L'infirmière Libérale Magazine n° 302 du 01/04/2014

 

Delphine Reiss, responsable d’un magasin de produits orthopédiques, Bordeaux (33)

La vie des autres

OLIVIER BLANCHARD  

Le vieillissement de la population et la volonté de rester chez soi s’accompagnent d’un volet technique, matériel. Delphine Reiss remplit sa “mission principale”, le conseil sur le matériel orthopédique, auprès des particuliers comme des professionnels de santé.

Après son BTS en Agencement des magasins dans les années 1990, Delphine Reiss se lance dans une carrière qu’elle pense toute tracée. C’est par hasard qu’elle accepte de mettre en valeur les vitrines d’un magasin de matériel médical, qui vend, entres autres, chaussettes et bas de contention, ceintures lombaires, coudières, cannes, colliers cervicaux, chaises percées, fauteuils roulants… et bien d’autres produits de confort, de maintien ou d’hygiène. Elle découvre alors la vente en orthopédie, une révélation : « J’ai trouvé ce métier tout de suite passionnant par la richesse des rencontres qu’il propose », avec les professionnels de santé et des patients, dont les pathologies peuvent varier de la foulure à l’immobilisation… Un nouveau métier où elle se sent parfaitement à l’aise. « Je venais si souvent dans le magasin que j’ai fini par savoir où la matériel était rangé. Quand les vendeuses étaient débordées, je leur donnais un coup de main, pour dépanner. » Finalement, elle se réoriente en 1997 et entreprend de suivre en un an la formation en alternance du Cerah (Centre d’études et de recherche sur l’appareillage pour les handicapés), qui lui permet de devenir conseillère en vente de fauteuils roulants. Une fois diplômée, elle est finalement embauchée dans ce fameux magasin… et ce n’est plus pour préparer les vitrines.

Une rencontre productive

En rencontrant régulièrement les infirmiers libéraux, elle a l’idée de leur destiner une ligne de consommables spécifiques (gants, compresses, aiguilles…) moins chers que les commandes sur catalogue, « parce que j’ai eu tout de suite un contact vraiment simple avec eux et nous avons lié une relation de confiance. Nous échangeons des informations sur le matériel et sur les patients que nous avons en commun, ils m’apportent autant que j’essaie de leur apporter ». Une idée qui fonctionne bien et qui profite à tous. « En plus des consommables, les infirmiers sont aussi les interlocuteurs privilégiés pour les pansements, nous essayons de trouver ensemble la solution la mieux adaptée à la plaie, aux soins… et les médecins nous font souvent confiance. » Dix ans plus tard, le magasin se développe et ouvre un nouveau point de vente. On lui propose alors d’en être la responsable. Ne se sentant pas encore prête, elle passe en 2009 son diplôme d’orthopédiste (un an de cours en alternance pour les personnes pouvant justifier de plus de cinq ans d’expérience dans le secteur) et, quelques mois plus tard, elle devient la responsable du second magasin. « La vendeuse venait de partir à la retraite. C’était une corsetière avec un savoir-faire exceptionnel, à l’ancienne. Pendant des mois, elle a quand même continué à venir m’apprendre les ficelles de cette partie très spécifique de l’orthopédie », qui nécessite un long travail en couture et en production pour un corset parfait, toujours réalisé sur mesure.

Du conseil et du tact…

Depuis, Delphine Reiss ouvre le magasin tous les jours à 9 heures : « Les professionnels viennent les premiers, quand il y a moins de monde, pour ne pas perdre de temps. » Elle accueille des patients de tous les âges – du jeune qui s’est cassé la cheville et qui a besoin de béquilles au choix ultra- spécifique d’un fauteuil pour un polyhandicapé – avec des besoins précis. « J’estime que ma mission principale consiste à conseiller. Nous sommes une maison familiale et nous n’avons pas d’objectif de vente, donc je préfère créer une relation basée sur la confiance avec les clients. Vendre du matériel non adapté serait une honte ! »

… pour des populations particulières…

Parmi les clients habituels de Delphine Reiss, il y a deux catégories plus spécifiques : les personnes avec des troubles de la continence et les aidants. L’incontinence est un choc narcissique pour les patients et ils ont besoin d’une écoute attentive. « Je les reconnais assez facilement : ils viennent seuls et ils cherchent un moment sans dire ce qu’ils veulent. Ensuite, ils demandent un renseignement, mais c’est toujours “pour quelqu’un d’autre”, parce qu’ils ont honte… J’ai créé pour cela un espace plus discret dans le fond du magasin, où l’on peut parler et trouver ensemble la bonne solution. Je leur donne ensuite des échantillons et ils repassent quelques jours après, plus en confiance. » Les aidants, elle essaie de les aider à son tour, soit en convaincant le proche malade que tel matériel peut vraiment l’aider au quotidien, soit en parlant simplement avec eux. « Je deviens une confidente pour les aidants. Cela me touche parce que ce sont des situations tellement injustes, parfois ! Celui qui aide a très souvent un rôle ingrat dans la famille, alors j’essaie de le revaloriser. »

… pas toujours “commodes”

Quand on touche à une population âgée, en position difficile et qui se sent parfois dépassée, les clashes sont inévitables. « La première chose que je fais, c’est de leur dire qu’ils ont raison, que je comprends leur problème. Là, la pression tombe en général et on peut ensuite régler calmement le problème. »

Aujourd’hui, Delphine Reiss souhaite simplement continuer à travailler et faire découvrir ce métier à d’autres personnes. « Surtout qu’il s’agit d’un des rares métiers où l’on peut commencer même sans formation. Si on aime les autres, qu’on a de la patience et de l’écoute, tout est possible ! Et puis, c’est un métier d’avenir. »