Des couples d’infirmiers libéraux, on en connaît. Mais des couples qui travaillent ensemble, beaucoup moins. En ce mois de Saint-Valentin, deux couples (Sophie et Romain, Stéphanie et Philippe) partagent leur expérience.
« Vous êtes fous ! Comment faites-vous pour vous supporter » C’est le genre de réflexion que Sophie et Romain, infirmiers libéraux en Aquitaine, ont entendu plus d’une fois depuis qu’ils se sont installés en couple. Ce qui les fait bien rire, car oui, ils se supportent, et même bien, visiblement !
Ils se sont connus durant leurs études, ont travaillé des années dans des services proches d’un même établissement. Sophie s’est lancée la première en libéral, il y a huit ans. Son retour de congé de maternité, dans des conditions moins favorables, ainsi que la conversation de collègues sur la poursuite d’une carrière en libéral, ont ouvert le champ des possibles. « Après cinq ans à l’hôpital, j’avais aussi envie de voir autre chose, reconnaît-elle. Le travail d’équipe devenait un peu pesant et j’avais envie d’être un peu plus indépendante. »
Elle se met donc en disponibilité de la fonction publique, rejoint un premier cabinet puis un second. Mais elle ne partage pas l’état d’esprit de ses nouvelles collègues et finit par envisager de changer de métier…
Romain, de son côté, s’estimait heureux dans son poste hospitalier, qui comportait de nombreux avantages pratiques. Mais les interrogations de Sophie amènent le couple à se poser la question d’une installation en libéral… à deux. « Nous étions certains de bien nous entendre », se rappelle-t-elle. À son tour, Romain pose donc sa disponibilité, et ils travaillent ensemble depuis trois ans.
Cette possibilité offerte aux agents de la fonction publique hospitalière a également permis à Stéphanie et Philippe, parents d’une famille recomposée de quatre enfants, de mettre sur pied leur projet. À 38 et 46 ans, ils travaillaient également ensemble à l’hôpital, avant de se lancer. Et eux aussi ont commencé le libéral en décalé : d’abord lui en juin 2012, puis elle en octobre, sous forme de société civile professionnelle.
« Certains collègues nous ont déconseillé de le faire, confie Stéphanie. Comme nous allions créer notre cabinet, ils trouvaient que c’était trop risqué. Alors que cela nous semblait évident. » D’une part, à cause de l’absence de perspectives d’évolution professionnelle et d’une forme de ras-le-bol après pas mal d’années d’exercice hospitalier ; et, d’autre part, pour « le plaisir de créer quelque chose ensemble », poursuit-elle.
Cependant, le démarrage n’a pas été de tout repos pour Philippe. Pendant les quatre premiers mois, il a travaillé tout seul, sans repos, et en cumulant, en plus, des missions de nuit en intérim… « C’était musclé », résume-t-il. Stéphanie l’a rejoint ensuite.
De leur côté, Sophie et Romain n’ont travaillé qu’à deux, sept jours sur sept, pendant deux ans et demi. « C’est bien simple : on ne se voyait pas », se souvient-il. Sophie renchérit : « Nous n’avions pas de vie privée, les enfants ne nous voyaient pas. »
Mais ils ont voulu prendre tout leur temps pour trouver un collaborateur, arrivé il y a moins d’un an. Atterrir au milieu d’un couple d’infirmiers « a dû lui mettre un peu la pression », imagine Sophie. Elle et son mari reconnaissent sans peine qu’ils forment un couple plutôt fusionnel. « On sait que notre priorité, c’est de ne pas avoir d’histoires, ni entre nous, ni avec les collègues, ajoute l’infirmier. On se soutient toujours et on se dit les choses. » Les trois collaborateurs communiquent par e-mail ou SMS tous les jours, et se voient tous les trois jours.
Au départ, ils n’ont pas parlé de leur lien, mais l’information a fini par circuler… Et, finalement, cela faciliterait même le passage de relais au niveau des patients, notent-ils. Ils sont fiers d’avoir réussi le “challenge” de l’installation, qui plus est en couple et avec des enfants en bas âge !
Stéphanie et Philippe exercent toujours à deux aujourd’hui. Ils ont organisé le travail en une petite et une grosse tournée, sur lesquelles ils alternent. « Celui qui a la petite tournée s’occupe de la gestion familiale, de conduire nos enfants à l’école, etc. », explique Stéphanie, qui case ces jours-là le shopping avec les filles ou la virée à la plage en famille. « Les enfants ont pris le rythme, et il faut même parfois leur rappeler que le macaron, sur la voiture, n’est pas celui d’un taxi ! », lance-t-elle. Elle apprécie cependant qu’un parent puisse toujours se rendre disponible, au débotté, en cas d’urgence familiale.
Travailler en couple comporte d’autres avantages : quand l’un des deux est fatigué, il peut compter sur l’autre pour prendre en charge sa tournée du soir ou aller voir un patient en particulier, soulignent Sophie et Romain. Stéphanie et Philippe se relaient aussi, au besoin, quand un patient pose problème à l’un ou exige de n’être soigné que par l’autre…
Ils se sont aussi réparti les tâches hors soins : à Philippe la comptabilité et la gestion, à Stéphanie la télétransmission et les relations avec la CPAM. « À part cela, nous sommes interchangeables », constate Stéphanie, et cela rassure certaines familles. Quant à Sophie et Romain, ils font tout ensemble.
Stéphanie et Philippe travaillent donc tous les deux tous les jours, sans exception, mais selon une intensité variable. « Nous sommes beaucoup moins fatigués que lorsque nous travaillions à l’hôpital, souligne-t-elle, et nous nous croisons plus souvent que lorsque j’étais de nuit et lui du matin ! » En revanche, il est plus difficile de “décrocher” du travail, et leur activité occupe bien des conversations à la maison.
La médaille comporte un revers de taille, même s’il est temporaire : « Nous ne pouvons pas prendre de vacances ensemble, remarque Stéphanie. Sur notre commune, c’est extrêmement difficile de se faire remplacer. Les remplaçantes cherchent des collaborations régulières. Alors, un week-end dans notre maison de campagne nous coûte 700 euros, le coût d’une remplaçante en intérim. Mais, même si nous ne partons pas, nous avons une vie agréable. » Ils ne regrettent pas leur choix. D’autant que, leurs tournées prenant de l’ampleur, ils pourront s’offrir très bientôt de vraies vacances !
Les couples d’infirmiers qui choisissent de s’installer en libéral le font plus souvent séparément, dans deux cabinets différents. Travailler en couple peut en effet fragiliser une relation ou compliquer grandement la vie de famille… Pour que l’installation et l’activité à deux fonctionnent bien, Stéphanie, Sophie, Philippe et Romain ont analysé les clés du succès de leur entreprise. Pour Philippe, il faut « être complètement d’accord sur ce que l’on recherche dans le travail ». « Il faut vraiment que le couple soit solide à la base, estime Romain, et communique un maximum. » Un conseil peu original, certes, mais plus qu’essentiel. « On dialogue beaucoup, on se fâche s’il le faut, mais on est complètement d’accord sur la façon dont on veut travailler », renchérit Sophie. Elle et Romain conseillent aussi de ne pas travailler qu’à deux, surtout quand on a des enfants. Et de veiller à maintenir une vie privée et d’essayer de ne plus parler “boulot” en rentrant à la maison. Un vrai défi !