Cahier de formation
Savoir faire
Vous vous rendez chez Monsieur H., atteint d’hémochromatose, pour pratiquer une saignée. C’est sa première saignée à domicile.
Vous lui demandez comment se sont passées les précédentes saignées à l’hôpital, s’il les a bien supportées et s’il s’est senti fatigué après le prélèvement. Vous lui demandez s’il a mangé il y a peu de temps. Vous le rassurez en lui disant que vous allez réaliser le prélèvement lentement, que vous resterez auprès de lui et que vous avez la possibilité d’interrompre la saignée à tout moment si nécessaire.
Les saignées régulières, ou phlébotomies, restent le traitement de référence de la surcharge en fer. Les globules rouges étant très riches en fer, une saignée permet l’élimination d’une importante quantité de fer, de l’ordre de 250 mg de fer pour 500 ml de sang, sans causer d’anémie. Lors de la fabrication de nouveaux globules rouges, l’organisme puise le fer excessivement stocké dans les organes surchargés (foie, pancréas, cœur…).
Le traitement déplétif n’est indiqué qu’à partir du stade 2, lorsque le patient présente une augmentation du taux de ferritinémie (> à 300 µg/l chez l’homme et à 200 µg/l chez la femme). Le traitement par saignées est indiqué, qu’il y ait des signes cliniques (stade 3 ou 4) ou non (stade 2).
→ En traitement d’attaque, ou phase d’induction correspondant à l’élimination de l’excès en fer, la fréquence est habituellement d’une saignée par semaine, jusqu’à désaturation, c’est-à-dire élimination totale du fer en excès dans l’organisme. En fait, la fréquence varie de 2 à 4 saignées par mois en fonction de l’importance de la surcharge en fer et de la tolérance au traitement. L’objectif est d’obtenir une ferritinémie inférieure ou égale à 50 µg/l.
→ En phase d’entretien, dès que le taux sanguin de ferritine devient inférieur à 50 µg/l, l’objectif est de maintenir une ferritinémie stable inférieure ou égale à 50 µg/l. Les saignées, réalisées tous les 2, 3 ou 4 mois, visent à éviter la reconstitution de la surcharge en fer. La durée de la phase d’entretien est théoriquement illimitée. Comme la prédisposition génétique à la surcharge en fer persiste, les saignées sont maintenues à vie.
Le volume de sang prélevé lors d’une saignée est adapté à la tolérance du patient, à son âge et à son état de santé, notamment à sa fonction cardiaque.
En règle générale, on prélève 7 ml par kilo de poids, sans dépasser 550 ml par saignée. Le volume à prélever est précisé sur le protocole du médecin prescripteur.
L’article R4311-7 du Code de la Santé publique stipule que l’infirmière est habilitée à pratiquer des saignées, « soit en application d’une prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, soit en application d’un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin ». L’acte est coté AMI 5 selon l’article 1er, “Prélèvements et injections”, de la Nomenclature générale des actes professionnels.
Les saignées peuvent être réalisées lors d’une consultation en centre hospitalier, dans un Établissement français du sang (EFS), en cabinet médical ou à domicile. La HAS recommande de proposer le traitement par saignées régulières à domicile dans plusieurs situations :
→ en cas d’éloignement du patient d’une structure de soins autorisée à réaliser des saignées ;
→ en cas d’impossibilité locale de prise en charge dans une structure de soins autorisée à réaliser des saignées ;
→ à la demande du patient, en vue d’une amélioration attendue de son observance.
Depuis quelques années, le sang des patients peut être utilisé grâce aux “dons-saignées” réalisés dans les centres de santé des EFS.
Les saignées à domicile sont possibles dès la phase d’attaque, à condition que les premières saignées aient été pratiquées à l’hôpital, car les éventuels problèmes de tolérance générale se situent habituellement au début de la mise en route du traitement déplétif.
En général, il est recommandé d’effectuer cinq saignées à l’hôpital avant de pratiquer le soin à domicile. En pratique, le traitement est parfois instauré à domicile après trois saignées en établissement de soin.
