Cahier de formation
Savoir
L’hémochromatose est une maladie génétique caractérisée par une absorption intestinale excessive de fer. La surcharge de fer qui s’accumule dans les organes et les tissus peut entraîner de graves complications irréversibles.
L’hémochromatose de type 1 appartient au groupe des hémochromatoses héréditaires (HH), maladies d’origine génétique caractérisées par une accumulation progressive de fer dans l’organisme jusqu’à une surcharge toxique. Chaque type d’HH correspond à une mutation génétique spécifique. L’HH de type 1, dite encore “classique”, “primitive” ou “HFE1”, est due à des mutations du gène HFE1. Cette mutation provoque un déficit d’hepcidine, peptide synthétisé par le foie qui joue un rôle majeur dans la régulation de l’absorption intestinale du fer alimentaire. De loin la plus fréquente, elle représente 95 % des cas d’HH et atteint exclusivement les populations de peau blanche chez qui elle représente la maladie génétique la plus fréquente. En France, une personne sur 300 est porteuse de cette anomalie génétique.
Quelques rappels physiologiques permettent de comprendre les mécanismes de la maladie.
Le fer est un élément indispensable au bon fonctionnement de l’organisme. Constituant essentiel de l’hémoglobine, il intervient notamment dans l’oxygénation cellulaire, mais également dans de nombreuses réactions enzymatiques ou encore dans la division cellulaire. En excès, il est cytotoxique : il catalyse la formation de radicaux libres susceptibles de détruire les membranes cellulaires, les protéines ou l’ADN.
L’organisme sain contient en moyenne 3 à 4?g de fer. Il est réparti dans :
→ un compartiment fonctionnel : dans l’hémoglobine (60 % du fer), la myoglobine et certains enzymes cellulaires (cytochromes…) ;
→ un compartiment de transport : seul 0,1 % du fer organique se trouve dans le plasma, presque exclusivement lié à la transferrine, protéine de transport synthétisée par le foie ;
→ un compartiment de réserve : environ 25 % du fer est stocké dans les hépatocytes et les macrophages sous forme de ferritine (protéine hydrosoluble facilement mobilisable) et d’hémosidérine (forme agrégée moins mobilisable).
Il tient son originalité du fait qu’il est essentiellement assuré par des échanges en vase clos entre les trois compartiments (fonctionnel, transport et réserve). L’organisme est particulièrement économe de son fer, néanmoins, environ 1 mg de fer est éliminé chaque jour par les urines, la sueur, la desquamation cutanée (davantage lors des menstruations : 30 mg environ par cycle). Ces pertes doivent strictement être compensées par les apports quotidiens, largement couverts par l’alimentation (10 à 20?mg par jour dans une alimentation équilibrée).
À noter : les apports peuvent être augmentés dans certaines situations : menstruations, grossesse, allaitement, enfance, adolescence.
Tout déséquilibre de la balance apports/pertes conduit à plus ou moins long terme à une carence ou une surcharge en fer. Aucun système ne permettant de réguler l’élimination du fer, le maintien à l’équilibre est assuré par une régulation de l’absorption intestinale du fer. L’hepcidine synthétisée par le foie agit comme une hormone de régulation : quand les besoins en fer de l’organisme sont comblés, la synthèse d’hepcidine augmente et stoppe l’absorption intestinale. A contrario, la synthèse de l’hepcidine diminue lorsque les besoins en fer augmentent, relançant ainsi l’absorption du fer alimentaire. Sur 10 à 20 mg de fer apportés quotidiennement par l’alimentation, seuls 1 à 2 mg sont absorbés au niveau du duodénum via des transporteurs membranaires des entérocytes (appelés DMT1 et ferroportine).
Dans l’HH de type 1, l’anomalie génétique en cause est une mutation sur le gène dit “HFE” (d’où le nom d’hémochromatose héréditaire HFE1) porté par le chromosome n°6. La mutation la plus courante, dite “C282Y”, est le remplacement d’un acide aminé cystéine par une tyrosine en position 282.
La transmission de cette mutation génétique s’effectue sur un mode autosomique, c’est-à-dire de façon indépendante du sexe, car elle n’est pas portée par les chromosomes sexuels X ou Y. Hommes et femmes peuvent être touchés.
La transmission s’effectue par ailleurs sur un mode récessif, il faut deux gènes atteints par l’anomalie génétique pour développer la maladie. Les malades sont dits “homozygotes”, ils présentent l’anomalie sur chacun des chromosomes de la paire n° 6. Les personnes hétérozygotes (un seul chromosome anormal) sont des porteurs sains.
