors qu’au niveau national, ces chiffres tombent à 3,5 %…
À l’heure où nous publions ces lignes, notre infirmière tabacologue a suivi son mari en Corse, où il a obtenu un poste. Elle espère poursuivre son activité d’infirmière tabacologue. Et cherche toujours un successeur pour ses patients de Toulouse…
* Plus d’infos sur son site : www.aidepourarreterdefumer.sitew.com
« La première consultation de sevrage dure une heure, et est facturée 48 euros, détaille Marguerite. J’adresse un bilan au médecin traitant. Les séances suivantes durent trente minutes et coûtent 35 euros. Je propose aussi des forfaits de sevrage à 200 euros. » Certes, cela représente un coût pour le patient, d’autant que l’Assurance maladie ne prend pas en charge ces consultations. « Le fait de payer peut avoir ses vertus, en donnant du prix à la démarche que l’on entreprend. » Les substituts nicotiniques peuvent faire l’objet d’un remboursement de la part de la Sécurité sociale, dans la limite de 50 euros par an et par patient, et de 150 euros pour une femme enceinte. Certaines mutuelles apportent aussi une contribution. Mais, pour cela, les produits de substitution doivent être prescrits par un médecin, une sage-femme ou un dentiste. Marguerite espère que les infirmières pourront, un jour, comme en Belgique, prescrire des patchs.