Prendre en charge un enfant peut s’avérer anxiogène car il est plus petit, plus fragile, plus émotif qu’un adulte. Certaines infirmières libérales refusent d’ailleurs de dispenser ces soins souvent chronophages. Pourtant, des solutions existent pour appréhender les petits patients. Et ces moments peuvent être gratifiants.
Face à la prise en charge d’enfants atteints de pathologies lourdes, les infirmières libérales avancent doucement. Pourtant, le refus de soins n’est pas sans conséquence pour l’enfant, qui peut alors être contraint de rester à l’hôpital au lieu de rentrer à domicile et de partager des moments en famille, avec ses frères et sœurs, de poursuivre sa scolarité. « Dernièrement, mon cabinet a pris en charge un petit garçon de quatre ans et demi pour des soins palliatifs, explique Nathalie Bricard, infirmière libérale installée à Serre-les-Sapins (Doubs). Trois autres cabinets avaient refusé sa prise en charge car il avait une tumeur cérébrale, ce qui l’avait obligé à rester à l’hôpital. »
La spécificité pédiatrique, et donc la crainte de ne pas savoir faire, est l’une des premières causes de refus de soins. « Perfuser un enfant en périphérie, cela peut être un souci, il ne faut pas que l’enfant bouge et les veines sont plus fines, plus fragiles », indique Séverine Carinci-Couëffé, infirmière coordonnatrice du Centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) de Créteil, dans le Val-de-Marne. En plus, pendant les études en soins infirmiers, il n’existe plus de temps dévolu à la pédiatrie et à la puériculture. « Cela dépend essentiellement des projets pédagogiques des Ifsi et des projets personnels des étudiants », rapporte Ménad Naït-Sider, formateur à l’Ifsi du Centre hospitalier de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
« Le soin douloureux, la peur de faire mal sont aussi des raisons de refus de prise en charge, ajoute Séverine Carinci-Couëffé. Les libérales manquent de temps et de stratégie pour appréhender les soins aux enfants. » D’autant plus qu’elles sont généralement isolées et seules dans la prise en charge, le médecin traitant n’étant pas toujours présent.
Autre difficulté relevée par les infirmières libérales : le soin chez les enfants requiert du temps. Il faut expliquer la prise en charge aux parents, à l’enfant, et ensuite accomplir l’acte. Et si certains soins de haute technicité – qui peuvent prendre jusqu’à une heure – sont bien rémunérés, comme dans la prise en charge de la mucoviscidose, d’autres actes sont payés comme chez l’adulte alors qu’ils nécessitent plus de temps.
L’accompagnement et la formation sont les clefs pour permettre à l’infirmière libérale d’avoir confiance et de se lancer dans le soin aux enfants. Au centre hospitalier universitaire de Besançon, dans le Doubs, une équipe dédiée à la pédiatrie a été créée en 2010. « Nos missions s’adressent aux équipes dans le but de développer la démarche palliative », signale Chantal Bonnefoy, l’infirmière coordonnatrice. L’équipe intervient notamment dans le cadre d’une collaboration à domicile, afin d’accompagner les infirmières libérales, dont le rôle est fondamental pour que le projet de soins palliatifs puisse aboutir, mais qui peuvent être confrontées à des difficultés thérapeutiques. L’infirmière est donc encadrée et formée sur la douleur, les traitements prescrits sur protocoles, leur autonomie. « Nous sommes le rouage central du soutien aux collègues, affirme Chantal Bonnefoy, avant d’ajouter : Notre collaboration avec les infirmières libérales est récente. Elles découvrent une attention hospitalière, ce qui est très important pour elles, d’autant qu’elles se sentent généralement très seules. Lorsque le médecin traitant est disponible, leur binôme est intéressant. Mais il arrive parfois qu’il soit distant. Dans ce cas, le correspondant hospitalier joue son rôle, et il peut écouter les infirmières libérales qui ont besoin de parler de ce qui leur pose problème. »
Ce soutien aux infirmières libérales, le Réseau Île-de-France d’hématologie-oncologie pédiatrique (Rifhop) en a fait son cheval de bataille. Créé en 2007, il coordonne dans la région la prise en charge globale des enfants atteints de cancer. Son objectif est d’améliorer la qualité de vie de l’enfant dans le cadre de sa prise en charge. Le Rifhop travaille en collaboration avec cinq centres pédiatriques parisiens, et vingt-cinq équipes hospitalières de proximité. Outre la coordination du parcours de soins, il développe aussi la qualité des soins et l’harmonisation des pratiques par des formations professionnelles à destination notamment des infirmières libérales. Lorsque le retour à domicile d’un enfant est programmé, l’équipe du Rifhop se rend à la maison pour « s’entretenir avec la famille sur la prise en charge », précise Martine Gioia, coordinatrice centrale du Rifhop. Le réseau met également en lien les familles