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Exit la formation continue, place au développement professionnel continu (DPC). Volet de la loi HPST, ce nouveau dispositif est entré en vigueur en 2012, mais c’est cette année qu’il se déploie véritablement. Sont concernés les professionnels de santé de tout exercice. Alors, DPC-vous !
Dans les tuyaux depuis l’adoption de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009, le DPC voit enfin le grand jour. Si se former était auparavant un devoir, désormais, qu’on se le dise, ce sera obligatoire ! Ainsi, quelque 1,5 million de professionnels de santé devront suivre chaque année
Les infirmières libérales sont évidemment concernées par cette nouvelle donne. Et c’est tant mieux pour Sylvie Alcaïde, vice-présidente de l’URPS Midi-Pyrénées : « On constate que les libérales se forment peu : ce sont souvent les mêmes qui s’inscrivent dans cette démarche. Savoir que des libérales qui exercent depuis dix, voire vingt ans, n’ont suivi aucune formation depuis n’est pas très rassurant, car les techniques de soins ont quant à elles beaucoup évolué ainsi que les pathologies à prendre en charge, tout comme les patients. » Dans ce contexte, l’une des missions des URPS est de promouvoir le DPC auprès des Idels. Celle de Midi-Pyrénées a opté pour la réalisation d’une brochure qui sera envoyée cet automne aux 4 600 Idels de la région.
En 2012, une dizaine de milliers d’Idels ont participé à une action de formation dans le cadre de la formation continue. C’est peu, au regard des quelque 80 000 professionnelles en activité – même si cette donnée ne prend pas en compte les autres types de formation (commes les réseaux, associations professionnelles, laboratoires, congrès, etc.).
Autre innovation de taille, les formations seront construites autour de deux axes. Le premier portera sur l’évaluation des pratiques professionnelles (brique EPP) – rappelons que l’EPP doit comparer ce qui est fait dans la pratique professionnelle à la pratique attendue par les recommandations professionnelles. Le but de cette autoévaluation, qui s’apparente à une étape d’introspection professionnelle, est donc de permettre aux professionnels de santé d’identifier leurs points faibles. Le second porte sur l’acquisition de connaissances et évaluation de compétences (brique cognitive). À l’issue de l’action de formation, le professionnel de santé devra une nouvelle fois s’autoévaluer pour mesurer, cette fois-ci, ses acquis et, le cas échéant, le chemin qui lui reste à parcourir pour atteindre les standards recommandés. La démarche est donc très différente d’une formation “classique”, où aucune évaluation n’était requise en amont comme en aval… Tout l’enjeu du DPC consistera pour les organismes de formation à articuler brique EPP et brique cognitive.
Le pilotage et le suivi du DPC ont été confiés à l’Organisme gestionnaire du développement professionnel continu (OGDPC). Créée en juillet 2012, l’instance est un groupement d’intérêt public entre l’État et l’Assurance maladie, cette dernière finançant la majeure partie du dispositif. Selon Monique Weber, sa directrice générale, la transition entre ancienne et nouvelle formule de formation est satisfaisante : « Les infirmières libérales sont d’ailleurs les professionnels de santé qui ont le mieux répondu à ce changement. » À la mi-août, plus de 9 800 Idels avaient ouvert leur dossier DPC et 7 130 environ étaient inscrites à un programme de formation. Désormais, en effet, de l’inscription au choix des formations, toutes les opérations s’effectuent via www.mondpc.fr. L’équipe de l’OGDPC étant réduite – trente personnes actuellement –, Internet devient la principale interface entre l’organisme gestionnaire, les professionnels de santé et les opérateurs de formation. « Les libérales peuvent toutefois nous joindre par téléphone. Une équipe de conseillers leur est dédiée pour répondre à toutes leurs questions et les accompagner dans leurs différentes démarches », précise Monique Weber. En cette année de lancement, l’OGDPC n’est pas en mesure de financer la formation de tous les professionnels de santé. S’agissant des Idels, l’organisme a budgété une enveloppe de plus de 11 260 millions d’euros, ce qui devrait permettre à quelque 10 543 infirmières de valider leur DPC en 2013, et ce qui équivaut à 40 % de plus de libérales formées qu’en 2011, indique l’OGDPC. « Si nous devions dépasser la prévision, nous ajusterons notre enveloppe budgétaire avec celle des autres professionnelles de santé, puisque, hormis les médecins qui sont à part, les autres professionnels de santé font partie du même budget. Nous avons