Cahier de formation
Savoir faire
Mme H. se plaint de céphalées et de vertiges. Elle est depuis peu traitée par Diamicron LM 60 mg une fois par jour. En contrôlant la glycémie de Mme H., vous constatez que celle-ci est en hypoglycémie alors que son diabète était bien équilibré en début de traitement. Vous lui demandez si elle n’a pas de difficulté avec son traitement et elle vous répond que, par commodité, elle écrase le comprimé de Diamicron LM 60 mg pour l’avaler puisque ce comprimé est sécable.
Le Diamicron LM 60 mg est un médicament à libération modifiée qui permet à la substance active de se libérer progressivement. Après l’administration orale, la concentration plasmatique augmente progressivement jusqu’à la sixième heure pour atteindre un plateau entre la sixième et la douxième heure. Vous expliquez à Mme?H. qu’en écrasant le comprimé, le glicazide, substance active du Diamicron, est immédiatement libérée, ce qui provoque une augmentation de l’action hypoglycémiante par surdosage, et donc un risque d’hypoglycémie.
L’écrasement (ou broyage) des médicaments est parfois inévitable car les difficultés à avaler sont une cause d’échec du traitement par omission de prise ou fausses routes. Or l’écrasement des médicaments, ou l’ouverture pour les gélules, entraîne une modification de la forme pharmaceutique pouvant occasionner des conséquences cliniques parfois graves pour le patient. Nombreux sont les médicaments qu’il vaut mieux ne pas écraser ou ne pas ouvrir et pour lesquels il faut chercher une alternative.
Toute modification de la forme galénique (comprimé, gélule, sirop, etc.) peut modifier la tolérance et/ou l’efficacité du médicament, avec des risques d’irritation locale ou d’ulcération des muqueuses. Le principe actif des formes retards est libéré de façon accélérée avec un risque de surdosage et d’effets indésirables (parfois graves). À l’inverse, l’activité pharmacologique des comprimés gastro-protégés est diminuée par un sous-dosage de la part efficace qui atteint le site d’action. Il est indispensable de vérifier si l’écrasement est autorisé. Dans le doute, la manipulation est déconseillée.
Ronds, ovales, allongés ou en bâtonnets, ils sont constitués de poudre comprimée et sont destinés à se désagréger rapidement dans l’estomac (environ quinze minutes). Ils peuvent être sécables pour adapter la posologie et écrasés pour faciliter la prise. Toutefois, la présence d’une rainure, ou barre de cassure, à la surface du comprimé ne signifie pas systématiquement que le comprimé soit sécable, au sens où le comprimé peut être cassé pour donner des parties avec des doses équivalentes de produit actif. Dans certains cas, la barre de cassure n’est faite que pour faciliter la prise intégrale du comprimé en plusieurs parties. À vérifier auprès du pharmacien ou du fabricant quand la sécabilité n’est pas précisée dans les RCP.
Destinés à être mélangés, ils se désagrègent en quelques minutes dans une faible quantité de liquide pour obtenir une dispersion homogène. Le liquide peut être légèrement remué pour aider la dispersion. Après administration, une proportion de substance active peut rester dans le récipient. Il est recommandé de la mélanger avec une petite quantité d’eau et de l’avaler. À cause d’une moindre résistance physique à l’humidité, chaque comprimé dispersible doit être protégé de l’humidité ambiante et immédiatement utilisé après avoir été retiré de son blister car sa stabilité n’est plus garantie.
→ Les comprimés effervescents se désagrègent en quelques minutes dans l’eau avant la prise. Certains sont sécables (Prednisolone EG 20 mg, Dafalgan effervescent 500 mg…). Leur effet se manifeste souvent plus rapidement qu’avec les comprimés simples.
→ Les comprimés orodispersibles se placent sur la langue. Ils se désagrègent rapidement dans la bouche, sans eau, avant d’être avalés (Solupred 5 ou 20 mg, comprimé orodispersible ; Aricept 5 ou 10 mg, comprimé orodispersible).
→ Les lyophilisats oraux (lyocs) sont à croquer, à sucer, à dissoudre dans un verre d’eau, ou à laisser fondre sous la langue (voie sublinguale) pour obtenir un effet rapide (Spasfon-Lyoc).
