L'infirmière Libérale Magazine n° 300 du 01/02/2014

 

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MATHIEU HAUTEMULLE  

REPRÉSENTATION → Comment augmenter la visibilité des infirmières et leur influence dans les politiques publiques ? Éléments de réponse.

Élue en mai dernier 27e présidente du Conseil international des infirmières, Judith Shamian, qui a commencé sa carrière infirmière en 1971, a répondu à l’invitation de l’Anfiide (1) pour partager sa vision de la profession dans les 130 pays concernés par sa fédération (2).

Que vous inspire le refus du Parlement européen d’harmoniser à douze ans, contre dix, la durée d’enseignement préalable à une formation infirmière ?

Les politiques publiques devraient être basées sur les meilleurs résultats de la recherche, et ceux-ci montrent qu’un niveau licence chez les infirmières est corrélé à de meilleurs résultats pour le patient et à une diminution de la mortalité. Aux responsables politiques, je dis donc : « Vous êtes au service du public, votre responsabilité est de promouvoir le niveau de formation des infirmières. » Mais il y a des pressions médicales, et les gouvernements craignent de ne pas avoir assez d’infirmières. Ce qui se passe au niveau européen s’explique par le fait qu’un pays (3) veut garder le niveau de formation à un degré secondaire. La situation ne changera pas tant que les infirmières ne seront pas politiquement plus actives.

Ce constat vaut-il pour le seul monde politique ?

On ne trouve pas d’infirmières dans des emplois non-infirmiers à des postes à haute responsabilité, entre autres à la Banque mondiale ou à l’Organisation mondiale du commerce. Il y a des médecins, mais pas d’infirmière. Nous devrions nous engager davantage dans les organisations économiques. Tout le monde ne voit les infirmières que comme des donneuses de soins. Pourtant, quand nous nous impliquons, les grandes institutions sont intéressées par nos perspectives.

Comment expliquer ce manque de visibilité des infirmières ?

Nous avons consacré les vingt ou trente dernières années à faire de l’exercice infirmier une véritable profession. Nous étions dans une bulle. Pendant ce temps, d’autres ont occupé les institutions… Les infirmières ont le nez dans le guidon Elles doivent prendre le volant ! En termes de lobbying, les organisations professionnelles obtiennent, quant à elles, des résultats disparates…

L’Ordre infirmier français, lui, fait face à une opposition…

La principale mission d’un Ordre est de protéger le public. Les infirmières n’ont pas besoin d’un Ordre, mais le gouvernement et le public, eux, si. Les infirmières doivent le comprendre ! Si le gouvernement français reconnaissait les infirmières comme une vraie profession de santé, il s’assurerait de renforcer l’auto-régulation de la profession [par un Ordre]…

Le chômage infirmier augmente en Europe, notamment au sud. Est-ce une tendance mondiale ?

Au chômage, qui frappe 20 000 infirmières en Espagne, s’ajoutent des salaires beaucoup moins élevés qu’ils ne devraient l’être. Mon conseil aux gouvernements, c’est de veiller à garder leurs infirmières. Dans les années 1990, le Canada a été victime d’un crash économique, de nombreuses infirmières sont parties aux États-Unis. Quand la crise s’est terminée, il n’y avait plus d’infirmières et il a fallu doubler les effectifs en formation.

(1) Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide).

(2) Soit des millions d’infirmières représentées (www.icn.ch/fr).

(3) L’Allemagne, que Judith Shamian ne nomme pas.