Dans l’hémochromatose héréditaire de type 1, les mutations du gène HFE peuvent être responsables d’une trop faible production d’hepcidine, censée réguler l’absorption du fer d’origine alimentaire au niveau de l’intestin. En conséquence, le fer est absorbé chaque jour en excès (jusqu’à 5 à 8?mg/jour). La transferrine, qui transporte le fer dans le plasma, est saturée de façon inappropriée (saturation à 60, 80, voire 100 % contre 45 % dans une situation normale). Les pertes n’étant quant à elles pas régulables, le fer s’accumule dans les organes et tissus qu’il détruit progressivement (voir infographie p. 33).
Être porteur homozygote de l’anomalie génétique ne signifie pas systématiquement qu’on va développer la maladie. En effet, l’hémochromatose héréditaire de type 1 est une maladie dont la pénétrance (probabilité d’être atteint par la maladie) quand on a le génotype à risque est faible (estimée entre 10 et 50 % selon les publications). En d’autres termes, un pourcentage élevé de patients homozygotes ne développera pas de signes cliniques, mais il est impossible de le prédire à l’avance.
L’éventuelle expression clinique est très variable selon les individus, tant au niveau des symptômes que de leur sévérité ou de leur âge d’apparition. Cette variabilité d’expression est liée au sexe (les hommes sont préférentiellement atteints et plus jeunes), à des facteurs génétiques qui conditionnent la sévérité de la surcharge en fer et à l’environnement (rôle aggravant d’une hépatopathie préexistante, alcoolisme, alimentation riche en fer, tabagisme, porphyrie cutanée tardive, syndrome dysmétabolique…).
Lorsqu’ils apparaissent, les signes cliniques sont liés à l’accumulation progressive du fer dans les organes et les tissus. Ils sont très variables d’un individu à l’autre, tant par leur type que par leur sévérité. Les premières manifestations apparaissent généralement entre 20 et 50 ans chez l’homme, et après la ménopause chez la femme (retard dû aux menstruations qui éliminent du sang et donc du fer). L’absence de spécificité des lésions organiques et/ou métaboliques explique le diagnostic souvent tardif de la maladie, et l’installation de complications parfois irréversibles.
→ Asthénie : sensation de fatigue permanente associée parfois à une dépression et à une perte de poids.
→ Atteintes articulaires : l’accumulation de fer dans les articulations provoque des arthropathies dans 30 à 50 % des cas, la plus typique étant une arthrite chronique, touchant les deuxième et troisième articulations métacarpo-phalangiennes, dont le signe est une “poignée de main douloureuse”. Parmi les autres localisations : les poignets, les genoux, les chevilles, les épaules…
→ Atteintes endocriniennes : un diabète insulinodépendant lié à l’accumulation du fer dans le pancréas est retrouvé chez un quart des patients. L’hypogonadisme, lié à une accumulation du fer dans l’hypophyse, peut provoquer une impuissance masculine et, chez la femme, une aménorrhée, une perte de libido, une ostéoporose. La survenue d’hypothyroïdies est également plus fréquente que dans la population générale.
→ Atteintes cutanées : peau fine, pertes de cheveux, ongles cassants. La mélanodermie (coloration foncée de la peau) est un signe typique, particulièrement au niveau de la muqueuse buccale, des parties exposées (visage, cou, bras…) et des parties génitales.
→ Atteintes hépatiques : 95 % des patients symptomatiques présentent une élévation des transaminases hépatiques et/ou une hépatomégalie (augmentation de la taille du foie). L’évolution possible vers une cirrhose ou un carcinome est responsable de 90 % des décès dus à l’hémochromatose.
→ Atteintes cardiaques : des anomalies de l’électrocardiogramme sont retrouvées dans plus de 30 % des cas, avec parfois des troubles du rythme, notamment une fibrillation auriculaire, potentiellement responsable d’un arrêt cardiaque. Un essoufflement au moindre effort est également possible.
Les signes cliniques sont d’autant plus graves que de fortes quantités de fer sont accumulées dans l’organisme. La précocité du diagnostic est l’élément essentiel de la prise en charge de l’hémochromatose de type 1 (lire la partie Savoir faire p. 38).
« En général, la charge en soins et les besoins du patient ne se modifient pas au cours du temps, excepté en cas d’atteintes somatiques graves liées à l’hémochromatose héréditaire », note la Haute Autorité de santé (HAS), dans “Prise en charge de l’hémochromatose liée au gène HFE” (2005, www.has-sante.fr). En cas de décompensation d’une cirrhose ou d’une insuffisance cardiaque, par exemple, la prise en charge à domicile sera temporairement suspendue.
Une prise en charge est recommandée dès le diagnostic posé mais son niveau varie en fonction des stades de sévérité de la maladie.
→ Les stades 0 et 1 ne requièrent aucun traitement, juste des conseils préventifs.
