La télémédecine, avec ses multiples outils technologiques, rapproche le patient du médecin… et des autres professionnels de santé. Les infirmières libérales,elles, commencent tout juste à s’y faire une place. Et à obtenir une reconnaissance financière.
« Avec la télémédecine, c’est aux infirmières de se prendre en charge et de dire “oui, on y va”, lance Nicolas Schinkel, acteur au sein d’un projet de télémédecine, chargé de mission télésanté à l’Union régionale des professionnels de santé (URPS)-infirmiers de Franche-Comté ainsi que de la télémédecine à la Fédération nationale des infirmiers. Il s’agit d’une nouvelle ouverture du métier, et, dans ce nouveau mode de soins, nous avons tous notre place. » Cette pratique met en effet en rapport, par la voie des nouvelles technologies, le patient et un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels toujours au moins un professionnel médical.
De nombreux projets se développent dans les territoires, car cette pratique innovante, définie dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009, vise à réduire au maximum certaines inégalités d’accès aux soins, notamment pour les usagers en situation d’isolement, et à donner une réponse organisationnelle et technique aux nombreux défis épidémiologiques (augmentation des maladies chroniques, vieillissement de la population), démographiques (avec la pénurie de professionnels de santé dans certaines zones) et économiques auxquels fait face le système de santé aujourd’hui.
« Pour qu’il fonctionne, un projet de télémédecine doit partir des besoins d’un territoire, des besoins des patients et être validé par les professionnels de santé concernés », estime Nathalie Sanchez, présidente de l’URPS-infirmiers de Corse. Le domaine des plaies et cicatrisation est particulièrement prisé, comme en Franche-Comté, où Nicolas Schinkel participe avec trois autres infirmiers libéraux à un projet de télémédecine, expérimenté depuis le 1er mars 2013, en collaboration avec le CHU de Besançon : « Nous venons avec notre tablette tactile chez le patient, et nous prenons sa plaie en photo. Ensuite, nous faisons une anamnèse, nous envoyons le tout au CHU, où un spécialiste dermatologue examine les clichés et nous apporte des conseils médicaux sous 24 heures. » Et il précise : « Pour toutes les plaies chroniques que nous ne parvenons pas à traiter avec le médecin traitant, nous cherchons une solution par l’intermédiaire de la télémédecine. L’objectif est d’éviter au patient une hospitalisation et du stress, qui conduisent bien souvent à l’arrêt du soin. » Comme pour de nombreux projets de télémédecine, cette prise en charge est source de réduction de coûts puisqu’elle évite le déplacement du patient jusqu’à l’hôpital et une hospitalisation. Mais des règles sont à respecter, comme l’obtention préalable de l’accord du malade. « Il est également d’usage de prévenir le médecin traitant que son patient entre dans une file active de télémédecine », souligne Ivan Tan, chargé de mission télémédecine à l’Agence régionale de santé (ARS) de Franche-Comté.
Depuis quinze ans, le réseau Cicat-LR, situé dans le Languedoc-Roussillon, offre, aux infirmières libérales ayant des difficultés à traiter des plaies, une expertise de la part de médecins ou d’infirmiers libéraux formés dans ce domaine. « Auparavant, nos experts se déplaçaient au domicile des patients aux côtés des infirmières libérales qui avaient fait appel à l’expertise du réseau, rappelle Évelyne Ribal, infirmière coordonnatrice à Cicat-LR. Mais notre activité a augmenté, et le passage à la télémédecine est devenu indispensable. » Le virage technologique est récent, puisque ce n’est que depuis octobre 2013 que les infirmières libérales ont accès à des tablettes. Le recours à la nouvelle technologie est utile, « notamment pour les soignants qui se trouvent dans les territoires isolés où nous n’avions pas d’experts pour intervenir sur place », relève l’infirmière. Dorénavant, les infirmières libérales conviennent d’un rendez-vous virtuel avec l’expert, et lorsqu’elles se rendent chez le patient, prennent des clichés de la plaie. L’expert leur donne en direct des conseils pour le protocole de soins à mettre en place. Les infirmières libérales qui se trouvent dans des zones dépourvues d’accès à Internet peuvent aussi activer la tablette en mode déconnecté pour prendre des photos, puis les envoyer une fois qu’elles ont de nouveau accès à la Toile.
