L'infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014

 

ÉTHIQUE

Actualité

NATHALIE DA CRUZ  

RÉFLEXION → Et si, plus que de technique, d’expertise et de compassion, les soins palliatifs étaient avant tout une question de sens ? Sens donné à chaque acte de soin, à chaque décision… Un débat pertinent, à l’heure où la “conférence de citoyens” sur la fin de vie vient de rendre ses conclusions.

Il y a quelques semaines, un couple d’octogénaires s’est donné la mort dans une chambre du Lutetia, le célèbre hôtel parisien. Une mort minutieusement préparée, accompagnée d’une missive réclamant le droit à « mourir dans la dignité ». Le fait divers a relancé les débats autour de l’euthanasie. Faut-il la légaliser, comme le demande l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) ? Ou ne faut-il pas entendre, derrière les demandes de patients qui souhaitent “en finir”, un appel à un accompagnement digne jusqu’au bout, qui permette de donner du sens aux derniers instants ? C’est le credo des tenants de la loi Leonetti du 22 avril 2005, tel le philosophe Jacques Ricot (lire ci-dessous). La “conférence de citoyens” qui a engagé un débat sur la fin de vie a rendu ses conclusions le 16 décembre. Ses propositions, parmi lesquelles la légalisation du suicide médicalement assisté, une “exception d’euthanasie”, le développement des soins palliatifs, vont inspirer un projet de loi au printemps prochain, ayant vocation à améliorer et compléter la loi Leonetti.

C’est dans ce contexte que s’est tenu un colloque, le 28 novembre, à Paris*, sur “le(s) sens en soins palliatifs” - dans les acceptions à la fois sensorielle et symbolique du terme…

Interroger ses pratiques

Au-delà du sens à donner à la fin de vie, les soignants doivent interroger leurs pratiques et les soins prodigués : quel sens revêtent-ils ? Pour Martine Gascon, aide-soignante à l’unité de soins palliatifs (USP) de la Polyclinique de l’Ormeau, à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, « la toilette aide à retrouver une sensation de bien-être dans un corps en souffrance ». Quand faut-il la pratiquer ? « Tout dépend du patient, de ses habitudes de vie, de son état général. » Mêmes propos chez sa collègue Caroline Jacob, infirmière, qui pratique les soins de bouche : « L’état bucco-dentaire des patients en fin de vie est altéré. Les soins de bouche favorisent la communication et l’expression, ainsi que l’alimentation, qui est une source de plaisir. Et ce, d’autant plus que les derniers jours sont comptés. » L’objectif des soins d’hygiène est d’améliorer la qualité de vie, jusqu’au dernier moment… Toutefois, mieux vaut s’interroger sur leur pertinence dans certaines situations difficiles : douleurs physiques, coma, agressivité… Certains patients ne veulent pas être touchés. D’autres, ayant vécu une autre époque, ne conçoivent pas que l’on fasse une toilette quotidienne. Il ne faut surtout rien imposer ! « Parfois, mieux vaut laisser le patient tranquille dans sa chair, commente Martine Gascon. De même, il ne faut pas masser pour masser. C’est à chaque soignant de s’approprier les soins et de leur donner du sens. » Car, parfois, en voulant trop bien faire, le risque de maltraitance se profile à l’insu des soignants…

Médecin à l’USP de l’hôpital de Pontoise, dans le Val-d’Oise, le Dr Bernard Devalois évoque l’hydratation et la nutrition artificielles - que celle-ci soit entérale ou parentérale. Là aussi, les pratiquer sans y mettre de sens n’est pas forcément une attitude bientraitante. L’alimentation est un symbole de vie, de plaisir et de convivialité : mieux vaut maintenir celle-ci le plus longtemps possible. « La nutrition artificielle est un soin actif à visée curative si la personne ne parvient plus à s’alimenter », rappelle Bernard Devalois.

Les infirmières libérales elles aussi concernées

Qu’en est-il des infirmières libérales ? Elles ont elles aussi à prendre en charge la fin de vie lorsqu’elles sont rattachées aux réseaux de soins palliatifs qui maillent le territoire. Bernard Devalois travaille ainsi avec le réseau Oncologie nord-ouest francilien (Onof), qui s’appuie sur des infirmières libérales. Trente-cinq pour cent des séjours dans son USP débouchent sur une sortie vers le domicile. Le médecin effectue de la télésurveillance de pompe à morphine à domicile, en lien étroit avec les Idels. Et d’ajouter : « Il ne faut pas laisser seuls les soignants à domicile. Nous avons mis en place, au CH de Pontoise, un système d’hôpital de jour qui permet de prendre le relais de temps en temps, de mener des évaluations et des suivis. »

Par ailleurs, l’hôpital et l’université de Cergy-Pontoise montent actuellement un DU sur les soins palliatifs, qui sera ouvert aux infirmières libérales. « Car la prise en charge de la fin de vie exige de la technique mais aussi du sens ; pour cela, la formation est indispensable », conclut le médecin.

* Ce colloque a été organisé par le Centre de liaison, d’étude et de formation (Clef) - www.le-clef.fr.

3 questions à

Jacques Ricot, philosophe

Quel regard portez-vous sur l’euthanasie ? Soigner, c’est prendre soin d’un vivant vulnérable, et non arrêter la relation de soin par un geste brutal. Il y a une scandaleuse assimilation de l’euthanasie à un geste de soin. À satisfaire les exigences individuelles, nous allons vers la destruction de la nature même de la relation de soin. Notre époque confond le combat contre la souffrance avec l’élimination du souffrant. Si la souffrance est inutile et absurde, le souffrant, lui, ne l’est pas.

La souffrance n’a donc pas de sens ? Il faut abandonner les excès du dolorisme. En fin de vie, la souffrance doit être allégée par des antalgiques, y compris si cela doit entraîner la mort, comme le permet l’article 2 de la loi Leonetti - sauf si le patient les refuse. La loi Leonetti peut et doit être améliorée, mais il ne faut pas qu’elle soit déséquilibrée.

Quel sens donner à la fin de vie ? Jusqu’à la fin, il y a une attention aux êtres et aux choses. Le présent est nourri d’une mémoire, mais il est aussi tendu vers un avenir, même si celui-ci est limité à la demi-heure à venir : attendre un courrier, un journal…