Dans une étude conduite pour l’Association de médecine interne A du CHU de Limoges, dans la Haute-Vienne, et la Société Alair & AVD, en octobre 2006, une large majorité des patients juge la pratique des saignées à domicile plus favorablement que le recours à l’hôpital. Les premières raisons invoquées sont la commodité des horaires, le temps total consacré au soin et l’éloignement d’une structure de soins autorisée à réaliser des saignées. Les deux tiers des patients soulignent que cette opportunité leur a permis de mieux supporter les contraintes du traitement. Certains signalent encore un antécédent de malaise avec chute au centre de transfusion sanguine…
« Le patient peut être installé au lit ou au fauteuil en fonction de ses préférences et de ses premières expériences à l’hôpital, explique Nadine Boissard, infirmière libérale à Limoges. Dans tous les cas, l’installation doit être assez confortable pour la durée de la saignée, d’une demi-heure en moyenne. L’infirmière doit aussi anticiper un éventuel malaise au cours ou en fin de saignée, car il ne sera pas facile de déplacer un patient mal installé, surtout s’il n’y a pas d’autre personne à la maison. »
« Généralement, les patients ont pour consigne de bien manger avant. On leur demande aussi de prévoir un en-cas pour pallier une éventuelle petite faiblesse pendant le prélèvement, souligne Nadine Boissard. De toute façon, on ne pratique pas de saignée à jeun. » C’est pour cette raison qu’elle essaie de placer cet acte en fin de tournée du matin. « À ce moment, vers 13 heures, 13 h 30, le patient a déjà déjeuné avant de faire la saignée. Et si le soin doit être exceptionnellement prolongé, ça ne décale pas les rendez-vous suivants », explique l’infirmière expérimentée. Après la saignée, l’infirmière demande au patient de rester allongé un petit moment, puis de s’asseoir au bord du lit ou de se redresser dans son fauteuil pour voir comment il se sent. Elle lui conseille de manger et de boire, de rester au repos et de ne pas sortir tout de suite, sauf s’il est accompagné.
« L’ensemble du soin dure environ une demi-heure, avec l’installation du patient, la préparation du matériel et la réalisation de la saignée. Il nous est arrivé une fois d’y passer presque une heure avec un patient en mauvais état veineux, constate Nadine Boissard. En général, on peut anticiper, car on connaît bien les patients qu’on voit régulièrement, à raison d’une saignée toutes les deux à trois semaines. On a ainsi suivi une jeune femme pendant deux ans. » Pour sa part, Mathieu Marche, infirmier référent auprès de la société Alair & AVD, préconise de « ne pas descendre en dessous d’un minimum de quinze, vingt minutes, pour éviter malaise et hypotension, y compris pour des patients qui n’ont pas eu de problème à l’hôpital ».
Contrairement à ce qu’on peut lire dans certaines fiches techniques, il n’est pas nécessaire de laisser le garrot en place pendant toute la durée de la saignée, ce qui peut être douloureux pour le patient. Dans ce cas, si le débit est trop lent, à cause par exemple d’un capital veineux pas très performant, l’infirmière peut reposer le garrot sans trop le serrer, au cours du prélèvement. Ceci évite que la tubulure ne se bouche. « À l’inverse, avec un débit trop rapide d’emblée, la veine risque de se collaber », prévient Mathieu Marche. Le réglage de la vitesse de prélèvement se fait grâce à la molette prévue sur la tubulure.
Outre la surveillance des complications locales au point de ponction, la HAS précise que l’infirmière doit contrôler l’état clinique du patient, sa fréquence cardiaque et sa pression artérielle lors de chaque séance, avant et après la saignée.
En phase d’induction, le contrôle de la réduction de la surcharge martiale est fait par un dosage mensuel du taux de ferritine réalisé en début de saignée sur la tubulure de la poche de prélèvement. L’objectif est d’atteindre les bornes supérieures des valeurs normales, soit 200 µg/l pour une femme et 300 µg/l pour un homme. Au-dessous de ces valeurs, un contrôle de la ferritinémie toutes les deux saignées est recommandé. Seuls les stades 2, 3 et 4 (hyperferritinémie) nécessitent un traitement par saignées.
Le contrôle de l’anémie par carence martiale se fait par l’hémoglobinémie. Si elle est inférieure à 11 g/dl, les saignées sont interrompues jusqu’à correction. La fréquence de son dosage n’est pas codifiée en phase d’attaque. En phase d’entretien, il est réalisé dans les huit jours précédant la saignée.
→ Mauvais état général du patient.
→ Anémie par carence martiale (Hb < 11 g/dl).
→ Hypotension (pression artérielle systolique < 100 mmHg).
→ Fréquence cardiaque inférieure à 50 ou supérieure à 100 battements par minute.
→ Antécédents de malaises en lien avec un précédent prélèvement sanguin ayant justifié l’intervention d’un médecin.
→ Insuffisance cardiaque ou cardiopathie décompensée.
→ Lors d’une grossesse, le traitement de la surcharge en fer est interrompu pendant 9?mois sans qu’aucun risque majeur n’ait été montré.