Le projet Télap (Télémédecine appliquée aux plaies), expérimenté depuis début 2012 en Basse-Normandie, est un projet commun à celui du Languedoc-Roussillon (lire le témoignage ci-dessous). Il s’appuie sur les mêmes critères d’évaluation pour l’efficacité du projet, le même matériel et le même logiciel. Mais l’inclusion des patients se fait différemment, puisqu’il a lieu à la suite d’une hospitalisation. Les infirmières libérales prennent en photo les plaies du patient et les envoient à l’infirmière experte du réseau qui, après un rendez-vous, donne un protocole à suivre, validé par le dermatologue. Depuis quelques mois, certaines infirmières sont également équipées de tablettes – la généralisation est prévue d’ici 2015 – et obtiennent des conseils en direct. Le retour des infirmières libérales qui participent à ces projets est toujours enthousiaste : « J’ai adhéré au projet Télap car, en libéral, nous sommes démunies sur la prise en charge des plaies, témoigne Françoise Leménager, infirmière libérale à Hérouville-Saint-Clair (Basse-Normandie). Ce projet nous apporte une aide et restimule le moral des patients. » Face à l’usage des nouvelles technologies, « certaines infirmières sont à l’aise et contentes de bénéficier de conseils médicaux, tandis que, pour d’autres, moins habituées, c’est un peu plus compliqué », remarque Christine Linet, infirmière dédiée à la mise en place du projet Cicat-LR. Mais, dans tous les cas, elles sont formées à l’usage de la nouvelle technologie. « Outre la gestion du parc de tablettes pour Télap et Cicat-LR, nous nous occupons également de la formation des infirmières libérales à leur utilisation, à la connexion au réseau, à l’envoi de photos et à la visioconsultation, rapporte Thierry Lagrange, chargé de mission-développement à la société Bastide Le Confort médical, prestataire de service à domicile. Nous assurons aussi la hotline pour l’utilisation du matériel et du logiciel. »
Actuellement, une grande partie des projets impliquant des professionnels de santé libéraux ne permettent pas la rémunération des actes de télémédecine. Ces derniers ne sont pas financés par l’Assurance maladie dans le cadre de la Nomenclature générale des actes professionnels. « Et les ARS ne disposent pas de cadre légal pour financer ces actes, info rme Ivan Tan. L’article 29 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 devrait nous le donner, mais, pour le moment, l’ARS ne peut que financer l’investissement. » Ainsi, les instigateurs des nombreux projets de télémédecine mènent des études médico-économiques afin de démontrer, par le biais d’évaluations, le bénéfice de la télémédecine et l’opportunité d’une généralisation des financements. La recherche d’un modèle économique pérenne est indispensable, car « le manque de reconnaissance est un vrai problème », relève Christine Linet. Les acteurs peuvent tout de même obtenir des financements auprès des ARS, du Fonds européen de développement régional, de l’Asip Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé) ou d’investisseurs privés, et certains projets, comme Télap, parviennent à rémunérer les infirmières libérales.
C’est également le cas du projet Exploitation de la télémédecine dans les territoires isolés de Corse (Ettic), destiné aux patients à pathologies chroniques, mis en place sur trois sites pilotes et impliquant trois cabinets médicaux, neuf infirmières libérales et dix patients choisis par leurs médecins traitants (lire le témoignage page ci-contre). « La téléconsultation se déroule dans un cabinet secondaire situé en territoire isolé, avec une infirmière libérale aux côtés du patient », détaille le Dr Augustin Vallet, président de l’association Corse Télésanté et Télémédecine, porteuse du projet. L’infirmière libérale effectue la prise des constantes comme la tension, le pouls, la pesée, tandis que, de l’autre côté de l’écran, se trouve le médecin qui assure l’interprétation des données. Les infirmières libérales, qui perçoivent une rémunération supplémentaire de 150?euros par patient pour une dizaine de téléconsultations dans l’année, « ont un rôle fondamental dans ce projet de téléconsultation », considère le Dr Vallet. Et de souligner : « Elles prennent de plus en plus de responsabilités pour lesquelles elles n’ont pas de reconnaissance. Il faut valoriser leur métier. Pour elles, la télémédecine est un virage important à prendre. » Si le projet séduit, il sera étendu à l’ensemble des territoires isolés de Corse. « Il peut être intéressant aujourd’hui de développer la télémédecine dans les territoires isolés, car cela peut être un moyen de faire revenir les acteurs de santé par l’attractivité », argumente Pierre Traineau, président du Club des acteurs de la télémédecine (Catel). Attention néanmoins à ne pas substituer entièrement la technologie à la relation humaine, comme le met en garde le Collectif interassociatif sur la santé.
