L'infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014

 

MÈRE-FILLE

L’exercice au quotidien

GÉRALDINE LANGLOIS  

Ghislaine est deux fois plus âgée que sa collègue de cabinet Amélie, 27 ans. Cela ne lui donne pas pour autant l’ascendant. Mais plutôt l’ascendance : Ghislaine est la mère d’Amélie.

« Je n’ai pas toujours voulu exercer le même métier que celui de ma mère. Elle n’a d’ailleurs pas cherché à m’orienter dans la même direction qu’elle, elle m’a juste dit de choisir une voie dans laquelle il y avait du travail. Je suis quelquefois passée la voir à l’hôpital, j’aimais son travail, mais sans plus. J’étais une littéraire, j’aurais aimé être prof. Mais, après six mois de fac d’histoire, j’ai arrêté. J’ai accompagné ma mère dans sa tournée en libéral et j’ai aimé le contact avec les patients. Finalement, j’ai décidé d’intégrer l’Ifsi ! Après mon diplôme en 2006, j’ai travaillé à l’hôpital, mais je trouvais qu’on ne suivait pas vraiment les patients. Je suis revenue dans ma région l’année où ma mère s’est installée seule. Elle cherchait quelqu’un. Dès que j’ai pu passer en libéral, en 2009, nous avons travaillé ensemble. Nous sommes associées et propriétaires du cabinet en société civile immobilière.

Au début, elle avait un peu peur de travailler avec moi – pour elle, avoir une relation mère-fille et travailler tout le temps ensemble, cela paraissait un peu compliqué. Mais, en même temps, elle me rassurait et m’a aidée à prendre confiance. Les six premiers mois, j’ai même pu habiter chez mes parents. Il fallait que je me familiarise avec l’environnement libéral, les papiers… Quand j’avais besoin d’un conseil, j’appelais ma mère, elle était toujours disponible ou prête à me remplacer quand j’étais fatiguée. Elle me donnait des indications sur le matériel (qui n’est pas le même qu’en service hospitalier) et sur le relationnel avec les patients. Par la suite, elle m’a laissé faire les choses par moi-même. J’ai même dû essuyer un rappel Urssaf… Ce qui ne m’a évidemment pas plu mais ça m’a permis de bien comprendre. Au final, travailler avec ma mère ne me pose aucun problème. Nous nous sentons libres et les petits accrochages passent tout seuls. D’ailleurs, nous nous sommes rendu compte que nous avions à peu près la même façon de travailler. Comme nous avons beaucoup à faire, nous travaillons avec une collaboratrice depuis deux ans. Sa présence nous a permis d’équilibrer davantage notre relation mère-fille, et d’avoir entre nous des rapports encore plus professionnels. »

Avis de l’expert

« Une situation phagocytante »

Brigitte Greis, Idel, philosophe

« Travailler avec l’un de ses parents ou son enfant semble très compliqué. J’ai croisé des Idels dans ce cas, c’est une situation phagocytante. C’est un métier déjà très phagocytant pour nous, pour notre soi philosophique. Toute relation soignant-soigné est basée sur le transfert et le contre-transfert. Si, en plus, il y a une relation parent-enfant au milieu, un lien affectif, cela comporte le risque de réduire l’autonomie de l’un et/ou de l’autre. Cela risque de perturber la relation. Le parent, surtout, doit prendre beaucoup de précautions pour être dans une distance suffisante avec son enfant. La présence d’un tiers, aussi, peut-être utile… ou perturber encore plus la relation. »