Une infirmière fort marrie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014

 

Famille

L’exercice au quotidien

MARJOLAINE DIHL*   MASAKO MASUKAWA**  

Yvette, professionnelle à Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, a dû apprendre à déléguer peu à peu à d’autres infirmières libérales une grande partie des soins de son mari malade.

Avec son diabète insulinodépendant, mon mari a toujours su gérer son traitement tout seul. Pendant des années, mon rôle s’est limité à prévenir les complications, notamment en cas de plaie qui risquait de s’infecter. Mais tout a basculé en 2008, lorsqu’il a fait un infarctus du myocarde massif : il n’avait alors plus que 24 % de fraction d’éjection. Ça a été un gros choc. Son état était si grave que, dès son hospitalisation, le cardiologue nous a parlé de greffe… C’est à ce moment-là qu’il a fallu apprendre à déléguer à d’autres infirmières. Je me suis donc résignée à faire appel à leurs services, sur conseil de mes collègues : les filles m’avaient dit que, si je prenais tout en charge, j’allais tomber malade. Lorsque mon mari est sorti de l’hôpital, j’ai bien vu que je ne pouvais pas être avec lui tout le temps ni assumer tous ses soins. Ce sont donc des libérales qui se sont occupées de nettoyer et de panser ses plaies. Elles venaient aussi pour les prises de sang. Aujourd’hui, elles s’occupent de ses bilans sanguins, dont il a besoin régulièrement. Nous avons chacune notre façon de travailler, ce que je respecte. D’ailleurs, si je suis présente lors des soins, je préfère sortir de la pièce. En revanche, je prépare le pilulier : même si mon mari a toujours été autonome pour son diabète, il a maintenant des problèmes de préhension à cause de la maladie de Dupuytren.

Accepter que d’autres infirmières soignent mon mari n’a pas été si difficile. D’une part, je n’avais pas trop le choix, car, avec mon activité professionnelle, je ne suis pas là tout le temps. Puis, d’autre part, je me suis rendue compte que la venue des infirmières lui donnait une certaine vie sociale. Il en a besoin, car il ne peut plus beaucoup bouger. Cela dit, pour tout ce qui relève du nursing, je ne l’ai pas confié à d’autres soignants : pour moi, lui couper les ongles, lui frotter le dos etc., c’est de l’ordre de l’intime. Je le fais parce que je pense que c’est mon devoir. Je ne me force pas. Lui aussi préfère que ce soit moi. Il est vrai qu’il faut trouver le juste milieu, réussir à séparer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Mais ce n’est pas facile : je suis infirmière. J’ai toujours soigné mes enfants. Quand il fallait enlever des points de suture, faire des vaccins ou des prises de sang, c’était moi qui m’en occupais ! Mais j’avoue que j’ai été soulagée de laisser d’autres infirmières prendre en partie mon mari en charge. »

Avis de l’expert

« Préserver la vie intime »

Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia, cabinet de prévention et d’évaluation des risques professionnels

« Quand l’aidant est aussi le conjoint, il faut instaurer un dialogue pour trouver des modalités de régulation. Il faut se donner des limites pour éviter des crises trop graves. Cela suppose de recourir à une tierce personne. C’est d’autant plus vrai concernant les soins. Il faut faire attention de ne pas tout mélanger, pour préserver la vie intime et éviter que l’aidant ne cumule deux journées de travail. Sans cela, on peut vite arriver à des situations d’épuisement. Les infirmières, les médecins et les aidants représentent l’une des populations les plus ouchées par le burn-out professionnel. Car, en plus d’être une activité lourde sur le plan quantitatif, les soins suscitent énormément d’émotion. »