La télémédecine favorise également « l’émergence de situation où l’infirmière est seule et a besoin d’une délégation de tâches », rapporte Pierre Traineau. Le projet Cardiauvergne, un service de télésurveillance et de coordination des soins pour les insuffisants cardiaques en Auvergne, vise à améliorer le pronostic des patients à domicile afin d’éviter un retour à l’hôpital (lire le témoignage p. 25). Toutes les infirmières libérales participantes ont été équipées d’un smartphone et initiées à la transmission d’informations cliniques via une application. Lorsque les patients sont intégrés au réseau après une hospitalisation, les infirmières libérales, qui perçoivent une prime de 25?euros par patient en plus de la prise en charge codifiée, interviennent régulièrement à leur domicile pour renseigner la partie clinique de leur dossier : état fonctionnel, présence de douleurs thoraciques, palpitations, œdèmes, mesure des fréquences cardiaques et artérielles. Ainsi, elles télétransmettent au réseau les informations par le biais de l’application. « Pour qu’elles puissent remplir leur rôle, nous avons fait une délégation de tâches avec la Haute Autorité de santé, indique le Dr Jean Cassagnes, cardiologue et directeur médical de Cardiauvergne. Les infirmières peuvent aussi nous communiquer tous les renseignements complémentaires qu’elles estiment nécessaires. Elles ont un rôle fondamental. »
« Les expériences de télémédecine doivent être élaborées en collaboration afin qu’elles ne soient pas cantonnées à quelques infirmiers libéraux et pour qu’ils puissent être guidés », prévient Pierre Traineau. Cette conduite collective est déterminante pour que l’ensemble des acteurs du territoire se sentent concernés et adhèrent à un projet. Une collaboration d’autant plus importante que les projets peuvent s’avérer complexes en raison des différents aspects à prendre en compte : juridiques, organisationnels, économiques. « Pour le moment, il est difficile pour les infirmières libérales de monter ce type de projets, reconnaît Nathalie Sanchez, de l’URPS Corse. Mais si les URPS des différentes professions travaillent ensemble, c’est possible ! » Les infirmières libérales qui souhaitent des renseignements sur des projets de télémédecine dans leur région peuvent s’adresser directement au Catel, à leur URPS ou à leur ARS. « Dans chaque région, il y a un programme régional de télémédecine qui comprend les orientations stratégiques, assure Ivan Tan. Les infirmières libérales peuvent donc contacter leur ARS pour s’informer sur les possibilités d’accompagnement et de soutien financier qu’elles peuvent obtenir. » D’autant plus que, depuis le 1er janvier 2014, des expérimentations portant sur le déploiement de la télémédecine, notamment en médecine de ville, peuvent être menées pour une durée de quatre ans dans des régions pilotes, en vue d’une généralisation prochaine.
« J’ai exercé pendant vingt ans au CHU de Clermont-Ferrand en cardiologie, et j’ai observé que les patients atteints d’insuffisance cardiaque reviennent souvent à l’hôpital, mais trop tard, quand ils sont déjà au stade terminal. Quand je me suis installée en libéral, j’ai voulu participer à la prise en charge à domicile de ces patients et, avec Cardiauvergne, j’interviens au domicile de quatre d’entre eux. Je fais de la surveillance, je vérifie s’ils suivent correctement leur traitement, s’ils ne font pas d’œdème, s’ils ne prennent pas de poids. En y allant tous les quinze jours, cela évite une dégradation de la situation. De plus, lorsque les patients rentrent de l’hôpital, ils font attention à leur régime alimentaire pendant quelques mois puis ils arrêtent. Je suis là pour faire une “piqûre de rappel”, je joue un rôle fondamental dans tout ce qui a trait à l’alimentation. De son côté, le patient est rassuré de savoir que je transmets les données et qu’elles sont lues par un cardiologue. Il fait davantage attention en sachant qu’il y a un contrôle des données. »
« J’apprécie vraiment de collaborer avec l’équipe de Télap car elle m’apporte des conseils. J’ai fait plusieurs fois appel à leur expertise, notamment pour un patient qui présentait un kyste pilonidal. J’ai eu de grosses difficultés à le traiter : j’ai fini par envoyer une photo à Télap et on a trouvé une solution. Il s’agit d’un contact très simple : on prend des photos de la plaie, on les envoie, on obtient un protocole et on assure un suivi avec l’envoi d’autres photos à intervalles réguliers pour observer l’évolution de la plaie du patient et en discuter. Pour des soins de cette importance, c’est vraiment bien d’avoir un spécialiste avec nous, et le soin est aussi plus facilement accepté par le patient. Mais, parfois, celui-ci ne souhaite pas participer. Cela m’est arrivé pour une patiente qui avait eu trop de mauvaises expériences dans sa prise en charge. La télémédecine évite au patient d’avoir à attendre un rendez-vous avec un spécialiste, et à se déplacer à l’hôpital. C’est un réel confort. »
Quelles sont les démarches indispensables à accomplir pour lancer un projet de télémédecine ?
