L'infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014

 

Dermatologie

Cahier de formation

LE POINT SUR

MAÏTENA TEKNETZIAN  

Effets iatrogènes les plus fréquemment rapportés, les toxidermies sont bénignes dans plus de 90 % des cas. Néanmoins, certaines formes sont gravissimes et doivent faire l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance.

Qu’appelle-t-on toxidermies ?

→ Les toxidermies sont des manifestations cutanées iatrogènes, relevant souvent d’un mécanisme immuno-allergique. Il s’agit des effets indésirables les plus rapportés (plus du quart des notifications spontanées).

→ La très grande majorité des toxidermies sont bénignes, mais certaines formes, plus rares, sont graves et peuvent mettre en jeu le pronostic vital.

→ Les facteurs favorisants sont les infections virales (mononucléose infectieuse, virus d’Epstein-Barr, cytomégalovirus, VIH), les maladies auto-immunes et la radiothérapie. En effet, la radiothérapie peut être à l’origine d’effets indésirables cutanés de type érythème, ce qui favorise la survenue de toxidermies. En revanche, l’atopie n’est pas un facteur de risque.

Quelles sont les formes bénignes ?

L’exanthème maculo-papuleux

→ C’est la plus fréquente des toxidermies (40 % des formes). Il s’agit d’une éruption polymorphe (scarlatiniforme et morbilliforme), prurigineuse et diffuse. Elle débute sur le tronc quatre à quatorze jours après l’introduction du médicament responsable.

→ Principaux médicaments en cause : bêtalactamines, sels d’or, anticonvulsivants et allopurinol (utilisé dans le traitement de la goutte, des lithiases urinaires et des hyperuricémies).

L’urticaire

→ Éruption papuleuse mobile et fugace, apparaissant quelques minutes à quelques heures après la prise du médicament responsable, l’urticaire représente 20 % des toxidermies. Cependant, seules moins de 10 % des urticaires ont une cause médicamenteuse.

→ Principaux médicaments en cause : pénicillines, produits de contraste iodés, insulines, AINS et opiacés. En l’absence d’investigations complémentaires, la réintroduction du médicament suspect est contre-indiquée, puisqu’elle peut déclencher un choc anaphylactique.

La photosensibilisation

→ Il existe deux types de manifestations :

– la phototoxicité : cet érythème douloureux, limité aux zones exposées aux UVA (visage, cou, décolleté, dos des mains et avant-bras), apparaît dans les heures suivant l’exposition. La phototoxicité ne relève pas d’un mécanisme immuno-allergique, mais résulte d’une diminution de la sensibilité vis-à-vis des UV ;

– la photoallergie : elle se manifeste par des lésions eczématiformes pouvant s’étendre au-delà des zones découvertes et survenant plusieurs jours après l’exposition aux UV.

→ Principaux médicaments photosensibilisants : cyclines, quinolones, certains neuroleptiques, amiodarone, AINS par voie générale et cutanée.

L’érythème pigmenté fixe

→ Seule dermatose de cause exclusivement médicamenteuse, cet érythème représente 1 % des toxidermies. L’éruption, survenant moins de quarante-huit heures après introduction du médicament inducteur, est très spécifique : plaques érythémateuses prédominant sur les muqueuses génitales, pouvant aussi apparaître de façon symétrique sur le tronc ou les membres, disparaissant en quelques jours pour laisser place à des lésions pigmentées. Si le médicament responsable est réintroduit, les lésions réapparaissent au même endroit.

→ Principaux médicaments en cause : barbituriques, sulfamides et cyclines.

Quelles sont les formes graves ?

L’angiœdème

→ Il s’agit d’une urticaire profonde, aussi appelée œdème de Quincke, apparaissant quelques minutes à vingt-quatre heures après l’introduction du médicament responsable. Elle peut être associée à un asthme ou à une réaction anaphylactique.

→ Principaux médicaments responsables : AINS (par accumulation de leucotriènes – molécules impliquées dans les phénomènes allergiques – du fait de l’inhibition des cyclo-oxygénases), IEC (par accumulation de bradykinine – substance vasodilatatrice et aussi responsable de toux sèche et d’allergie cutanée) et bêtalactamines (par un mécanisme immuno-allergique médié par les immunoglobulines E).

La PEAG

→ La Pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG) est une éruption brutale de très nombreuses pustules qui se développent sur des placards érythémateux scarlatiniformes prédominant sur le visage et/ou les plis (aisselles, aines). Elle survient un à quatre jours après l’introduction du médicament responsable et s’accompagne de fièvre, d’une altération de l’état général et d’une hyperleucocytose.

→ Principaux médicaments en cause : macrolides ou apparentés, comme la pristinamycine.

Le Dress

→ Le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms ou Dress) survient brutalement deux à six semaines après introduction du médicament responsable. Il associe une éruption cutanée prurigineuse, une fièvre élevée avec altération de l’état général, un œdème du visage, une éosinophilie (90 % des cas) et des atteintes organiques sévères (insuffisance rénale aiguë, pneumopathie, cytolyse hépatique, myocardite). Il est létal dans 10 % des cas. La peau noire semble être un facteur de risque.

→ Principaux médicaments en cause : allopurinol, antiépileptiques, sulfamides et minocycline (très rarement la simvastatine, cf. photo à gauche).

La NET

→ Rare (cent cinquante cas annuels en France), la Nécrolyse épidermique toxique (NET) est aussi la plus grave des toxidermies, fréquente chez les patients immunodéprimés. Cette atteinte cutanéo-muqueuse bulleuse et érosive, rapidement extensive, survient sept à vingt et un jours après introduction du médicament responsable et provoque une nécrose des kératinocytes et des décollements épidermiques.

→ La NET regroupe deux entités cliniques :

– le syndrome de Stevens-Johnson : forme la moins grave, touchant moins de 10 % de la surface corporelle ;

– le syndrome de Lyell : forme la plus grave avec un épiderme à l’aspect de “linge mouillé”, touchant plus de 30 % de la surface corporelle, et létale dans 30 % des cas par défaillances polyviscérales associées et/ou surinfection.

→ Principaux médicaments en cause : sulfamides, antiépileptiques, bêtalactamines, allopurinol et AINS (comme le piroxicam, cf. photo ci-contre).

Comment porter le diagnostic ?

→ Il repose sur l’analyse chronologique (délai d’apparition, évolution après arrêt du médicament responsable) et sémiologique.

→ Rarement, pour confirmer le diagnostic (notamment lorsque les bêtalactamines sont suspectées), peuvent être réalisés des prick-tests (qui consistent à piquer le derme à travers une goutte de solution de l’allergène suspecté, préalablement déposée sur la peau), ou des intradermoréactions (administration d’un antigène par voie intradermique). Voire des tests de provocation oraux sous surveillance hospitalière. Ces tests oraux sont contre-indiqués en cas de NET et de Dress. Des photo-patchs-tests (qui évaluent la capacité d’une substance à provoquer une photosensibilisation) permettent d’explorer une photoallergie.

→ Des examens complémentaires (NFS, bilan hépatique, rénal, ou ECG) sont réalisés pour évaluer les complications des toxidermies graves.

Quelle est la prise en charge ?

→ La prise en charge repose avant tout sur l’arrêt du médicament responsable.

→ Le traitement des toxidermies bénignes fait appel aux anti-histaminiques ou aux corticoïdes.

→ Le traitement des toxidermies graves relève d’une prise en charge hospitalière (prévention des surinfections et traitement d’un choc anaphylactique associé). Le traitement d’une NET a lieu dans un service spécialisé dans la prise en charge des grands brûlés (correction des pertes hydriques et protidiques…).