→ Les comprimés sublinguaux et gingivaux ne sont pas destinés à la voie orale et au passage dans le tractus gastro-intestinal qui réduirait la biodisponibilité du principe actif. La voie perlinguale concerne la cavité buccale, c’est-à-dire la muqueuse linguale et la face interne des joues, à la différence de la voie sublinguale qui ne concerne que la muqueuse sous la langue. Les comprimés gingivaux sont à placer contre la face interne de la joue, pour être absorbés par la muqueuse.
→ Les comprimés à sucer ne sont pas non plus destinés à la voie orale. Ils doivent être sucés pour une action locale dans la bouche (notamment antiseptique ou anesthésique). Par exemple, Aphtoral comprimé à sucer est un anesthésique local, avec une action antiseptique, indiqué en cas de mal de gorge sans fièvre, d’aphtes et de petites plaies de la bouche.
→ Protéger le principe actif contre la lumière.
→ Masquer une saveur, un goût ou une odeur désagréable.
→ Faciliter l’administration du médicament pour favoriser l’observance du traitement. L’arôme (banane, mandarine, menthe, citron…) contribue à masquer le goût de certains principes actifs.
→ Améliorer la présentation et l’identification du médicament.
Les comprimés dragéifiés, enrobés de sucre, ont un temps de désagrégation inférieur ou égal à soixante minutes. Les comprimés pelliculés enrobés d’un filmogène mince (pellicule souvent brillante et parfois colorée) ont un temps de désagrégation inférieur ou égal à trente minutes. Certains peuvent être écrasés, mais il est nécessaire de se renseigner. Par exemple, pour l’Anafranil (clomipramine), l’écrasement des comprimés enrobés à 10 ou 25 mg est possible, mais les comprimés pelliculés sécables à 75 mg ne doivent pas être écrasés.
L’enrobage gastrorésistant protège le ou les principes actifs de l’action des sucs digestifs pour que l’intégrité de la substance active soit libérée au niveau de l’intestin (Mopral, Inipomp, Inexium…). Il vise aussi à préserver l’estomac des substances irritantes (Aspirine Protect…). Les formes à libération colique protègent l’estomac et/ou l’intestin grêle et permettent aux principes actifs d’arriver jusqu’au site d’absorption au niveau du côlon (Fivasa 400 ou 800 mg, comprimé enrobé gastrorésistant indiqué dans la rectocolite hémorragique), ce qui est essentiel dans certaines indications (maladie de Crohn, colites ulcéreuses…). Le broyage des formes gastrorésistantes, aussi appelées formes à libération “différée” ou “retardée”, peut entraîner des effets indésirables gastriques et/ou une perte d’effet thérapeutique.
Les formes pharmaceutiques à libération prolongée (LP) permettent de maintenir des concentrations plasmatiques efficaces et stables pendant plusieurs heures, sans pics plasmatiques responsables d’effets secondaires. Le pelliculage ou l’enrobage permet de libérer progressivement le principe actif tout au long du système digestif (la libération peut être discontinue, avec des doses différentes libérées successivement).
L’écrasement des formes LP est strictement interdit. Il provoquerait une libération excessive du principe actif avec un risque de surdosage et d’effets toxiques. En revanche, certains médicaments à libération prolongée sont sécables (lorsque les RCP le mentionnent explicitement). C’est le cas du Diamicron LM 60 mg qui peut être divisé en deux demi-doses égales et permet une posologie à 30 mg en une prise quotidienne.
Ils sont constitués d’une multitude de pellets (synonyme de microgranules, microsphères ou microbilles), entourés d’un film contrôlant la libération du principe actif. Après administration, le comprimé se désintègre en nombreux pellets qui libèrent la molécule de façon continue durant plusieurs heures. Ces formes ne peuvent être écrasées mais elles peuvent être dissoutes. Exemple de l’Inexium 20 ou 40 mg, comprimé gastrorésistant : le comprimé ne doit être ni mâché, ni écrasé, mais le RCP précise que « chez les patients ayant des difficultés pour avaler, les comprimés peuvent aussi être dispersés dans un demi-verre d’eau non gazeuse […]. Les granules ne doivent pas être mâchés, ni croqués ».
