Cahier de formation
Lors de votre première visite chez madame J., celle-ci vous demande quel pansement elle pourrait mettre sur une petite plaie sur le tibia « qui n’en finit plus de guérir ».
Vous lui expliquez que sa plaie a de fortes chances d’être un ulcère de jambe défini comme une plaie de la jambe ne cicatrisant pas depuis plus d’un mois. Dans ce cas, vous ne pouvez pas intervenir sans qu’un bilan artériel permette de dire si cet ulcère à une origine artérielle ou veineuse. Il faut en parler au médecin.
L’ulcère artériel est la principale complication cutanée de l’AOMI et situe la maladie au stade IV de la classification de Leriche et Fontaine. L’ulcère artériel est directement en rapport avec le défaut de perfusion artérielle du membre dû à l’ischémie. L’examen du mécanisme physiopathologique permet de distiguer l’ulcère artériopathique (ulcère artériel pur) des diagnostics différentiels : angiodermite nécrotique (ulcère de Martorell) touchant les artérioles, les ulcères dits “capillaritiques”, volontiers mixtes (artériels et veineux), et les ulcères neurotrophiques liés au diabète.
→ Plaie unique, souvent multiple.
→ Une localisation suspendue (faces antérieures ou latérales de la jambe) ou distale (face dorsale du pied, orteils). Les zones les plus vulnérables sont la crête tibiale, le tendon d’Achille, ainsi que les malléoles internes et externes.
→ Volontiers profond, dénudant rapidement les tendons sous-jacents.
→ Les bords décollés sont le plus souvent en rapport avec une étiologie artérielle.
→ La peau péri-ulcéreuse, froide, décolorée, lisse et dépilée, présente les signes d’insuffisance artérielle chronique.
→ La douleur spontanée reste constante, exacerbée par le décubitus, obligeant le patient à dormir souvent avec la jambe pendante en dehors du lit.
La Haute Autorité de santé (HAS) recommande que tout ulcère de jambe fasse l’objet d’une évaluation de l’indice de pression systolique (IPS) pour évaluer le fonctionnement artériel
L’examen de l’ulcère doit rechercher les signes d’artériopathie : claudication intermittente ou douleurs de décubitus. La présence de varices, d’œdèmes, de dermite ocre et d’atrophie blanche, permet d’évoquer la coexistence d’une insuffisance veineuse associée (ulcère mixte).
→ L’échographie-doppler montre le niveau et le type des lésions artérielles, et permet de mesurer l’IPS.
→ L’artériographie oriente la décision opératoire. Elle précise le siège de l’oblitération, sa longueur, et dépiste des plaques athéromateuses qui risquent de produire des emboles.
→ La mesure de la PO2 transcutanée reflète l’oxygénation de la peau. C’est l’examen de référence pour l’évaluation de l’ischémie chronique permanente. Son résultat est pris en compte dans la décision et le niveau d’une éventuelle amputation.
→ L’échographie abdominale à la recherche d’un anévrisme de l’aorte abdominale, source d’emboles vasculaires.
Si la restauration d’une circulation artérielle suffisante n’est pas possible et si les facteurs de risque artériel ne sont pas corrigés, l’ulcère s’aggrave, ce qui peut conduire à l’amputation ou à une surinfection de type gangrène. Lorsque la prise en charge est efficace, la situation évolue favorablement, mais des récidives, liées à l’état du terrain artéritique, sont fréquentes.
Dans les ischémies sévères ou après une ischémie aiguë, la décision d’amputation du membre est parfois nécessaire devant l’importance de la douleur, le risque septique (gangrène gazeuse) et les risques de décompensation viscérale.
Comme le stade III de Leriche et Fontaine, le stade IV, stade des troubles trophiques, requiert une prise en charge urgente pour éviter une amputation du membre atteint. Le traitement repose en premier lieu sur une chirurgie de revascularisation locale suffisante à la cicatrisation. L’objectif est la guérison de la plaie mais aussi le sauvetage du membre et souvent du malade lui-même.
Le traitement repose en premier lieu sur la revascularisation locale pour une perfusion suffisante à la cicatrisation de l’ulcère. Le bilan vasculaire permet d’établir un pronostic de la cicatrisation. « Le concept “d’ischémie critique” est né de l’association d’une insuffisance circulatoire chronique avec des lésions cutanées dont la cicatrisation spontanée n’est plus possible »
Au stade IV de la classification de Leriche et Fontaine, la plaie est douloureuse, spontanément, avec des douleurs paroxystiques à certains moments de la journée. Le traitement antalgique de fond est le même que pour l’ischémie chronique.
Réservé à l’usage hospitalier, l’iloprost (Ilomedine) est indiqué dans le traitement de l’ischémie chronique sévère des membres inférieurs chez les patients ayant un risque d’amputation et chez lesquels la revascularisation par chirurgie ou angioplastie a échoué ou n’est pas indiquée. Le mécanisme d’action de l’iloprost n’est pas exactement connu. Ses effets pharmacologiques sont :
→ inhibition de l’agrégation plaquettaire, de l’adhésion, et de la sécrétion plaquettaires ;
→ dilatation des artérioles ainsi que des veinules ;
→ augmentation de la perfusion du réseau capillaire nutritif.
