L'infirmière Libérale Magazine n° 301 du 01/03/2014

 

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FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

ÉCONOMIE > Quelque 70 infirmières libérales de l’Oise qui collaboraient avec un important Ssiad du département courent après leurs honoraires depuis la mise en liquidation de la structure en novembre dernier.

L’affaire est complexe et la note pourrait être très salée pour 70 infirmières libérales de l’Oise - on évoque 200 000 € de pertes. En novembre dernier, elles ont appris la mise en liquidation judiciaire de l’Association des centres sociaux ruraux de l’Oise (Adcsro) qui gérait entre autres un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) de 240 places. L’Adcsro, créée il y a une quarantaine d’années et qui rayonnait sur une bonne partie du nord-est du département, aurait elle-même été victime d’une ardoise de 250 000 € qui l’aurait conduite à la déconfiture, laissant sur le carreau plus de 400 salariés et environ 1 400 usagers et patients au moment de sa faillite.

La situation exaspère Marie-Odile Guillon, présidente de l’Union régionale des personnels de santé (URPS)-infirmiers de Picardie, vers qui les libérales flouées se sont tournées fin 2013. « Je me suis adressée à la Caisse régionale d’Assurance maladie, mais visiblement elle n’était pas au courant de cette situation. Quant à l’Agence régionale de santé (ARS), elle nous a indiqué que les infirmières seraient payées. Mais rien n’est moins sûr », s’inquiète-elle. Rien n’est moins sûr en effet, car l’affaire est désormais entre les mains d’un liquidateur dont la priorité est de payer les salariés, l’Urssaf et le Trésor public. Les infirmières ne seraient réglées qu’en seconde intention ; et, bien évidemment, s’il reste des fonds dans les caisses.

Double perte

« L’Adcsro n’était pas mon activité la plus importante. J’ai d’ailleurs fait mon deuil de ma facture. Malgré tout, je continue, comme mes collègues, à prendre les patients en charge car on ne peut pas les abandonner à leur sort. Cependant, pour l’instant, je n’ai pas signé de convention avec le repreneur », l’Amapa (Association mosellane d’aide aux personnes âgées et handicapées), explique cette infirmière qui préfère garder l’anonymat. Pour d’autres, la situation est bien plus brutale, comme l’explique Marie-Odile Guillon. « Les collègues qui ont fait appel à des remplaçantes en 2013 ont dû s’acquitter de la rétrocession de leurs honoraires, or elles n’ont pas été payées par l’association. Pour elles, la perte est donc double. Et nous avons connaissance de quelques cabinets à deux doigts de mettre la clé sous la porte… D’autres encore, dégoûtées, songent à quitter le métier », indique la présidente.

Plus encore que la faillite de l’Adcsro, ce sont les conditions d’implantation des Ssiad et leur modèle économique que pointe aujourd’hui l’URPS-infirmiers. « Notre ARS, qui considère le département comme sous-doté, donne à tour de bras des autorisations d’installation à des Ssiad. Et ces derniers finissent par se comporter comme de véritables baronnies locales estimant que tout le monde vit grâce à eux ! Par exemple, un Ssiad de Compiègne a récemment décrété que les Idels ne faisaient pas leur boulot et a décidé de les virer du jour au lendemain pour embaucher trois infirmières salariées ! »

Pratiques délétères

Quant au fonctionnement de certaines de ces structures, l’URPS n’est guère plus tendre. « Leur modèle économique repose sur le forfait journalier de 38 € par patient, or ils ont du personnel et une “entreprise” à faire tourner. Alors, pour raboter les coûts, ils rognent sur tout, y compris sur la qualité de la prise en charge. Il est fréquent que les aides-soignantes ne passent pas tous les jours pour les soins de nursing ou qu’on leur demande de panser des patients ou de distribuer les médicaments. Ces pratiques sont strictement interdites, et délétères pour les patients. Et que dire de ceux que l’on fait dîner à 18 heures… » Marie-Odile Guillon dit avoir interpellé l’ARS pour faire le point sur ces dysfonctionnements. « On ne comprend pas, alors que nous avons la même tutelle, l’ARS de Picardie, pourquoi cela se passe-t-il si bien dans l’Aisne et si mal dans l’Oise ? », s’interroge-t-elle.

Timide éclaircie

Il semble que les cieux isariens s’éclaircissent puisque les activités de l’Adcsro ont été reprises par l’Amapa, structure qui appartient depuis 2012, année où elle a elle-même flirté avec la liquidation judiciaire, à la société Docte Gestio, spécialisée dans la gestion immobilière et présidé par Bernard Bensaïd. Sur le terrain, Bernard Bensaïd s’emploie à calmer des esprits en rencontrant les libérales lors de réunions organisées par secteurs (cf. encadré). Son objectif est aussi de passer convention avec elles.

Mais rien n’est gagné, car certaines Idels ont préféré « sortir » les patients du nouveau Ssiad pour une prise en charge directe. « Pour l’instant, je continue de travailler avec l’Amapa tant par obligation professionnelle que morale vis-à-vis des patients. En janvier, j’ai ­d’ailleurs été payé pour le travail de novembre. Ça ne fait pas le compte mais c’est un début. En revanche, je refuse de signer une nouvelle convention tant que les choses resteront dans le flou », conclut Jean-Michel Herbinet, qui exerce à Ressons-sur-Matz. Bref, infirmier échaudé, craint l’eau froide…

« Un chèque reçu »

Le 13 février, les libérales de la région de Lassigny/Ressons-sur-Matz/Granvilliers ont été conviées à une réunion, sous la houlette du directeur financier de Docte Gestio, propriétaire de l’Amapa (qui a succédé au Ssiad en liquidation). Une quinzaine d’entre elles était présente. « Il nous a dit que nous allions être payées pour la période de mai à novembre 2013, et nous avons effectivement reçu un chèque. En revanche, il ne s’est pas engagé pour mars et avril 2013 », récapitule Christophe Tassin, Idel à Lassigny et dont le cabinet affichait 13 000 € d’arriérés dus par l’Adcsro. Les infirmières ont aussi rencontré la coordinatrice générale des soins infirmiers de l’Amapa. « Elle s’est voulue rassurante sur l’avenir de la structure. On a aussi abordé le non-paiement de la majoration de coordination infirmière, que l’Adcsro refusait de payer, malgré une dérogation de la CPAM le permettant dans l’Oise », détaille l’infirmier. Autre engagement du directeur financier : un paiement à 30 jours, après réception, des factures (au lieu de 60 jours). Quant à la signature d’une nouvelle convention, les parties se laissent un peu de temps. Une autre rencontre aura lieu en mai.