Ils sont composés de deux parties : la partie supérieure contient le principe actif et la partie inférieure un agent osmotique (souvent du chlorure de sodium). Au contact du liquide gastrique, la partie inférieure se gonfle et expulse le principe actif (voir l’illustration page précédente).
Elles sont constituées d’une enveloppe dure ou molle dont le contenu peut être solide, liquide ou de consistance pâteuse. L’enveloppe est altérée par les sucs digestifs pour la libération de son contenu.
→ Capsules à enveloppe dure ou gélules, qui contiennent la substance active sous forme de poudre ou de microgranules. Elles peuvent le plus souvent être ouvertes, si les RCP le mentionnent
→ Capsules à enveloppe molle qui contiennent une substance active sous forme liquide. Elles ne doivent pas être ouvertes ni percées pour récupérer le contenu, en général une suspension huileuse, car une quantité variable de celui-ci reste dans l’enveloppe.
Capsules dures ou molles dont le contenu et/ou l’enveloppe sont préparés spécialement pour modifier la vitesse ou le lieu de la libération du ou des principes actifs.
Ce sont des capsules à libération modifiée obtenues soit en enrobant les capsules d’une enveloppe gastrorésistante, soit parce qu’elles contiennent des microgranules recouverts d’un revêtement gastrorésistant :
→ lorsque les capsules sont elles-mêmes enrobées d’une enveloppe gastrorésistante, elles ne doivent être ni ouvertes, ni écrasées, ni mâchées (comme Cymbalta 30 ou 60 mg, gélule gastrorésistante) ;
→ lorsqu’elles contiennent des microgranules eux-mêmes enrobés d’une enveloppe gastrorésistante, ceux-ci ne doivent pas être mâchés, croqués, broyés. Ainsi le Mopral 10 ou 20 mg, gélule gastrorésistante : les RCP précisent que « les patients [ayant des difficultés de déglutition] peuvent ouvrir les gélules et avaler le contenu avec un demi-verre d’eau ou après mélange avec un aliment légèrement acide comme un jus de fruit ou une compote de pomme. On doit conseiller aux patients de prendre le mélange immédiatement (ou dans les trente minutes) et de toujours remuer le mélange juste avant de le boire, puis de rincer le verre avec un demi-verre d’eau et le boire ». Les patients peuvent également sucer la gélule et avaler les granulés avec un demi-verre d’eau sans les mâcher.
* Considérations portant sur l’écrasement des comprimés en gériatrie, M. Fodil, A. Fillette, C. Trivalle, Elsevier Masson (www.em-consulte.com), 2012.
Alpress 2,5 mg, comprimé osmotique à libération prolongée (chlorhydrate de prazosine), indiqué dans l’hypertension artérielle.
→ Les comprimés osmotiques sont enrobés d’une membrane semi-perméable percée d’un micro-orifice visible à la surface du comprimé. Ils sont composés de deux parties : la partie supérieure contient le principe actif et la partie inférieure un agent osmotique (souvent du chlorure de sodium).
→ Les comprimés osmotiques assurent une libération régulière du principe actif. Pour Alpress 2,5 mg, comprimé osmotique à libération prolongée, les concentrations plasmatiques de prazosine sont stables entre la sixième et la vingt-quatrième heure puis décroissent lentement.
→ Quels sont les objectifs du traitement ? La balance bénéfices-risques du médicament dans cette situation est-elle vraiment favorable ?
→ Ce médicament est-il le meilleur choix pour ce patient ?
→ Y a-t-il une voie d’administration satisfaisante pour ce patient autre que la voie orale ?
→ Existe-t-il un médicament avec une balance bénéfices-risques favorable disponible sous une forme plus adaptée ?
→ Le médicament est-il un médicament à marge thérapeutique étroite ?
→ S’agit-il de comprimés ou de gélules à libération simple, modifiée ou prolongée ?
→ Conséquences de l’écrasement du comprimé ou de l’ouverture de la gélule : quelles sont les mentions dans la notice et le résumé des caractéristiques du produit (RCP) du médicament ? Que disent les autres sources d’informations ?
→ La balance bénéfices-risques du médicament administré après écrasement du comprimé ou ouverture de la gélule est-elle acceptable après prise en compte des incertitudes dans ces conditions ?
Source : La Revue Prescrire, n° 366, avril 2014.