Cahier de formation
Savoir faire
La diminution des fonctions rénales et hépatiques rend les patients âgés plus à risque de développer des événements indésirables médicamenteux. Les états de dénutrition et les vagues de fortes chaleurs justifient également une surveillance accrue par l’infirmière.
Mme R., 72 ans, est traitée par metformine depuis trois ans pour son diabète. Elle se plaint de diarrhée. Vous voyez sur sa table une boîte d’Aspégic 1000. Elle vous dit qu’elle en prend souvent en ce moment à cause de son mal au dos.
Vous lui conseillez d’appeler son médecin pour lui faire part de la situation car il n’est pas informé de sa prise régulière d’aspirine en automédication. La diarrhée peut entraîner une déshydratation qui majore le risque d’altérer la fonction rénale déjà concernée par le diabète. D’autant que l’aspirine est néphrotoxique. Le médecin fera certainement une évaluation de la fonction rénale de la patiente et lui proposera un traitement mieux adapté pour ses douleurs.
Lors du vieillissement, l’organisme subit des modifications qui ont des conséquences sur l’action d’un certain nombre de médicaments et dont il est nécessaire de tenir compte.
La voie rénale est la principale voie d’excrétion des produits résultant de la transformation des médicaments. Les patients âgés présentent souvent une insuffisance rénale patente ou latente, à évaluer et à surveiller régulièrement.
La diminution progressive de la fonction rénale oblige à la méfiance à partir de soixante ans, d’autant plus si d’autres facteurs de risque sont associés (hypertension artérielle, diabètes, médications associées…). La posologie d’un médicament à élimination rénale, « molécule éliminée principalement ou exclusivement par le rein sous forme inchangée » comme le stipulent les Résumés des caractéristiques du produit (RCP), doit être adaptée au débit de filtration glomérulaire évalué par la clairance de la créatinine avant toute prescription chez un patient âgé. À titre indicatif, les doses devraient être réduites à 65 % de la dose adulte à partir de soixante-cinq ans, à 50 % à partir de quatre-vingt cinq ans
Dans le traitement de l’hypertension artérielle :
→ chez les patients ayant une clairance de la créatinine supérieure ou égale à 30 ml par minute (d’un état normal à une insuffisance rénale modérée) : les diurétiques thiazidiques (Cotareg, etc.) et apparentés à faible dose sont privilégiés ;
→ en cas de clairance de la créatinine inférieure à 30 ml par minute (insuffisance rénale sévère ou terminale) : le furosémide doit être privilégié. Sont déconseillés les diurétiques épargneurs de potassium (Aldactone…) à cause du risque d’hyperkaliémie, ainsi que les diurétiques thiazidiques du fait de leur perte d’efficacité.
Elle peut se faire sous la forme active inchangée des médicaments dans l’urine et les selles ou après une biotransformation, le plus souvent sous forme de métabolites inactifs, éliminés principalement par les urines.
Un médicament doit être rapidement éliminé par l’organisme pour éviter un risque d’accumulation toxique. La notion de clairance permet de quantifier l’aptitude de l’organisme à éliminer une substance. Elle peut s’exprimer en fonction de l’organe éliminateur (clairance rénale, hépatique, etc.). La clairance totale est la somme des clairances partielles.
L’excrétion hors de l’organisme du médicament se fait essentiellement par le rein et le foie. Les autres voies (salivaires, pulmonaires…) sont considérées comme négligeables. L’excrétion par la voie lactée revêt une importance car elle peut occasionner des risques d’intoxication du nourrisson lors de l’allaitement. La baisse de la fonction rénale liée à l’âge entraîne une baisse de l’élimination des molécules à élimination rénale (digoxine, sulfamides hypoglycémiants, aminosides, lithium, certains bêtabloquants et inhibiteurs de l’enzyme de conversion, morphine, héparines de bas poids moléculaire…), ou des composés hydrosolubles (vérapamil, digoxine…). Elle occasionne donc une augmentation de leur concentration plasmatique et du risque de toxicité (effets indésirables).
Certains médicaments peuvent causer une insuffisance rénale fonctionnelle qui régresse généralement à l’arrêt du traitement : les diurétiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les sartans…
De nombreux médicaments exposent à une insuffisance rénale organique. Après l’arrêt du médicament, l’insuffisance rénale est soit irréversible, soit lentement réversible de façon complète ou partielle. Médicaments particulièrement concernés
Les diurétiques sont à l’origine de nombreux effets indésirables : hypotensions, troubles hydroélectrolytiques graves (dysnatrémies, dyskaliémies) ou atteinte de la fonction rénale.
L’effet hypokaliémiant concerne principalement les diurétiques de l’anse. L’hyponatrémie, plus souvent liée aux diurétiques thiazidiques, peut être favorisée par la diarrhée, un syndrome infectieux ou de fortes chaleurs.
Le contrôle régulier de l’état d’hydratation du patient, de la natrémie, de la kaliémie et de la fonction rénale est nécessaire pour prévenir les troubles hydroélectrolytiques et le risque d’insuffisance rénale fonctionnelle.