avec les infirmières libérales, lorsque cela s’avère nécessaire. « Nous nous assurons que les infirmières libérales soient bien formées, poursuit Martine Gioia. D’ailleurs, nous avons élaboré des protocoles, des fiches techniques, et nous avons travaillé avec les prestataires de service qui ont réalisé des sets de soins qui correspondent à nos fiches, car notre objectif est d’harmoniser la dispense des soins à l’hôpital et au domicile. » « Je me suis lancée dans cette prise en charge par hasard, à la suite d’un appel du Rifhop, raconte Amandine Perrette, infirmière libérale à Paris. Je ne voulais pas faire de cancérologie et encore moins chez les enfants, mais l’infirmière référente est venue me rencontrer et m’a expliqué la prise en charge, les protocoles. J’ai accepté. Comme la première prise en charge s’est bien passée et que cela m’a plu, j’ai continué. C’est essentiellement la difficulté de cette prise en charge qui m’a séduite, car cela nous oblige à nous remettre en question, à nous former. Et puis, j’ai été accompagnée en oncologie par le réseau, sinon, j’aurais pu vite me sentir isolée. »
L’hôpital Necker a pour sa part mis en place en 1985 un Centre de formation au traitement à domicile de l’enfant (CFTDE), qui forme les infirmières libérales lorsque le retour à domicile d’un enfant hospitalisé est programmé. Diabète, déficit immunitaire, mucoviscidose, hémophilie, sont quelques-unes des pathologies pour lesquelles l’équipe du CFTDE intervient. L’objectif est de permettre et de sécuriser le retour à domicile de l’enfant, avec à la fois une éducation thérapeutique pour les parents et la formation de professionnels de santé libéraux. D’un point de vue pratique, Marlène Clairicia, infirmière coordinatrice au CFDTE depuis 1987, reçoit les infirmières libérales pour s’assurer qu’elles savent, par exemple, poser chez les enfants une voie veineuse en périphérie pour les chambres implantables, pour le cathéter ou la nutrition parentérale. Elles peuvent aussi avoir parfois des difficultés avec l’utilisation d’un nouveau matériel, comme une nouvelle aiguille de Huber ou un diffuseur. « Quand une infirmière libérale a décidé de prendre en charge un enfant, je vais faire tout le protocole avec elle à l’hôpital et, le premier jour où elle pique l’enfant à domicile, je suis présente pour l’accompagner », informe Marlène Clairicia. Face à cette offre, les réactions des infirmières libérales varient. « Je n’ai pas toujours de bons retours, alors que je ne viens pas critiquer leur travail, mais plutôt les aider, les former et m’assurer qu’elles respectent les règles d’asepsie », commente-t-elle. Généralement, les infirmières sont satisfaites de cette remise à niveau, estimant que c’est important pour la sécurité du patient.
Les infirmières libérales peuvent également trouver une aide et un soutien du côté des CRCM. « Je peux aider les infirmières libérales par téléphone, témoigne Séverine Carinci-Couëffé. Je connais les familles et les patients, je leur transmets donc des informations utiles, des détails, des stratégies, qui vont faire la différence pour les libérales qui interviennent seules à domicile. Je peux aussi leur montrer le matériel, notamment pour les dispositifs de perfusion et le matériel de diffusion par voie périphérique ou centrale. Mais, quand je connais le prestataire de service, je lui confie la mission car les infirmières conseils viennent directement à domicile, c’est plus rassurant. » Quand la prise en charge à domicile se déroule mal, par exemple quand la famille ou le soignant ne sont pas à leur aise, le CRCM peut décider de changer d’infirmière libérale. « En général, les infirmières ainsi remplacées sont elles aussi soulagées, remarque Séverine Carinci-Couëffé. Parfois, il ne faut pas grand-chose pour les remotiver. Le dialogue et la transmission sont essentiels. »
Le bon déroulement des soins dépend aussi de leur acceptation par l’enfant. Tout repose sur une harmonie entre le soignant, le jeune patient et les parents. La famille doit être partie prenante et parfois intervenir pour faire accepter les soins à l’enfant. « Il faut de la douceur et de l’autorité, assure Marlène Clairicia. Quand la famille n’accepte pas, elle ne rend service ni à l’enfant, ni à l’infirmier. C’est un travail en collaboration. » L’infirmière libérale doit donc instaurer une relation de confiance avec l’enfant et les parents. « Contrairement aux petits soins qui s’apparentent à ceux que l’on dispense sur les adultes, en cancérologie, les soins ne sont pas évidents, révèle Amandine Perrette, infirmière libérale à Paris. Il faut gérer le stress des enfants et celui des parents. Si le parent ne suit pas, on ne peut pas faire le soin. » Pour détendre l’enfant, il faut le distraire, bien choisir les mots, passer un message positif, le valoriser. Outre les dispositifs médicaux, comme le patch Emla qui