L'infirmière Libérale Magazine n° 300 du 01/02/2014

 

CREUSE (23)

Initiatives

SOPHIE MAGADOUX  

La mission humanitaire à laquelle Caroline Bouziane a participé pendant quinze jours au Sénégal lui a laissé « un goût d’inachevé ». Mais la volonté d’agir de cette infirmière libérale exerçant dans la Creuse en est sortie renforcée. Contre mauvaise fortune, cette trentenaire fait bon cœur.

Ce 18 novembre, il gèle à Grand-Bourg, dans la Creuse. Caroline Bouziane, emmitouflée, ouvre la porte de son cabinet. « Il y a un mois, je travaillais par 40 °C au poste de santé de l’un des quartiers pauvres de la banlieue de Dakar, se souvient-elle. Avec mon amie Gaëlle Mas, infirmière libérale comme moi, nous y avons passé quinze jours dans le cadre d’un projet humanitaire. »

C’est en 2009 que Caroline se tourne vers le libéral. À contrecœur, elle abandonne alors le Centre hospitalier spécialisé (CHS) de La Valette (près de Grand-Bourg) où elle exerçait depuis ses débuts, alors que la psychiatrie la passionne toujours. « J’y ai appris une écoute humaine et une parole thérapeutique. Il y a aussi de sacrées montées d’adrénaline face à un patient qui menace “d’exploser”. Il faut savoir observer, attendre et accepter l’échec. On les aide à poser un cadre, mais rien n’est jamais garanti, on est dans l’humain. » Les relations avec la hiérarchie ont tout fichu par terre. En octobre 2008, c’est la goutte de trop : « En raison d’une grève du personnel, la direction réquisitionne Djemel, mon mari, agent sanitaire hospitalier, et moi, le même jour, à 6 heures du matin, alors que notre fils n’a que quelques mois et que nous n’avons personne pour le garder au pied levé. »

En disponibilité depuis lors, Caroline ne veut plus revenir en arrière. « J’ai essayé de combiner le libéral avec un 30 % au CHS, mais ça s’est avéré une catastrophe. J’ai eu besoin de laisser mûrir cette affaire, et, aujourd’hui, c’est définitif : je viens tout juste de démissionner et de libérer mon poste. »

« La valeur des choses »

Le travail en libéral lui procure un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. « Nous sommes trois associées. Alternativement, chacune effectue pendant sept jours la tournée matin et soir, puis cinq jours de tournée du matin, dont la permanence au cabinet de 8 heures à 8  h 30, et, enfin, neuf jours de repos, avant de recommencer. Une remplaçante assure le complément et les congés des unes et des autres. Au final, je vois plus mon fils que lorsque je travaillais à l’hôpital. » En outre, elle apprécie le fait que les professionnels du secteur (infirmières, médecin, pharmacie) soient « soudés ».

Même sentiment entre associées. « Nous avons investi dans un cabinet confortable et chaleureux. Le matin, quatre à cinq personnes viennent pour des prises de sang. Ça casse la tournée, mais les gens apprécient, surtout les agriculteurs qui ont ensuite leur journée de libre. » Et elle-même peut s’organiser : « Sur la semaine, je sais quand je peux prendre le temps de boire un café avec les patients et, à l’occasion, donner un coup de main pour un dossier d’allocation personnalisée d’autonomie. »

Forte de sa passion pour « les autres », depuis toujours, Caroline se verrait bien au service de l’action humanitaire. « Ce qui m’en a rapprochée, c’est l’organisation de soirées pour collecter des fonds après le tsunami de décembre 2004 dans l’océan Indien. » Cet engagement survient au cours de ses études à l’Ifsi de Guéret, non loin de Grand-Bourg, et déjà en binôme avec Gaëlle, installée depuis à Brive-la-Gaillarde (Corrèze).

L’Afrique, pour elle, est aussi une histoire d’amour : « Mon voyage de noces s’est passé au Sénégal. Bien sûr, le contexte était très différent d’une mission humanitaire. Mais, généralise-t-elle, je reste très attachée à la grande humanité des Africains, leur richesse de cœur et leur sens du partage. Ce sont des valeurs comme celles-ci qui me portent. Enfant, j’ai baigné dedans. Ma mère n’avait pas de gros moyens : des vêtements au Secours populaire, pas de viande tous les jours… Nous habitions les tours HLM de la banlieue de Guéret. J’y ai côtoyé pas mal de nationalités et découvert des coutumes très diverses. J’y ai appris la tolérance et la valeur des choses. C’est aussi là que j’ai rencontré mon futur mari d’origine algérienne », précise Caroline, qui s’interroge sur ce qu’elle peut à son tour transmettre à son fils Calvin, âgé de six ans.