Une fois le projet monté et validé par l’Agence régionale de santé, l’équipe doit passer une convention de télémédecine entre tous les partenaires afin de déterminer les modalités d’intervention de chacun. Il faut ensuite impérativement saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) pour l’autorisation du traitement des données et conclure un contrat avec un hébergeur de données de santé et un fournisseur d’accès à Internet.
Est-ce accessible aux infirmières libérales ?
Ce n’est pas accessible aux infirmières libérales seules, car la loi prévoit clairement qu’un médecin doit être nécessairement présent dans toute pratique de télémédecine. Mais, en pratique, s’il y a un protocole de coopération avec délégation de compétences, on peut envisager que l’infirmière fasse de la téléconsultation à la place du médecin. De manière plus générale, la présence des infirmières est quasiment systématique dans la télémédecine, car ce sont elles qui sont en contact avec le patient. Pour la télésurveillance, l’équipe peut difficilement se passer d’elles, elles ont un rôle moteur.
Le terme de télémédecine, défini à l’article 78 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires, recouvre différents domaines.
→ La téléconsultation : un médecin donne une consultation à distance à un patient, lequel peut être assisté d’un professionnel de santé. Le patient et/ou le professionnel à ses côtés fournissent les informations, et le médecin pose le diagnostic à distance.
→ La téléexpertise : un médecin sollicite à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères, sur la base d’informations médicales liées à la prise en charge d’un patient.
→ La télésurveillance médicale : un médecin surveille et interprète à distance les paramètres médicaux d’un patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé.
→ La téléassistance médicale : un médecin assiste à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.
→ La régulation médicale : les médecins des centres 15 établissent par téléphone un premier diagnostic afin de déterminer et de déclencher la réponse la mieux adaptée à la nature de l’appel.
Ces actes (cités à l’article R 6316-1 du Code de la Santé publique) doivent s’appliquer pour cinq chantiers prioritaires définis en 2011 par le comité de pilotage national : permanence des soins en imagerie médicale, prise en charge des accidents vasculaires cérébraux, santé des personnes détenues, prise en charge d’une maladie chronique et soins en structure médico-sociale ou en hospitalisation à domicile.
C’est surtout en téléconsultation et téléassistance que le rôle des Idels devrait croître.
« Mon cabinet a été contacté par le médecin référent de notre canton qui nous a parlé du projet. Avec mes collègues, cela nous a semblé être un outil d’avenir car les médecins manquent en Corse et nous avons beaucoup de personnes âgées qui ne sont pas véhiculées. Ce projet de télémédecine apporte une proximité, un contact entre le patient et son médecin traitant. En plus, nous utilisons du matériel innovant et perfectionné auquel nous avons été formées.
Dans ce projet, nous, infirmières libérales, jouons un rôle majeur, car nous recevons les patients, nous faisons le recueil de données : tout cela permet de faire en sorte que le médecin n’ait plus qu’à poser son diagnostic. Nous sommes toutes les trois très motivées, et même l’un de mes patients de 98?ans trouve qu’il s’agit d’une méthode de travail à optimiser. Les pharmaciens ont eux aussi accepté de participer au projet et de recevoir des ordonnances numérisées ! »
→ Le site du Catel : www.catel.pro
→ Le site de l’Asip Santé : esante.gouv.fr
→ Le site de Cicat-LR : www.cicat-lr.org
→ Le site de Télap : www.telap.org
→ Le site de Cardiauvergne : www.cardiauvergne.com