donc toute latitude pour faire glisser les financements d’une profession à l’autre », assure Monique Weber. En espérant toutefois que les autres professionnels ne dépassent pas à leur tour les prévisions budgétaires, sinon, ça va coincer… Dans un communiqué commun, publié le 12 septembre dernier, MG France, syndicat des médecins généralistes et MG Form, organisme de formation pour le DPC des médecins généralistes, s’alarment aussi sur les cafouillages dans la mise en place du dispositif. « La décision politique de développer les formations interprofessionnelles, les formations de formateurs et les formations à la maîtrise de stage a été prise en juin dernier. Or, à ce jour, le dispositif de DPC mis en place par l’OGDPC est tellement lourd administrativement qu’il est impossible aux organismes professionnels de déployer ce type de formations innovantes », écrivent-ils. Et d’ajouter : « Cette situation crée de l’incertitude et de la colère dans les rangs des organismes de formation et des professionnels de santé qui voudraient suivre ces formations. » Actuellement, le DPC interprofessionnel, dont l’enveloppe budgétaire est de 1,4 ? million d’euros, est ainsi à l’arrêt. En cause, notamment, la répartition de l’indemnisation, car elle varie d’une profession à l’autre…
Concrètement, une fois le dossier ouvert– l’opération se réalise en quelques minutes, même si des libérales font part de “bugs” au moment de la validation –, les Idels pourront s’inscrire en ligne à une formation de leur choix auprès des organismes de formation évalués par des commissions scientifiques indépendantes (CSI) et, pour les paramédicaux, par le Haut Conseil des professions paramédicales. Soulignons que ce ne sont pas les formations en tant que telles qui sont “agréées” DPC, mais bien les organismes qui ont à justifier, via la présentation de leur projet pilote, d’un certain nombre de moyens humains, matériels et pédagogiques pour obtenir leur “homologation” DPC qui sera valable trois ans. Ils devront par ailleurs s’engager à proposer des programmes de formation conformes aux orientations nationales du ministère de la Santé ou régionales définies, dans ce cas, par les agences régionales de santé et qui comportent les méthodes et des modalités de formation édictées par la Haute Autorité de santé (HAS). Les derniers chiffres communiqués par l’OGDPC indiquent que plus d’un millier d’organismes ont déjà été évalués positivement par les CSI. Quelque 10 000 programmes toutes professions médicales et paramédicales confondues sont référencées par l’OGDPC et d’ores et déjà accessibles, parmi eux 4 550 sont dédiés aux infirmières de tout exercice.
Au fur et à mesure de la montée en charge du dispositif, l’offre devrait notamment s’étoffer aussi bien dans le domaine des formations présentielles qu’à distance, notamment par le biais du e-learning, voire avec des formules qui mixent les deux. Attention, inscription ne vaut pas acceptation en temps réel. Une confirmation doit être adressée par l’organisme aux postulantes. Côté budget, chaque libérale disposera, dès l’ouverture de son compte DPC, d’un forfait annuel de 1 065 euros maximum pour deux journées ou quatre demi-journées de formation. Cette somme couvre à la fois le coût de la formation mais prévoit aussi – et c’est là aussi une avancée notable – une indemnisation de 118,13 euros par demi-journée. La gestion est assurée par l’OGDPC qui rétribue l’organisme de formation choisi et règle l’indemnisation par virement au professionnel de santé après que ce dernier a répondu obligatoirement à un questionnaire d’évaluation disponible en ligne sur son espace quelques jours après sa formation. Soulignons qu’avoir suivi une diplôme universitaire peut permettre de valider son DPC. Encore faudra-t-il que les universités fassent une démarche de validation auprès de l’OGDPC.
Avec le DPC, la formation continue passe de l’ère du prêt-à-porter à celle du sur-mesure. En fonction de ses besoins et de ses attentes, chaque libérale pourra construire, depuis son dossier en ligne, le contenu de sa formation. Ainsi, après avoir déterminé quelle orientation nationale elle souhaite suivre, elle pourra, grâce à l’utilisation des sous-menus, multiplier les combinaisons. Par exemple, si l’orientation n °1, qui porte sur l’amélioration de la prise en charge du patient, est choisie, une approche dominante pourra être ensuite sélectionnée parmi cinq possibilités : analyse des pratiques, approche intégrée à l’exercice professionnel, dispositifs spécifiques, enseignement et recherche, simulation. Puis la libérale sélectionne la forme en groupe, en présentiel ou en e-learning.