Le traitement par iloprost ne doit pas retarder le recours à la chirurgie chez les patients nécessitant une amputation urgente (par exemple, en cas de gangrène infectée).
Le traitement local de l’ulcère artériel reprend les phases de la cicatrisation dirigée préconisée dans le traitement des plaies chroniques (lire “Les plaies chroniques” du Cahier de formation de L’Infirmière libérale magazine n° 291, avril 2013). La détersion réalisée sous antalgique débute par une douche tiède prolongée. Les lavages fréquents à l’eau savonneuse permettent de réduire le nombre de germes présents. Il est conseillé de savonner toute la jambe et la plaie avec un savon doux, un savon liquide sans parfum et sans conservateur. Les savonnettes et le savon de Marseille, trop alcalin, sont à éviter. Si le patient ne peut se déplacer sous la douche, un lavage à l’eau savonneuse avec une bassine est beaucoup plus efficace qu’un peu de sérum physiologique à la seringue. La plaie est ensuite rincée abondamment pour casser le film bactérien. La fibrine et les tissus nécrotiques sont ensuite détergés mécaniquement (curette). La détersion est prolongée par la détersion autolytique à l’aide de pansements actifs.
L’usage systématique des antiseptiques sur les plaies chroniques est fortement déconseillé. Ils peuvent provoquer des résistances bactériennes locales et présentent des effets allergisants et irritants. Ils sont préconisés sur des temps courts, 15 jours maximum, pendant une phase critique, face à un problème infectieux local identifié par des signes cliniques, et sur prescription médicale. La détersion naturelle s’accompagne de pus, on parle de “détersion suppurée”, mais ce n’est pas un signe d’infection. Le respect de la flore bactérienne participe à la détersion et contre-indique l’utilisation d’anti-inflammatoires, d’antiseptiques et d’antibiotiques en l’absence de signes avérés d’infection.
Très fragile, elle nécessite des précautions pendant le soin. Après le lavage de la plaie, la peau périphérique est séchée pour éviter un risque de macération qui entraînerait l’agrandissement des plaies et/ou l’apparition d’ulcères satellites. Ne pas prendre d’appui sur les bords de la plaie pendant la détersion. Le pansement adhésif ne doit pas altérer la peau périlésionnelle. Les pansements aux bords siliconés minimisent les traumatismes. Le retrait du pansement est plus facile lorsqu’il est saturé. Sinon, l’application d’eau ou de solvant (Remove, éther) peut être nécessaire. Les infirmières privilégient les pansements non adhésifs maintenus par des bandes de type “Peha-haft”.
En cas d’AOMI, il existe une résistance à l’écoulement du sang. Si on ajoute un bandage élastique, il y a réduction du flux artériel ou une interruption totale du débit si la pression de la compression dépasse la pression intra-artérielle. Ce qui entraîne un risque d’aggravation des conséquences de l’artérite, voire d’amputation.
En cas d’arthériopathie sévère stade III et IV, avec un IPS inférieur à 0,55, la compression est contre-indiquée. Au stade I et II, elle est possible, mais elle nécessite une excellente surveillance clinique, une bonne connaissance de la compression et l’utilisation de bandages à allongement faible (pression de repos faible ou nulle et pression de travail intéressante).
La contention non élastique est autorisée (bandes de coton). Elle n’a pas d’intérêt dans le traitement de l’ulcère artériel pur, mais elle peut être utile pour agir sur un œdème. Pour être efficace contre l’œdème, la contention doit être mise en place avant le lever, ce qui implique de passer tôt chez les patients concernés. Pour pallier cette difficulté, l’infirmière peut demander au patient de s’allonger une heure et demie avant sa visite pour “vider” à nouveau la jambe.
La présence de germes sur un ulcère est un phénomène non pathologique (colonisation) et ne justifie pas de prélèvements bactériologiques ni de traitements antiseptiques ou antibiotiques systématiques. Dans certains cas, l’ulcère peut représenter une porte d’entrée à une infection cutanée. L’infirmière doit y penser devant une augmentation de la douleur locale, une inflammation des bords (signe non spécifique), une lymphangite ou de la fièvre.
L’ulcère mixte à prédominance veineuse est un ulcère ayant pour cause principale une insuffisance veineuse, mais s’associant à une AOMI modérée n’expliquant pas à elle seule la présence de l’ulcère.
Les patients souffrant d’ulcère mixte à prédominance veineuse doivent être pris en charge comme des patients souffrant d’une AOMI dont il faut essayer d’améliorer le pronostic local et cardiovasculaire général.
Le patient présente à la fois des signes d’ulcère veineux (antécédent de phlébite, présence de varices, hypodermite…) et d’ulcère artériel (abolition des pouls, douleur à la marche…). Le but sera d’identifier la principale pathologie responsable de l’ulcère pour la traiter en priorité.
La mesure de l’IPS présente un double intérêt :
→ diagnostiquer une AOMI sous-jacente susceptible d’expliquer ou d’aggraver l’ulcère (une ischémie sévère empêche la cicatrisation) ;
→ adapter la compression.