Pour l’heure, cette jeune mère montre l’exemple. Septembre 2012. Au bout du fil, Ousmane, un ami d’enfance sénégalais : « Je voudrais faire un voyage humanitaire, mais j’ai besoin de ton aide pour des besoins spécifiques. » Confiante, Caroline s’enthousiasme à l’idée d’une nouvelle aventure humaine. Elle entraîne sa complice Gaëlle et soutient la jeune association rochelaise dont Ousmane est le président, Les Soleils de l’avenir. Le projet vise à aider les enfants défavorisés, dans trois volets (éducatif, social, médical) et deux lieux (Dakar et Saint-Louis).

« Une belle claque »

À La Rochelle, Caroline mobilise tous ses contacts, amicaux, professionnels, scolaires, associatifs, municipaux… Résultat : deux lieux pour recueillir des dons de matériels neufs et d’occasion, une collecte de fonds, un lieu de stockage, le transport jusqu’au port… Plus de trois tonnes de matériel sont réunies : lits médicalisés, fauteuils roulants, béquilles, cartons contenant vêtements, matériel scolaire et infirmier et traitements médicaux (paracétamol, antibiotiques…).

Une fois au Sénégal, « avec Gaëlle, nous avons travaillé comme des forcenées pour soutenir l’équipe du poste de santé ». Celui-ci se résume à un “cagibi” pharmacie, trois salles de soin minuscules (consultation prénatale, pansement et injection), et une salle de consultation assez spacieuse. Le personnel compte une dizaine de personnes : directeur, infirmiers et assistants. Pour tout matériel, un stéthoscope, trois pinces Kocher et deux paires de ciseaux, du coton et du Dakin. « Les patients achètent le sparadrap au détail. Les gants sont jaunes d’avoir trop servi et la désinfection des ustensiles se fait à l’eau de Javel ! J’ai vu un crâne recousu avec une aiguille de couturière, des soins réalisés avec si peu d’hygiène… Quand les infirmiers nous ont vues arriver avec des compresses et des gants, ils nous ont embrassées. » Là-bas, l’Idel rencontre « des personnes totalement dévouées et hors du commun ». La structure fonctionne sans médecin. Les infirmiers assurent consultations et prescriptions. « Un peu trop d’antibiotiques d’ailleurs. Les labos les y incitent », s’insurge Caroline, qui leur a conseillé de ne recevoir le visiteur médical qu’en échange de matériel utile. Une révolution. Mais elle souligne qu’« ils nous ont mis une belle claque concernant la maîtrise de certaines pathologies et traitements. De notre côté, nous les avons aidés à améliorer leurs protocoles d’hygiène et avons partagé nos connaissances avec eux ».

Chaque jour, 80 patients (des enfants principalement) consultent au poste de quartier pour des problèmes dentaires, dermatologiques, de paludisme, d’hypertension, de diabète, de gastro… S’y faire recoudre coûte 300 francs CFA, alors qu’en ville, il faut compter 7 000 à 10 000 francs CFA.

Pourtant, ces quinze jours « m’ont laissé un goût d’inachevé, fulmine la jeune femme, décrivant un certain amateurisme de la mission. Nous avons fait tout notre possible, c’est-à-dire bien peu par rapport à ce qui était prévu : le volet médical, et encore… partiellement ». L’association n’a pas décroché les subventions attendues, et l’organisation sur place a laissé à désirer, selon Caroline. « Seul un quart du matériel, une cinquantaine de cartons, est parvenu jusqu’au centre. Nous avons nous-mêmes acheminé autant de médicaments que possible dans nos bagages, en transport en commun. Le premier jour, il n’y avait pas de ventilateur dans notre chambre, et nous n’avons jamais eu de moustiquaire. Pour nous laver, un tuyau à l’endroit où nous faisions nos besoins, etc. La plaisanterie nous a coûté 1 500 euros pour le transport, le logement et la nourriture. Sans compter la perte de revenus qu’une telle absence induit. C’est cependant sans regret que nous avons offert de notre temps et partagé notre expérience professionnelle dans le but d’améliorer les conditions de vie et de santé de la population. La reconnaissance est venue des Sénégalais eux-mêmes. Heureusement ! »

Ce bilan contrasté n’a fait que renforcer la volonté d’agir des deux jeunes femmes. « Nous allons créer notre propre association. À présent, nous avons des contacts directs sur place, nous connaissons pleinement leurs besoins. Nous voulons instaurer des actions adaptées et concertées pour un retour en 2015 », conclut Caroline.

« Des actions revues à la baisse »

Ousmane, président de l’association Les Soleils de l’avenir, salue l’engagement « louable » des bénévoles dans l’humanitaire. Mais, à propos des difficultés rencontrées par la mission à laquelle a participé Caroline , il précise : « Un voyage humanitaire ne peut être des vacances. Nous avons logé chez l’habitant et jamais nous n’aurions [pu nous permettre] le luxe d’un 4 étoiles. Quant aux actions, elles ont été revues à la baisse puisque les subventions n’ont pas été accordées. La secrétaire de l’association [la femme d’Ousmane] a d’ailleurs contracté un crédit personnel pour garantir le minimum. Beaucoup de matériel reste à envoyer au Sénégal. Ce sera fait au fil des mois, car le coût d’un container s’élève à plus de 4 000 euros. »