De leur côté, les opérateurs se sont préparés à ce changement de fond et de forme. Patron d’Orion, acteur majeur du secteur puisqu’il forme une grande partie des libérales chaque année, William Livingston confirme : « Nos formateurs ont été formés aux nouvelles techniques d’animations conformément au recommandations de la HAS. Le déroulement des sessions est aussi modifié : elles seront davantage axées sur la pratique. Bref, les formations seront plus dynamiques et plus participatives pour les professionnelles. On va d’ailleurs beaucoup travailler à partir de situations et de cas apportés par les infirmières elles-mêmes. De surcroît, les orientations nationales ayant un spectre large, nous allons pouvoir proposer des thématiques beaucoup plus variées qu’auparavant et accroître notre catalogue de formation à distance. »
Des éléments qui pourraient convaincre les libérales, qui ne voient pas d’un très bon œil cette obligation de se former surgir dans leur emploi du temps. À l’exemple d’Isabelle, infirmière dans le Lot, qui travaille seule. « Ce n’est pas tant l’idée de me former que je rejette, mais, à chaque fois, c’est un parcours du combattant pour trouver une remplaçante pour une ou deux journées. Je passe plus de temps à organiser mon remplacement qu’à faire la formation ! »
Pour Catie Kindel, libérale en Seine-et-Marne : « Si le e-learning peut être une option, ce ne sera pas mon choix premier. L’intérêt de la formation, c’est aussi de pouvoir échanger directement avec des collègues sur nos pratiques, mais également sur notre quotidien de libérales. Cependant, je reconnais que cela peut être une formule intéressante si on est éloigné des lieux de formation. » Il faudra sans doute de trois à cinq ans pour que l’OGDPC dispose du budget nécessaire à la formation de tous les professionnels de santé dont elle a la charge. Durant ce laps de temps, la souplesse sera donc de mise en la matière. L’indulgence sera évidemment plus grande si les libérales ont montré leur volonté de vouloir se former en ayant déjà ouvert leur dossier DPC… Bref, à vos claviers.
* Année civile : entre le 1er janvier et le 31 décembre.
→ 43 135 631,90 euros, c’est le montant du budget de formation DPC en 2013 pour toutes les professions de santé, hors médecins.
→ La formation non présentielle n’est pas comptabilisée en jours ou demi-journées, mais en étapes (3 minimum et 7 maximum). Dans ce cas, l’indemnisation sera de 236,26 euros.
→ Une demi-journée de formation par an, c’est l’obligation minimum de formation que devra remplir chaque infirmière libérale pour valider son DPC.
Catie Kindel, infirmière libérale à Cesson (Seine-et-Marne, 77)
« Avant de devenir libérale, j’étais formatrice en Ifsi. La démarche de formation continue est donc très importante pour moi. J’ai ouvert mon dossier DPC en septembre, et je vais suivre ma première formation dans ce cadre en octobre. C’est une bonne chose que la formation devienne obligatoire, car on peut très vite se sentir isolée dans nos pratiques. En outre, cela apporte de la crédibilité à notre profession. Et c’est aussi un gage de qualité supplémentaire pour nos patients. D’ailleurs, lorsque je leur dis que je m’absente pour une formation, ils apprécient. Pour mon premier DPC, j’ai choisi de suivre une formation dédiée aux patients sous anticoagulants, des situations que je rencontre chaque jour. L’objectif est de confronter ma pratique aux bonnes pratiques et de voir quel peut être mon champ d’action légal dans le conseil aux patients. Ce sera également l’occasion de découvrir de nouveaux médicaments et de nouvelles modalités de prises en charge. »
Sylvie Gaume, infirmière libérale à Coulanges-lès-Nevers (Nièvre, 58)
« J’ai suivi ma première formation dans le cadre du DPC en juin dernier, sur le dossier de soins. L’évaluation des pratiques professionnelles peut surprendre au départ, mais, finalement, c’est une démarche très intéressante. Dès la semaine suivante, j’ai commencé à mettre en place un dossier pour chacun de mes patients… Je me forme régulièrement chaque année. En soi, le DPC ne va donc pas bouleverser mes habitudes. Je regrette cependant que l’on perde des jours de formation, car le DPC ne propose que 4 demi-journées par an, alors qu’avec la formation conventionnée continue, nous avions le droit à 7 jours. Du coup, si l’on dépasse ce quota, les frais seront à notre charge. Nous sommes donc un peu perdantes. Pour ma part, si d’autres formations n’intéressent, je vais m’organiser pour y participer sur mes jours de repos. Néanmoins, je pense que l’obligation est une bonne chose, sinon, on a toujours de “bonnes raisons” pour ne pas se former… »
L’Ordre est désormais chargé de vérifier que les Idels ont rempli leur obligation de formation continue : de quelle façon va-t-il procéder ? De la manière prévue par la loi. Les Idels devront envoyer leur attestation de DPC annuel au conseil départemental dont elles dépendent. De notre côté, nous pourrons comparer leur déclaration avec celles expédiées par OGDPC. Et, tous les cinq ans, nous devrons vérifier que chaque libérale a suivi sa formation.