Tout au long d’un traitement, mieux vaut éviter toute autre cause d’insuffisance rénale. Il s’agit en particulier d’assurer une hydratation correcte du patient. À surveiller :
→ l’état d’hydratation, régulièrement. Si la perte d’eau n’est pas compensée par des apports extérieurs, voici les signes : soif, pli cutané, sécheresse buccale et des muqueuses, enfoncement des globes oculaires, hypotension due à l’hypovolémie ;
→ les variations de poids à court terme sont le reflet de l’état hydrosodé du patient. Une diminution rapide du poids peut être liée à l’efficacité du traitement, mais elle peut aussi révéler une déplétion hydrosodée entraînant un sur-risque iatrogène ;
→ le pouls, régulièrement, pour surveiller l’apparition d’une tachycardie qui peut révéler une hypovolémie ;
→ les signes d’une éventuelle hypokaliémie : crampes musculaires, fatigue, nausées, vomissement, hyperventilation, troubles du rythme cardiaque, augmentation importante de la diurèse.
La notion de “vieillissement hépatique” ne justifie pas en elle-même de modifier la posologie des médicaments
→ une diminution des capacités hépatiques à métaboliser beaucoup de médicaments, avec des variations interindividuelles (facteurs génétiques, environnementaux, états pathologiques, polymédication, dénutrition) ;
→ une diminution de la masse hépatique (environ un tiers) ;
→ une diminution du flux sanguin hépatique.
Le foie est l’organe qui a la plus grande capacité métabolique de tout l’organisme. Le métabolisme correspond à une étape d’épuration, le médicament est dégradé en un ou plusieurs composés actifs ou inactifs afin d’être éliminé plus facilement. D’autres organes (poumon, estomac et intestin) sont également capables de métaboliser les médicaments lors du premier passage. Avant d’atteindre la circulation générale, le principe actif du médicament passe par le foie où il est en partie transformé ou éliminé (par le biais du système biliaire). C’est le “premier passage hépatique”. Avec l’âge, le pouvoir métabolique hépatique diminue (de plus de 30 % après soixante-dix ans). C’est un facteur limitant du métabolisme des molécules lipophiles (macrolides, certains bêtabloquants ou inhibiteurs calciques…) qui subissent obligatoirement un métabolisme hépatique pour pouvoir être éliminées par la bile ou les reins. Leurs RCP stipulent « molécule subissant un métabolisme passant principalement par le système des CYP » ; les cytochromes P450 (CYP) sont des enzymes hépatiques intervenant dans le métabolisme.
La biodisponibilité est la part active du médicament qui atteint la circulation générale. Elle est augmentée par la diminution du pouvoir métabolique hépatique. Du coup, le risque de toxicité de certains médicaments est aussi augmenté. C’est le cas pour la plupart des tranquillisants, des antidépresseurs tricycliques, des anti-arythmiques et certains bêtabloquants, dont le propranolol. Pour d’autres médicaments, comme la warfarine, le métabolisme hépatique dépend de l’activité enzymatique liée aux cytochromes P450 qui peut être diminuée chez le sujet âgé.
Toute atteinte hépatique connue doit inciter à la prudence dans le choix des médicaments et de leur dosage, ainsi que dans la surveillance du traitement. C’est par exemple le cas chez les alcooliques chroniques. Certains médicaments risquent de voir leurs effets augmentés (sédatifs, anti-inflammatoires, antidiabétiques oraux, antimimotiques…). Les comorbidités hépatiques associées (virus de l’hépatite C, virus de l’hépatite B, cirrhose…) doivent aussi être prises en compte.
Pratiquement toutes les classes de médicaments peuvent causer des atteintes hépatiques. Elles représentent un faible pourcentage des effets indésirables (3 à 5 %), mais une mortalité élevée (14 %)
Exemples de médicaments qui peuvent entraîner ou aggraver une atteinte hépatique
→ antalgiques : paracétamol en cas de surdose (atteinte mortelle au-delà de seuils variables selon les situations), AINS, néfopam (Acupan) ; Úhypoglycémiants : sulfamides hypoglycémiants, acarbose, répaglinide ;
→ antithyroïdien : propylthiouracil ;
→ antidépresseurs : miansérine, mirtazapine, tianeptine, duloxétine, agomélatine ;
→ nombreux médicaments à visée cardiovasculaire : amiodarone, inhibiteurs calciques, nicorandil, quinidine, hydroquinidine, disopyramide, flécaïnide, propafénone, méthyldopa, antivitamine K (notamment la fluindione), rivaroxaban, dabigatran, ticlopidine, clopidogrel, prasugrel, statines, ézétimibe, acide nicotinique, bosentan ;
→ antibiotiques : cyclines, amoxicilline + acide clavulanique, céphalosporines, macrolides, moxifloxacine, nitrofurantoïne, aminosides, association sulfaméthoxazole + triméthoprime alias cotrimoxazole, isoniazide, rifampicine…
Chez le sujet âgé, la diminution de la masse maigre et l’augmentation relative de la masse grasse sont responsables :
→ d’une augmentation du volume de distribution et de la demi-vie des médicaments liposolubles (psychotropes, par exemple). Ils ont tendance à être stockés puis relargués, ce qui prolonge leur action ;
→ d’une diminution de la distribution des médicaments hydrosolubles (digoxine) en lien avec la diminution de la quantité totale d’eau de l’organisme. Ce qui majore le risque de surdosage avec ces molécules, d’où la nécessité d’un ajustement de leur posologie.
