L'infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014

 

Fabien Bruno, pharmacien et spécialiste de préparations magistrales à Paris (75)

La vie des autres

LAURE MARTIN  

Fabien Bruno est propriétaire d’une des plus grandes pharmacies de France. Dans ses sous-sols, se déroule l’activité principale de la structure : la réalisation en sous-traitance de préparations magistrales. L’officine travaille avec un tiers des pharmacies françaises.

« Mes parents étaient pharmaciens à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université, se souvient Fabien Bruno. Depuis tout petit, j’ai toujours été dans l’activité de l’officine et du préparatoire. » En classe de terminale, quand vient l’heure de faire un choix pour son orientation, il hésite un moment entre partir à l’armée et faire des études de pharmacie. « Finalement, aujourd’hui, j’ai aussi un pied dans l’armée car je suis réserviste en tant que pharmacien chez les pompiers de Paris, souligne-t-il. Je participe à la gestion de leur pharmacie et, une fois par semaine, je m’occupe des stupéfiants. »

Une officine fondée en 1873

Entre-temps, ses parents rachètent une pharmacie en plein cœur de Paris, la pharmacie Delpech, fondée en 1873, l’une des premières pharmacies homéopathiques en France. « Quand j’ai commencé à travailler à la pharmacie en 2000, nous étions dix employés, se rappelle Fabien Bruno. Depuis, j’ai repris l’affaire, et aujourd’hui, nous sommes 85, dont beaucoup de préparateurs. » La pharmacie s’est en effet peu à peu spécialisée dans les préparations magistrales et elle est d’ailleurs agréée par l’Agence régionale de santé (ARS) pour cette activité. Le Code de la Santé publique définit la préparation magistrale comme « tout médicament préparé au vu de la prescription destinée à un patient déterminé ». « Nous fabriquons du sur-mesure, souligne Fabien Bruno. Nous créons des médicaments essentiellement en dermatologie, en pédiatrie, notamment pour de l’adaptation posologique, et dans le domaine vétérinaire. » La phytothérapie représente 25 % de la production, tout le reste concerne l’utilisation de produits chimiques, comme des antibiotiques, des antiépileptiques ou encore des corticoïdes. « Les médecins prescrivent des préparations magistrales quand ils n’ont pas de médicaments spécifiques qui conviennent pour leur patient, indique-t-il. Cela dépend vraiment du prescripteur. » C’est au médecin qu’il revient d’écrire la formule pour les principes actifs, tandis que le pharmacien s’occupe généralement des excipients. « Ce type de prescription ne relève pas de l’instantané, il n’y a pas de notion d’urgence. » Les patients se rendent donc chez leur pharmacien avec leur ordonnance et ce dernier sous-traite la production à la pharmacie Delpech.

Logiciel pionnier

« En France, nous sommes environ cinquante pharmacies à faire de la sous-traitance, mais les autres sont plus petites que nous, explique Fabien Bruno. Nous faisons environ 1 300 préparations magistrales par jour quand les autres en font en moyenne 200. Un tiers des pharmacies françaises travaillent avec nous, et nous sommes l’un des plus gros sous-traitants d’Europe. » À l’heure actuelle, au sein de la structure, 1 000 m2 sont consacrés à la pharmacie, et 900 m2 à la création de préparations magistrales. « En termes de surface, nous sommes la plus grande de France. » À l’origine, la moitié de l’activité de l’officine était consacrée à la pharmacie, et l’autre moitié aux préparations magistrales. « Mais nous avons eu une telle croissance que j’ai dû m’y consacrer à temps plein, sept jours sur sept », précise Fabien Bruno. L’activité ne cesse de croître, d’environ 5 % par an. « Nous nous sommes considérablement développés, certainement parce que nous offrons un service satisfaisant, de qualité, et aussi parce que nous avons été pionniers dans beaucoup de domaines, avec par exemple la création d’un logiciel informatique. » Fabien Bruno a en effet développé, avec l’aide d’un programmeur, un logiciel permettant de contrôler la création des préparations magistrales.

Le propriétaire est responsable pénalement, disciplinairement et réglementairement des erreurs qui peuvent être commises par les préparateurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a développé le logiciel, afin d’éviter le plus d’erreurs possibles. Quand une ordonnance est réceptionnée à l’officine pour une préparation magistrale, elle est automatiquement scannée et archivée. Elle est ensuite entrée dans le logiciel pour en permettre la préparation. Un contrôle de la saisie est effectué afin d’éviter les erreurs. Un fax est alors envoyé à la pharmacie cliente pour la prévenir que la commande est en cours de préparation. Tous les produits sont scannés avant d’être mélangés, pour s’assurer qu’il s’agit du bon produit et pour le peser. Une fois la préparation fabriquée, elle est obligatoirement libérée par le pharmacien et part ensuite chez le grossiste. « Il s’agit d’un métier difficile qui génère beaucoup de stress », considère Fabien Bruno. Il a vendu la majorité de sa pharmacie, mais reste pharmacien titulaire, donc responsable. Et de conclure : « Les problèmes de fabrication peuvent nous arriver car nous faisons de la production artisanale. Mais, pour le moment, je n’ai jamais eu de souci. D’ailleurs, c’est plutôt incroyable, quand on sait qu’on sort plus de dix millions de gélules par an. »

Il dit de vous !

« Je ne suis pas en contact direct avec les Idels, car je ne possède pas une officine classique. Mais nous pouvons nous rejoindre à propos des personnes âgées qui ont des comprimés à avaler. Ce n’est pas toujours facile pour elles, et les Idels, au chevet des patients, peuvent être confrontées à cette difficulté. Nous, nous sommes là pour faire des adaptations galéniques qui rendent la prise de médicaments plus facile, puisqu’ils sont sous forme de gélules. Les Idels peuvent d’ailleurs en informer les médecins prescripteurs afin qu’ils pensent à prescrire des médicaments sous cette forme. Sinon, d’un point de vue plus personnel, je les considère comme le dernier lien social pour les patients à domicile, ce sont les dernières à prendre des nouvelles des patients, dans les milieux ruraux notamment. »

préparations magistrales

La prise en charge par l’Assurance maladie

Les préparations magistrales doivent être conformes à la définition du Code de la santé publique et répondre à quatre critères pour être prises en charge :

– l’objectif thérapeutique, ce qui exclut les préparations à visée cosmétologique, diététique ou d’hygiène ;

– l’efficacité thérapeutique. Les préparations à base de plantes et d’oligo-éléments ne sont pas prises en charge en raison d’une efficacité mal établie et d’une place mineure dans la stratégie thérapeutique ;

– l’absence de spécialités ou de produits équivalents ;

– l’inscription à la pharmacopée de toutes les matières premières entrant dans sa composition.