→ À partir du stade 2 : un traitement de la surcharge en fer est mis en place.
→ À partir du stade 3 : traitement de la surcharge en fer associé aux traitements des complications.
→ À tous les stades de la maladie, des mesures préventives limitent les facteurs de risque hépatiques : éviter les abus d’alcool, prendre en charge l’alcoolisme (cures de sevrage, prise en charge psychologique…), limiter le risque d’infections hépatiques par la vaccination contre l’hépatite B.
→ Aucun régime alimentaire strict n’est recommandé, mais il est possible de limiter les apports alimentaires en fer. La vitamine?C favorisant l’absorption du fer, les médicaments (et non les aliments) qui en contiennent doivent être supprimés.
Le traitement de la surcharge en fer s’appuie majoritairement sur le traitement déplétif sanguin (diminution du volume de sang dans l’organisme) par saignées selon deux étapes : une phase d’induction avec saignées hebdomadaires jusqu’à objectif de ferritinémie entre 50 et 100 µg/l (désaturation de l’organisme en fer) puis une phase d’entretien avec saignées tous les deux à quatre mois en moyenne pour maintenir cet objectif.
Le traitement curatif des éventuelles complications est mis en place au cas par cas, selon des modalités identiques à des patients ne souffrant pas d’hémochromatose.
À noter : l’équilibre du diabète est plus difficile à atteindre en cas d’HH, et l’insuffisance gonadique, peu améliorée par le traitement, doit être compensée par un traitement hormonal substitutif.
Ils visent à faire diminuer l’excédent de fer et à empêcher une nouvelle surcharge. La déplétion martiale peut se faire par des “saignées” (ou phlébotomies thérapeutiques) répétées, soit par érythraphérèse.
Il s’agit du traitement le plus utilisé. Les phlébotomies ou “saignées” permettent de retirer 0,5 g de fer par litre de sang et de mobiliser le fer contenu en excès dans les organes (lire la partie Savoir faire p. 40). Les saignées ont montré leur efficacité. Elles permettent de prévenir certaines des complications associées à la surcharge toxique en fer et améliorent la survie des patients. Le traitement bien observé permet d’éviter des complications irréversibles.
C’est une méthode d’aphérèse, c’est-à-dire d’extraction sélective d’éléments sanguins via un circuit extracorporel. Le prélèvement sanguin se fait par ponction veineuse associée à un séparateur de cellules par centrifugation qui permet d’individualiser les globules rouges, extraits en priorité.
Cette technique, qui permet d’extraire un volume d’hématies plus important, est plus efficace que la saignée classique, désature l’organisme en fer plus rapidement et permet donc de réduire le nombre de séances. En revanche, elle nécessite un plateau technique important et implique un coût élevé.
En deuxième intention pour les patients éloignés géographiquement du lieu de prélèvement, peu disponibles et/ou inobservants.
La déféroxamine (Desferal), seul produit ayant une AMM dans cette indication, est un agent chélateur des ions ferriques (capable de fixer des ions pour former des complexes stables non toxiques). Desferal poudre et solvant pour solution injectable 100 mg/ml se présente en boîte d’un flacon poudre de 500 mg accompagné d’une ampoule de 5 ml (ou 1 flacon poudre de 2 g + 1 ampoule de 20 ml). Conservé à température ambiante ne dépassant pas 25 °C, il doit être utilisé immédiatement après reconstitution ou au maximum dans les 24 heures.
La déféroxamine fixe le fer libre du plasma ou des cellules et dans une moindre mesure le fer lié à la ferritine (mais pas celui de l’hémoglobine). Le complexe formé, dit “ferrioxamine”, est éliminé par les urines et les selles.
La dose journalière moyenne se situe entre 20 et 60 mg/kg, adaptée de façon individuelle. L’administration est parentérale, recommandée dans cette indication par voie sous-cutanée lente, au moyen d’une perfusion pendant la nuit ou d’une pompe à perfusion miniaturisée portable, pendant une période de 8 à 12 heures et jusqu’à 24 heures, 5 à 6 fois par semaine (la dose journalière doit alors être adaptée sur 5 jours).
Urticaires, arthralgies, myalgies, réactions au point d’injection (douleur, tuméfaction, ulcération…), fièvre, nausées et céphalées sont fréquemment rapportés. L’utilisation au long cours demande une surveillance accrue d’effets plus rares : augmentation du risque infectieux (notamment colites et entérocolites), atteintes auditives (acouphènes, surdité…) et visuelles (vision floue, cataracte…).
Du fait du risque d’effets indésirables et du mode d’administration, la déféroxamine est une alternative de seconde intention en cas de contre-indication aux saignées. Elle est rarement utilisée.
