L'infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014

 

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MATHIEU HAUTEMULLE  

BEST-SELLERS > Les médicaments et leur industrie donnent lieu à nombre de livres grand public. Mais ce genre n’est pas sans risques…

Le nom de Jacques Servier, fondateur du laboratoire éponyme, mort le 16 avril, restera associé à l’immense scandale du Mediator, dont la révélation doit beaucoup au récit mémorable de la pneumologue Irène Frachon, vendu à 11 500 exemplaires (Mediator 150 mg, éditions Dialogues, 2010, 15,90 euros). Après cette affaire avait même été annoncée une réforme dans la politique du médicament. Deux ans plus tard, « des pas timides ont été faits, mais pas de tournant majeur », estime Bernard Dalbergue dans Omerta dans les labos pharmaceutiques (Flammarion enquête, 2014, 19 euros). Un livre vendu à presque 10 000 exemplaires et qui s’appuie – c’est son originalité – sur un témoignage de l’intérieur de l’industrie pharmaceutique, où ce médecin a travaillé vingt ans. D’autant plus pertinent qu’il n’est pas uniquement à charge : l’auteur porte au crédit des laboratoires des avancées majeures.

Mais, « dans les années 1990, à cause de la crise et de l’arrivée des médicaments génériques, une partie de l’éthique a été sacrifiée sur l’autel du court terme pour maintenir un niveau de profit élevé », analyse le Dr Dalbergue. Il s’interroge sur des méthodes et « ruses commerciales » (pas toujours ragoûtantes). Il décrit la séduction des pontes hospitaliers, qu’il faut « chouchouter » car « ils soufflent quasiment le texte des ordonnances de leurs confrères libéraux ». Le Dr Dalbergue dénonce une « panne sèche d’innovation » : « Sur les sept cents nouveaux traitements commercialisés par Big Pharma entre 2001 et 2011, 4 % seulement sont essentiels » aux yeux de l’Organisation mondiale de la santé. Cela expliquerait-il pourquoi des maladies semblent même « inventées », comme le pointe un autre ouvrage récent (Comment les labos nous rendent fous, Cédric Morin, La Martinière, 2014, 19 euros) ?

Lacunes médicales

Le Dr Dalbergue dépeint par ailleurs une industrie qui, loin de relever du privé, constitue un « milieu ultraprotégé […], une priorité nationale, subventionnée, via des remboursements parfois discutables et des avantages fiscaux, par l’État français ». Les prescripteurs, eux, sont-ils bien armés ? Pas vraiment : l’auteur dénonce l’impasse faite « largement » par la formation universitaire sur la thérapeutique et la pharmacologie. Il loue toutefois les médecins Irène Frachon, Gérard Bapt (député), Philippe Even ou encore Bernard Debré (lui aussi député).

Ces deux derniers* ont, avec le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux (Le Cherche-Midi, 2012, 23,80 euros), connu un succès d’édition (plus de 200 000 exemplaires vendus)… et une interdiction d’exercice pendant un an (même s’ils n’exercent déjà plus). Une peine prononcée le 17 mars par leur Ordre, entre autres pour défaut de confraternité. Leur livre, critiqué par nombre de leurs pairs, a au moins le mérite de susciter un débat sur le rôle de l’industrie pharmaceutique et la place du médicament. Comme l’avait aussi fait le livre d’Irène Frachon, dont le laboratoire Servier avait – un temps – réussi à censurer le sous-titre Combien de morts ?.

* Le Dr Even a aussi traduit Médicaments : effets secondaires, la mort, de John Virapen, sorti le 17 avril au Cherche-Midi (18,50 euros).