Infirmière collaboratrice dans des cabinets libéraux, Martine s’étonne de la relation hiérarchique qui peut s’instaurer entre l’infirmière “propriétaire” de la patientèle et ses collaboratrices.
L’une des infirmières collaboratrices du cabinet pour lequel je travaille a récemment perdu sa mère. Elle a été arrêtée par un médecin, dans l’optique par la suite de reprendre le travail progressivement. J’ai pris en charge les patients dont elle s’occupe habituellement, et elle m’a contactée pour me dire qu’elle aimerait bien dispenser des soins à quelques-uns d’entre eux. Nous nous sommes donc organisées pour qu’elle puisse faire quelques soirées. Mais lorsque ma collègue, propriétaire du cabinet, a appris que nous avions organisé la tournée sans elle, cela l’a mise dans une colère noire. Sa réaction m’a laissée bouche bée, d’autant que ce n’était pas sur ses jours de travail à elle. Je lui ai donc répondu que j’étais une infirmière libérale professionnelle et que je savais comment m’organiser avec mon autre collègue jusqu’alors en arrêt. Mais impossible de lui faire entendre raison ! Je lui ai expliqué calmement que je n’avais pas eu l’impression de dépasser les limites. Malheureusement, il n’est pas rare que des infirmières libérales propriétaires de cabinets se positionnent en situation de hiérarchie vis-à-vis des autres infirmières. Il ne s’agit pas d’une hiérarchie officielle, mais il y a bien un usage de pouvoir, et c’est quelque chose qui me choque dans la pratique libérale. Quand tout se passe bien, il n’y a rien à redire, mais dès qu’il y a une critique, on se rend compte du vrai visage des gens. Ce que je crains, c’est que, d’un point de vue juridique, je ne sois pas protégée. J’ai un contrat de collaboration très simple dans lequel il est prévu que la propriétaire du cabinet doive me donner douze jours de travail par mois et, en échange, elle a l’exclusivité. Si un jour elle décide de mettre fin à mon contrat de travail, je ne peux rien dire. J’ai des collègues qui travaillaient dans d’autres cabinets qui ont perdu leur emploi pour avoir été trop francs. Les propriétaires sont les étoiles et nous, collaborateurs ou remplaçants, les satellites. Pour le moment, elle ne me parle plus. Je vais tout de même faire en sorte que la situation rentre dans l’ordre. J’ai déjà eu des différends avec elle, mais c’est la première fois que c’est aussi manifeste. »
Maître Pierre Desmarais, avocat en droit de la santé
« Quand l’infirmière libérale signe un contrat de collaboration, elle est sur un siège éjectable. Elle peut être remerciée pour un oui ou pour un non. Lorsqu’il est mis fin à son contrat de travail, la seule façon d’obtenir un dédommagement est de démontrer qu’il y a eu un abus, mais cela reste difficile. Il ne faut pas oublier que, si l’infirmière collaboratrice reste indépendante pour l’exercice de son métier, c’est son “patron” qui organise l’activité du cabinet. Il faut lui reconnaître ce pouvoir d’organisation, car il s’agit de son cabinet. Il faut donc être très prudent car on peut vite arriver à des blocages où chacun reste persuadé d’être dans son droit. »