Quelles sont les sanctions auxquelles s’exposent les Idels qui ne satisferaient pas à cette nouvelle obligation ? Nous pouvons être conduits à prononcer une insuffisance professionnelle, même si, pour l’heure, aucun texte n’encadre cette sanction. Cependant, je ne peux imaginer qu’une infirmière refuse de se former. Dans cette esprit, notre démarche est vraiment de promouvoir la formation afin qu’elles soient au niveau, en phase, avec les avancées médicales et celles des sciences infirmières.
Enfin, nombre d’infirmières ne sont pas inscrites à l’Ordre national des infirmiers : quelle incidence cela peut-il avoir sur la validation de leur DPC ? Aucune. Dès lors qu’une infirmière n’est pas inscrite au tableau ordinal, il reviendra sans doute à l’agence régional de santé de s’assurer qu’elles ont suivi leur formation.
Lire l’interview de Marisol Touraine p. 8.
La liste déterminant les orientations nationales du développement professionnel continu des professionnels de santé pour l’année 2013 a été publiée sous forme d’un arrêté publié au Journal officiel le 26 février 2013.
→ Contribuer à l’amélioration de la prise en charge des patients.
→ Contribuer à l’amélioration de la relation entre professionnels de santé et patients.
→ Contribuer à l’implication des professionnels de santé dans la qualité et la sécurité des soins ainsi que dans la gestion des risques.
→ Contribuer à l’amélioration de la relation entre professionnels de santé et au travail en équipes pluriprofessionnelles.
→ Contribuer à l’amélioration de la santé environnementale.
→ Contribuer à la formation professionnelle définie à l’article L. 6311-1 du Code du travail.
• Durant la mise en place du DPC, certains organismes de formation ont bénéficié d’une période transitoire du 1erjanvier au 30 juin 2013. Ils ont donc été autorisés à dispenser des programmes DPC avant la publication des orientions nationales. Si ces programmes répondent aux critères du DPC, ils sont publiés sur le site de l’Organisme gestionnaire du développement professionnel continu, l’OGDPC (www.ogdpc.fr). Ils permettront alors aux professionnels de santé de valider leur obligation annuelle de formation. Dans ce cas, l’organisme de formation devra à chacun son attestation DPC.
En résumé, si vous avez suivi une formation entre le 1er janvier et le 30 juin, assurez-vous de sa validité auprès de l’OGDPC.
Sandrine Pierre, infirmière libérale à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, 77)
« Je trouve l’idée du développement continu formidable. D’ailleurs, je vais entamer une formation de formateur pour devenir animatrice-référente locale pour Orion. L’organisme recherchait des libérales pour promouvoir le DPC auprès des autres collègues et pour animer des groupes de pairs qui se réuniront quatre demi-journées au cours de l’année, sur la base des recommandations de la HAS. Je ne sais pas encore quels seront les thèmes choisis, mais j’ai un DU de gérontologie : je peux donc prendre en charge des formations dans ce domaine. Reste à savoir si cette formation de formateur sera validante DPC. Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude… L’aspect obligatoire du DPC peut sembler rébarbatif, mais je suis persuadée que cela va aider un grand nombre de collègues dans leur travail. Je m’aperçois cependant que beaucoup ne sont pas encore au courant de ce nouveau dispositif. »