L'infirmière Libérale Magazine n° 300 du 01/02/2014

 

CARNET DE TOURNAGE

Actualité

OLIVIER DUCRAY  

L’année 2013 s’est achevée, et avec elle le tournage d’un an aux côtés de Françoise. Au fil des tournées, nous nous sommes fortement attachés à l’infirmière et à ses patients. Envahis par l’émotion, nous ne voulons pas croire qu’il s’agisse déjà du clap de fin.

« Nous venons de passer nos deux derniers jours de tournage avec Françoise, deux jours qui ressemblent plus ou moins à n’importe quel autre pour ses patients. Pour elle comme pour nous, ce sont les deux derniers chapitres d’une aventure démarrée douze mois plus tôt. Humainement, je n’ai jamais rien vécu d’aussi fort. Vivre de l’intérieur la relation entre soignant et patient, dans la durée, est une chance. En préparant le film, je savais que cette relation dépassait largement le cadre du soin, qu’elle revêtait une dimension humaine encore plus précieuse, mais j’ignorais à quel point. Même s’il est souvent question de fin de vie, de dépendance, de solitude, il est avant tout question de vie. C’est sans doute le premier enseignement. Peu importe sa condition physique ou sa situation sociale, chaque homme et chaque femme mérite d’être accompagné dignement, d’être aimé, même simplement, par un mot, un geste, une présence. Ces actes sous-estimés par les pouvoirs publics sont pourtant indispensables. Il faudra que le spectateur le sente comme nous.

Le film est en effet loin d’être terminé. L’étape du tournage est au fond la plus facile. Nous vivons une expérience exceptionnelle, nous tâchons de la capter de la manière la plus juste et la plus subtile possible. L’accueil auquel nous avons eu droit de la part des patients a rendu cette tâche très aisée. Il nous a juste fallu saisir les émotions, les moments essentiels, les échanges savoureux, les réflexions plus douloureuses aussi parfois. Durant l’année, ce ne sont pas moins de cinquante heures d’images que nous avons ainsi mises en boîte. La difficulté vient par la suite : à partir de cette quantité incroyable de matière, extraire uniquement les quatre-vingt dix minutes qui vont raconter cette histoire, ce laps de temps d’un an auprès d’une infirmière libérale et de certains de ses patients.

C’est l’heure du montage, l’étape où le film s’écrit vraiment. Les spectateurs ne verront pas deux pour cent de ce qui a été tourné. Mais choisir, c’est renoncer, renoncer par exemple à des séquences très belles ou très drôles, mais hors sujet ou risquant de casser le rythme. Ce travail a démarré, il durera trois mois.

Ce 31 décembre, nous sommes cette fois entre nous, revenus in extremis pour faire le décompte qui précède la nouvelle année. Nous trinquons dans une atmosphère étrange, un mélange de fierté parce que nous sommes allés au bout, et de mélancolie parce que justement nous y voilà, au bout. En me couchant, je me remémore une remarque, la veille, de Françoise à l’un de ses patients : “Bah alors ? Vous êtes triste aujourd’hui ! On se croirait le 1er janvier !” Je comprends mieux ce qu’elle voulait dire… »