Un IPS compris entre 0,7 et 0,9 révèle un ulcère mixte à prédominance veineuse. Un IPS supérieur ou égal à 0,9 indique un ulcère veineux pur. Ce critère n’est plus valable en cas d’artères incompressibles (IPS supérieur à 1,3).
La prise en charge se fait en fonction de la sévérité de l’atteinte artérielle.
En cas de troubles trophiques mixtes artériels et veineux, avec un IPS compris entre 0,7 à 0,9, la contention est possible sous forme d’un bandage rigide, non élastique, efficace et active à l’effort et quasi inactive au repos. Les bottes de Unna (marques Varolast, Varicex) peuvent aussi être utilisées. Ces bottes enduites d’oxyde de zinc permettent une meilleure cicatrisation.
La HAS précise qu’il n’existe pas d’étude permettant de déterminer le niveau de compression utilisable en fonction de la sévérité de l’AOMI
Un IPS supérieur à 0,8 autoriserait le maintien d’une compression forte. Avec un IPS compris entre 0,5-0,6 et 0,8, la compression peut être utilisée :
→ en étant allégée,
→ en privilégiant pour certains les compressions à étirement court qui exercent une compression légère au repos,
→ sous surveillance médicale spécialisée,
→ en informant le patient qu’en cas d’aggravation des douleurs, le bandage doit être retiré,
→ en s’assurant que le patient peut retirer la compression par lui-même.
Si l’IPS est inférieur à 0,5, la compression est contre-indiquée dans les ulcères mixtes.
(1) “Prise en charge de l’ulcère de jambe à prédominance veineuse hors pansement”, Recommandations de la HAS, juin 2006.
(2) “Prise en charge et traitement des ulcères artériels”, Société française et francophone des plaies et cicatrisations.
Professeur Patrick Carpentier, chef de pôle pluridisciplinaire de médecine et coordonnateur de l’unité de médecine vasculaire du CHU de Grenoble (38)
« Environ 10 % des personnes de 50 ans et 20-25 % des personnes de 70-80 ans ont une artériopathie. Parmi les personnes qui ont un ulcère veineux et parmi celles qui ont un pied diabétique, certaines ont une artériopathie dont il faut tenir compte dans le traitement. Idem pour les personnes âgées avec escarre. Avec un IPS à 0,8, l’artérite n’est pas responsable, mais avec un IPS à 0,6 ou 0,5, l’artériopathie est assez sévère pour contribuer à la constitution de l’escarre, de l’ulcère ou du mal plantaire. Il est important de dépister mais aussi d’évaluer la sévérité de l’artériopathie. Sachant que, chez le diabétique, le diagnostic peut être plus compliqué à cause des artères calcifiées. Un mal perforant mixte, neuropathie diabétique et insuffisance artérielle, est plus difficile à cicatriser. »
Jérôme Kern, infirmier libéral à Marseille (13) et formateur en plaies et cicatrisation
« Chez les patients autonomes avec un ulcère de jambe, je douche la jambe entière avec le pied. Je fais couler de l’eau tiède sur la plaie avec la douchette à faible pression. Par ce procédé, j’enlève la fibrine ou je la ramollis pour faciliter sa détersion mécanique. »
Isabelle Gaillard, infirmière libérale à Poisat (38), titulaire d’un DU plaies et cicatrisation
« Aucune prise en charge par la Sécurité sociale n’est prévue à la NGAP. Il faut alerter. Le passage de l’infirmière est nécessaire parce que la pose d’une contention n’est pas si simple. Les patients ne sont pas forcément à même de le faire eux-mêmes, et ils payent de leur poche le passage de l’infirmière. »
Professeur Patrick Carpentier, chef de pôle pluridisciplinaire de médecine et coordonnateur de l’unité de médecine vasculaire du CHU de Grenoble (38)
« On constate de plus en plus d’ulcères artériels chez des patients veineux et d’ulcères veineux chez les patients artériels. Ainsi, il peut y avoir un ulcère artériel pur chez un patient qui a des varices. Or, le traitement de l’ulcère, c’est d’abord le traitement de la cause. Il faut donc connaître son étiologie. Car, en cas d’ischémie sévère, l’ulcère mixte, comme l’ulcère artériel, impose de rechercher les possibilités de revascularisation dans une situation de sauvetage de membre. Si on ne le fait pas, il y a un risque de gangrène et d’amputation. »
→ AMI 4 pour les pansements lourds et complexes nécessitant des conditions d’asepsie rigoureuse (ulcère étendu ou greffe cutanée sur une surface supérieure à 60 cm, escarre profonde et étendue atteignant les muscles ou les tendons) prévus par NGAP (titre XVI, chapitre I, article 3).
→ AMI 4 pour le «
→ AMI 2 pour les plaies ne répondant pas à ces critères (article 2, “Autre pansement”).
→ La majoration de coordination infirmière (MCI) d’une valeur de 5 euros par passage peut être rajoutée lorsqu’une coordination est effectivement réalisée par l’infirmière libérale pour la prise en charge des patients nécessitant des pansements complexes pour les soins les plus lourds, notamment les escarres et les plaies chroniques.