permet d’endormir la zone où le soin sera dispensé, il existe d’autres techniques importantes à déployer, car, chez l’enfant, l’émotion peut prendre le dessus. « On fait de la sensibilisation auprès des professionnels, indique Myriam Blidi, chargée de la formation à l’association Sparadrap. On donne des conseils pratiques sur la prise en charge à domicile, sur les méthodes de distraction de l’enfant, sur l’hypno-analgésie qui est extrêmement efficace, notamment pour la douleur. » Et de spécifier : « On conseille aux infirmières libérales de se constituer un panier de distraction avec des ballons, des stylos lumineux. Cela paraît simple et anecdotique, mais c’est très important pour divertir l’enfant. » L’installation de celui-ci pendant la prise en charge est également fondamentale. « Il est important de leur demander comment ils veulent être installés en prenant en compte, bien entendu, l’aspect technique du soin », observe-t-elle. Il faut aussi impliquer les parents dans le soin, leur donner un rôle actif car cela peut calmer leur anxiété éventuelle.
Pour certaines infirmières libérales, avoir un enfant à prendre en charge dans leur tournée peut leur faire du bien, et ce, malgré la maladie, car ils sont plein de vie, ils jouent, ils sourient, ils font des bisous, des dessins, et elles peuvent les voir grandir et guérir. Certes, quand un profond attachement se noue et que l’histoire se termine mal, cela peut être particulièrement difficile et elles doivent se reconstruire. « Il y a une épée de Damoclès au-dessus de la tête des infirmières libérales », estime Marlène Clairicia. Cependant, « contrairement aux personnes âgées que l’on accompagne dans la fin de vie, pour les enfants, notre travail sert à ce qu’ils vivent, rapporte Amandine Perrette, infirmière libérale à Paris. Ce côté du soin me plaît. Ce n’est pas la même approche. Les enfants sont plus vivants et joyeux, malgré la lourdeur de la pathologie. » Et Nathalie Bricard, installée à Serre-les-Sapins, de conclure : « C’est gratifiant de voir les enfants chez eux, entourés de leur famille. C’est un tel bonheur pour eux que ça n’a pas de prix. On est perçu comme la fée qui permet le retour à domicile. »
Véronique Saget, infirmière libérale à Métabief (Doubs)
« Je prenais en charge une mère pour un cancer du sein quand on a décelé un neuroblastome chez sa fille de dix-huit mois. J’ai accepté de la suivre jusqu’à son décès, à ses cinq ans. C’était la première fois que je prenais en charge un enfant, et elle m’a beaucoup appris. On passe un temps infini avec ces petits patients, et parfois la rémunération ne suit pas. Cette petite ne voulait que moi pour sa prise en charge. C’était parfois épuisant moralement. Depuis, dans mon cabinet, nous prenons en charge un à deux enfants par an. Généralement, avec les parents, les relations se passent bien. Ils nous font confiance, même si certains surveillent tout ce que nous faisons. J’ai appris sur le tas à prendre en charge les enfants, mais j’ai l’avantage d’avoir travaillé pendant vingt ans à l’hôpital. La douleur n’est pas évidente à gérer. J’ai des petits trucs pour essayer de la faire passer. On voit sur le visage des enfants qu’ils ont mal mais ils ne disent rien à leurs parents, ils ont en apparence un degré de résistance à la douleur vraiment élevé. »
Ève Fessard, infirmière libérale à Bullion et à Bonnelles (Yvelines)
« J’ai été infirmière hospitalière en pédiatrie avant de m’installer en libéral. Quand il a fallu prendre des enfants en charge, je l’ai fait. Mon premier patient enfant était atteint de la mucoviscidose. Il s’agit d’une grosse prise en charge, trois fois par jour pendant une heure, mais cela lui a permis de suivre sa scolarité. Maintenant, je suis deux enfants hémophiles. Pour l’un deux, je vais plus loin que mon périmètre d’intervention car les infirmières de son secteur ne voulaient pas s’en occuper. Cette prise en charge élargit mes soins car, en libéral, j’ai surtout des patients âgés. Je sais comment m’adapter aux parents. Pour eux, c’est un confort de nous avoir, c’est rassurant. Je téléphone aussi beaucoup à l’équipe hospitalière, c’est un lien important. J’ai une petite clientèle donc je peux prendre le temps de faire des soins aux enfants. J’y vais même mes jours de repos. Pour les soins lourds, la rémunération est plus importante, mais, pour d’autres soins, on est payé comme pour l’adulte. Mais cela ne m’a jamais traversé l’esprit de refuser une prise en charge. »
Dans quel cadre intervenez-vous au domicile du patient ? Nous intervenons toujours à la demande d’un médecin ou d’un service hospitalier. Nous participons à l’évaluation des besoins du patient, définissons la procédure de prise en charge à domicile. Nous avons aussi un rôle de coordination car nous recherchons, si besoin, une infirmière libérale. Nous faisons ainsi le lien entre la ville et l’hôpital.