Le suivi recommandé dépend du stade de sévérité de la maladie :
→ stade 0 : interrogatoire, examen clinique et bilan martial tous les 3 à 5 ans en fonction de l’âge et des facteurs de risque ;
→ stade 1 : interrogatoire, examen clinique et bilan martial annuels ;
→ stade 2 : interrogatoire, évaluation clinique (incluant au minimum une vérification de la tension artérielle et du pouls, la bonne tolérance de la dernière saignée et le contrôle de l’absence de contre-indications) à chaque séance de saignée, ainsi que ferritinémie et hémoglobinémie (marqueur d’une éventuelle anémie par carence martiale) ;
→ stades 3 ou 4 : interrogatoire, évaluation clinique à chaque séance de saignée, bilan martial et hémogramme à fréquence variable en fonction de la phase de traitement, surveillance biologique bis-annuelle des complications comprenant au moins transaminases et glycémie à jeun.
L’évolution varie fortement selon les individus. Certains développent peu de complications (fatigue, douleurs articulaires), d’autres présentent une ou plusieurs complications graves. La précocité du diagnostic est un facteur déterminant dans la sévérité des complications. Si la prise en charge est précoce, morbidité et mortalité rejoignent en effet celles de la population générale. On estime qu’environ 1 % des sujets homozygotes évolueraient jusqu’au stade de sévérité maximal (lire l’encadré p. 35).
→ Inciter au dépistage précoce devant des signes cliniques évocateurs ou lorsqu’un cas existe dans la famille proche.
→ Donner des conseils de prévention pour limiter le risque de complications : mode de vie, vaccination contre l’hépatite B, automédication à base de vitamine C à proscrire. ÚMettre en œuvre des saignées à domicile.
→ Prévenir et prendre en charge des incidents immédiats liés aux saignées.
→ Inciter au suivi biologique et clinique adéquat de la surcharge en fer, des complications et du risque d’anémie par carence martiale.
L’hémochromatose figure sur la liste des affections de longue durée bénéficiant d’un remboursement à 100 % après demande du médecin. Sont concernés les traitements de la maladie et des affections qui en découlent. Sur demande d’accord préalable et sous certaines conditions, les frais de transports liés au déplacement pour effectuer les saignées peuvent également être pris en charge.
Beaucoup plus rares, d’autres hémochromatoses héréditaires existent, liées à d’autres mutations géniques : les hémochromatoses de type 2 (dite “hémojuvénile” car elle atteint les sujets jeunes), de type 3 (mutation du gène TFR2 codant sur le récepteur 2 de la transferrine) et de type 4 (mutation du gène de la ferroportine). Elles correspondent à des affections rares, voire exceptionnelles, dont l’expression clinique et le traitement peuvent différer d’un cas à l’autre.
L’hémochromatose génétique n’est pas une contre-indication au don de sang qui peut être couplé à la saignée depuis un arrêté de 2009, à condition d’être réalisé dans un établissement français du sang comprenant un centre de santé. On parle alors de “dons-saignées”.
« Il est très important pour nous que les infirmières libérales connaissent l’hémochromatose génétique, car elles sont parfois en première ligne pour repérer les signes évocateurs de cette maladie encore méconnue. D’ailleurs, nous souhaitons collaborer avec elles lors de la prochaine semaine consacrée au dépistage de l’hémochromatose, prévue du 2 au 7 juin 2014. Les infirmières libérales ont un autre rôle à jouer en s’impliquant dans la pratique des saignées à domicile très utiles pour les patients, en particulier pour les sujets âgés, douloureux, mais aussi pour les patients plus jeunes, encore en activité, qui sont éloignés des établissements français du sang. »
Non. Elle peut être liée à d’autres maladies génétiques, comme la thalassémie (anomalie de synthèse de l’hémoglobine), soit acquise dans le cadre d’autres affections (hépatites C et B ou alcooliques, stéatose hépatique…), soit « mixte », comme dans l’hémosidérose africaine sub-saharienne, liée à la fois à un apport alimentaire élevé et à une prédisposition génétique.
« La cotation du soin en AMI?5 selon la nomenclature est un peu “légère”. En plus du temps passé pour la saignée elle-même, on a une surveillance avant, pendant et après le soin. On doit aussi relever et noter les éléments de surveillance. En cas de pression artérielle ou de taux d’hémoglobine insuffisant, ou en cas de saignée incomplète, on doit contacter le médecin. C’est un rôle de coordination qui justifierait une majoration de coordination infirmière (MCI). Un autre problème se pose lorsque la pression artérielle est trop basse le jour du soin et qu’on ne peut pas pratiquer la saignée, car on ne peut comptabiliser aucun acte. »