Outre les insuffisances rénales ou hépatiques, certains états de santé interagissent avec le métabolisme et/ou l’effet de certains médicaments :
→ la dénutrition avec les médicaments fortement liés aux protéines ;
→ l’hypotension orthostatique avec les antihypertenseurs ou les psychotropes ;
→ la démence et l’hypertrophie prostatique avec les anticholinergiques ;
→ l’insuffisance cardiaque et l’hypertension artérielle avec les AINS ;
→ l’insuffisance respiratoire avec les anxiolytiques ; les dysthyroïdies avec l’amiodarone…
Ces modifications physiologiques coexistent la plupart du temps avec d’autres pathologies associées qui peuvent augmenter la sensibilité à certains médicaments. Elles sont aggravées par des épisodes aigus intercurrents comme une déshydratation, une décompensation cardiaque ou des maladies infectieuses (et leurs conséquences, comme une insuffisance rénale). Ce qui explique que même des médicaments pris depuis très longtemps peuvent être à l’origine d’un accident médicamenteux.
(1) “Petit manuel de pharmacovigilance et pharmacologie clinique”, hors-série de La Revue Prescrire, 2011. À consulter ou télécharger sur campus.prescrire.org pour avoir les listes complètes des médicaments à risque.
(2) “Iatrogénie médicamenteuse et patients âgés”, Pr Michel Andréjak, février 2009 (sur www.epu-b.net).
(3) Pharmacologie, M. Moulin, Masson, Paris, 1998.
Pourquoi ne pas prendre mes médicaments avec un jus de pamplemousse ?
Parce que le pamplemousse diminue l’activité des enzymes impliquées dans le métabolisme du médicament (cytochromes P450 : CYP). C’est aussi le cas de l’alcool en prise chronique, du tabac, du millepertuis et de certains médicaments qui entrent en interaction avec le traitement. Ces inhibiteurs de l’activité des CYP, en ralentissant le métabolisme de certains médicaments, peuvent, par augmentation de leurs concentrations plasmatiques, majorer le risque d’effets indésirables avec des conséquences parfois graves (torsade de pointe avec divers neuroleptiques, rhabdomyolyse avec les statines…).
Christine Dumesnil, infirmière libérale à Toulouse (Haute-Garonne)
« Lorsque l’infirmière ne passe qu’une fois par jour, elle prépare le pilulier et peut rattraper l’oubli d’une prise médicamenteuse quand la posologie le permet. En revanche, il est impossible de revenir chez le patient pour chaque prise. D’autant qu’en cas de difficulté, troubles cognitifs ou refus du traitement, l’administration d’un médicament peut prendre beaucoup de temps. À l’exemple d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer qui, certains jours, lorsqu’il se sent mal, refuse le traitement jusqu’à devenir agressif. Il faut alors trouver une autre solution et parfois confier l’aide à la prise du traitement à la personne présente au domicile. Dans ces cas où le traitement pose problème, une simple prescription d’aide à la prise médicamenteuse ne réglerait pas le problème… »
Qu’est-ce que la demi-vie d’un médicament ?
La demi-vie plasmatique d’un médicament est le temps nécessaire pour que sa concentration plasmatique diminue de moitié.
C’est un paramètre pharmacocinétique important pour déterminer sa fréquence d’administration. En principe, après une dose initiale d’attaque, on répète chaque dose au moment où la dose précédente atteint sa demi-vie, de façon à maintenir une concentration thérapeutique presque constante du médicament. D’où l’intérêt de respecter les doses prescrites et les intervalles posologiques.
La marge thérapeutique d’un médicament correspond à l’écart entre les doses thérapeutiques et les doses toxiques. Lorsque la marge thérapeutique est étroite, la dose minimale efficace est très proche de la dose maximale tolérable. Toute variation de sa concentration dans l’organisme, même légère, peut occasionner des effets indésirables parfois graves (surdosage) ou, à l’inverse, une inefficacité du traitement (sous-dosage). En raison de la difficulté à maintenir les concentrations plasmatiques dans une marge thérapeutique étroite, il est recommandé de ne pas écraser ces médicaments. Principaux médicaments à marge thérapeutique étroite utilisés en gériatrie : Coumadine, Digoxine Nativelle, Hémigoxine Nativelle, Previscan, Sintrom
* “Considérations portant sur l’écrasement des comprimés en gériatrie”, M. Fodil, A. Fillette, C. Trivalle, Elsevier Masson (sur www.em-consulte.com), 2012.