Quelles sont vos liens avec les infirmières libérales ? Lorsqu’elles interviennent à domicile, notamment pour la prise en charge des enfants atteints de mucoviscidose, pour les nutritions entérales, ou encore pour des enfants diabétiques de type 1, nous mettons à leur disposition les pompes et nous les formons à leur utilisation, aux règles de sécurité et d’hygiène. Nous leur fournissons également des sets de soins spécifiques favorisant une asepsie optimale. Nous sommes présents aussi souvent que nécessaire car l’objectif est de travailler en étroite collaboration.
Peuvent-elles faire appel directement à vous ? Oui, tout à fait ! Elles peuvent nous appeler quand un traitement débute et qu’elles ont des besoins spécifiques de matériel, quand il n’y a rien au domicile du patient. Nous demandons toujours l’accord préalable du prescripteur. Notre rôle de coordination et de relais prend alors tout son sens, et elles l’apprécient.
Ghita Kabbey, infirmière libérale à Meaux (Seine-et-Marne)
« Aucune infirmière à Meaux ne voulait s’impliquer dans la prise en charge des enfants. Je suis allée à la formation proposée par le Rifhop, cela m’a intéressée et on m’a donc confié des enfants avec lesquels je me suis sentie très vite à l’aise. J’essaie de les “apprivoiser”. D’ailleurs, je fais toujours une première visite sans faire de soins, lors de laquelle je me présente, j’explique les soins aux parents et aux enfants. Car dispenser un soin dès le premier rendez-vous peut être agressif pour l’enfant. Cette première rencontre a un apport considérable car je gagne un temps énorme pour la suite de la prise en charge. Néanmoins, le temps, ce n’est pas une contrainte pour moi, car je l’inclus dans mon planning. Je sais que le matin, je vais aller chez l’enfant pendant trente minutes pour une sous-cutanée. Mais il est vrai qu’on est très mal payé par rapport au temps passé à faire des soins. Pour certaines de mes consœurs, c’est un frein, mais, personnellement, cela ne me dérange pas, car les enfants nous le rendent bien. »
L’hypnothérapeute Sylvie-Marie Brunet a créé Ludicalm, une application mobile comme support pour les soins dispensés aux enfants. « Les enfants sont habitués aux écrans, souligne-t-elle. J’offre donc la possibilité aux infirmières de s’appuyer sur cet outil, comme si elles sortaient une baguette magique de leur chapeau. » Pour concevoir son application, qui combine hypnose et nouvelles technologies, Sylvie-Marie Brunet s’est appuyée sur la “réalité augmentée”. Ainsi, l’enfant aperçoit, par l’intermédiaire de la caméra de la tablette, son environnement de soin. Et dans cette réalité retransmise à travers l’écran, une animation 3D – une grenouille – apparaît sur le membre qui va recevoir le soin, via un pictogramme capteur. Dès l’âge de trois ans, les enfants sont tout de suite intéressés, et les parents participent en tenant la tablette. « Le “tour de magie” permet de capter l’attention des enfants, explique la créatrice. D’autant que, si l’enfant bouge, l’animation disparaît, ce qui le pousse à rester immobile et permet aux soignants de mieux accomplir le soin. Et puis le mécanisme est hypnotique, insensibilisant la zone qui va être piquée. » L’animation crée également un ancrage positif pour l’enfant qui gardera un souvenir ludique du soin. À la fin, l’infirmière peut même lui offrir une photo de l’expérience avec une luciole.
→ Ludicalm, une application pour faciliter la prise en charge de l’enfant : ludicalmantvotre.fr/app
→ Association Sparadrap, qui dispense conseils et formations aux professionnels de santé : www.sparadrap.org
→ Association Apache, qui a créé la poupée Plume, un cadeau que le professionnel de santé donne à l’enfant pour initier le dialogue et lui expliquer la prise en charge : apache-france.com
→ Pediadol, association pour la diffusion des données sur le traitement de la douleur de l’enfant : pediadol.org