→ Artériopathie oblitérante des membres inférieurs ou antécédents d’accident ischémiques récents (< 6 mois).
À cause d’un mauvais état veineux ou d’une tubulure bouchée, il arrive que la saignée soit incomplète, inférieure au volume indiqué sur le protocole du médecin prescripteur. « Lorsque le prélèvement est inférieur à la moitié du volume initialement prescrit, il faut repiquer, indique Mathieu Marche. À plus de la moitié du volume prescrit, lorsque l’infirmière sait qu’elle a ponctionné une veine peu performante, on conseille de repiquer ailleurs pour terminer le prélèvement. Chez un patient difficile à cause d’un mauvais capital veineux ou de son état général, on conseille de noter le volume prélevé dans le carnet de suivi. Le médecin peut alors demander de compléter la saignée dans les jours qui suivent, pour que ce soit mieux supporté par le patient. » Mathieu Marche rappelle qu’il faut toujours disposer d’un deuxième set de saignée pour pallier une éventuelle défaillance.
« Je surveille la pression artérielle (PA), avant et après le soin, mais aussi à mi-parcours du prélèvement. Le protocole du médecin prescripteur précise le niveau de la PA en dessous duquel l’infirmière ne doit pas réaliser la saignée. Je demande régulièrement au patient comment il se sent pendant le prélèvement, et je vérifie plusieurs fois la PA en fonction de ses réponses. Si la PA baisse, soit je reprends la tension quelques minutes après pour voir comment elle évolue, soit je diminue le débit du prélèvement. En revanche, si la PA descend au-dessous de la valeur minimale indiquée sur le protocole du médecin, on doit arrêter le prélèvement. »
« Alors que les premiers signes de l’hémochromatose sont apparus à l’âge de 38 ans, ce n’est que lorsque j’ai été opéré d’un cancer de l’intestin que le chirurgien a évoqué une surcharge en fer. J’ai vu plus d’une vingtaine de médecins. Je soulevais à chaque fois la question du fer, mais, par méconnaissance totale, voire par déni de la maladie, ils se sont contentés de traiter les symptômes. C’est un tract de l’Association hémochromatose France qui m’a mis la puce à l’oreille : sur les huit symptômes décrits, j’en avais sept ! J’ai exigé des dosages qui ont révélé un coefficient de transferrine à 105 % et une ferritinémie à 1941 µg/ml. J’ai enfin été pris en charge par une spécialiste de l’hémochromatose. Les examens ont montré une saturation majeure du foie (290 µmol/g), des kystes sur le foie, le pancréas et le rein droit. Les saignées ont donc été mises en place plus de trente ans après les premiers symptômes ! Les dégâts sont irréversibles. Aujourd’hui, je souffre de diabète, d’hypertension, d’arthrose, et parfois de vertiges ou de malaises, et je suis fatigué dès le lever. »
« Les premières saignées pratiquées à l’hôpital permettent aux patients de nous apporter beaucoup d’informations. À domicile, l’infirmière doit interroger le patient lors de sa première intervention. Quelle est sa représentation de la saignée ? A-t-il été sujet aux malaises lors des précédentes saignées ? A-t-il besoin de rester allongé dans les heures qui suivent le soin ? Lorsque le patient s’est senti fatigué après une saignée à l’hôpital, l’infirmière aura tendance à pratiquer le prélèvement plus lentement. Sachant qu’à l’hôpital, le débit est toujours plus rapide avec parfois une technique de prélèvement à la seringue différente de celle pratiquée à domicile avec les kits de recueil de saignée. »
« L’aspiration par un redon sous vide a permis de réduire le temps du prélèvement tout en utilisant des aiguilles plus fines, plus confortables pour le patient et pour l’infirmière, et permettant de préserver le capital veineux. L’infirmière doit vérifier le témoin de vide de type accordéon, même si le kit Bloodial?V, que nous avons contribué à faire évoluer, est aussi équipé d’une valve anti-retour qui protège le patient au cas où le redon ne serait plus sous vide. »
Les sets pour saignées proposent des redons de 600 ml sous vide avec des témoins de vide de type accordéon que l’infirmière doit vérifier avant utilisation. En fonction des sets, les aiguilles à ailettes, de type microperfuseur, vont de 0,9 mm (gauge 20) à 1,2 mm (gauge 18), équivalentes aux plus grosses “épicrâniennes”. Les sets contiennent aussi d’autres dispositifs nécessaires au prélèvement (garrot, tubulure, gants…). Le système Holtec s’adapte à une aiguille de ponction veineuse 16G. La poche de recueil en PVC doit être positionnée en contrebas par rapport au patient (principe de gravité).