Cahier de formation
Savoir faire
Vous préparez chaque semaine le pilulier de l’épouse de Monsieur P., 75 ans. Elle se plaint auprès de vous que son mari la maltraite régulièrement depuis plusieurs semaines et qu’il refuse de consulter. Elle est d’avis qu’il perd la tête et vous demande ce que vous pensez d’un placement en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Devant cette possible dépression hostile, vous invitez Monsieur P. à parler de la situation à son généraliste. Vous préparez sa femme au fait qu’il évoquera peut-être l’intérêt d’une hospitalisation sous contrainte à la demande d’un tiers en milieu psychiatrique ou en géronto-psychiatrie. Elle aurait alors à rédiger un document donnant son accord pour l’hospitalisation en complément du certificat rédigé par le médecin.
Si, par son attention à certains signes et une éventuelle évaluation clinique, l’Idel détecte une dépression, elle partage cette information afin de poser un diagnostic (qui incombe au médecin) et de prendre en charge, ou, si c’est déjà le cas, d’adapter la prise en charge. Pour l’Idel, la difficulté est de ne pas faire partie d’une équipe de professionnels spécifiquement formés dans ce domaine. Elle peut tout de même écrire ses observations dans le cahier de liaison des intervenants à domicile et/ou les interroger (à commencer par la famille) sur leur propre ressenti.
Les autres interlocuteurs peuvent être l’infirmière coordinatrice en cas de service de soins infirmiers à domicile, les membres d’un réseau de santé pour personnes âgées si le patient y est inclus
En relais, les centres hospitaliers psychiatriques sont très aidants pour les Idels, qu’ils orientent vers les centres médico-pychologiques et les consultations spécifiques, comme les consultations mémoire, qui permettent de faire un diagnostic différentiel.
L’Idel apprécie l’intensité de la dépression, le contexte dans lequel elle survient et le risque suicidaire, afin de déterminer l’urgence avec laquelle le patient devra être confié à un psychiatre. L’hospitalisation peut être justifiée dans des cas où les patients dépressifs ont des idées noires, une tentative de suicide représentant une urgence nécessitant une hospitalisation en milieu spécialisé. Une hospitalisation est aussi pertinente en cas de « situation particulière », indique l’Anaes, qui cite un entourage social ou familial insuffisant, l’impossibilité de maintenir les nombreux contacts nécessaires à la réassurance du patient, l’insuffisance de réponse au traitement. Elle peut s’imposer également dans les cas où il y a nécessité d’isoler le patient de son milieu familial (troubles du comportement majeur, par exemple).
90 % des suicides des aînés sont reliés à un état dépressif, et plus généralement la majorité des suicides se déroule à domicile : il ne faut jamais banaliser l’expression d’idées suicidaires. Comme le note l’Anesm, « pour certaines personnes âgées, le passage à l’acte a lieu très peu de temps après la survenue de l’élément déclencheur. La rapide dégradation de l’état de la personne laisse alors peu d’opportunités d’observation des signes suicidaires. Ces états d’urgence soudains s’avèrent difficiles à diagnostiquer et à prévenir ». À noter que le suivi “psy” ne doit pas se limiter à la période de soins. La période d’hospitalisation n’est souvent que l’amorce des soins : il y a lieu de préparer la sortie afin d’éviter une éventuelle rechute. Pour qu’elle se passe dans de bonnes conditions, des aides sont parfois nécessaires (visites d’un infirmier “psy” à domicile pour accompagner les personnes, aide-soignant pour les soins corporels, aide-ménagère pour éviter une dégradation trop grande des conditions de vie…).
Lancer l’alerte est nécessaire pour prendre en charge la dépression, qu’elle touche la personne âgée ou un aidant. Mais cela peut aussi soulager l’Idel elle-même. En pratique, avec les patients souffrant de dépression, beaucoup d’infirmières limitent les échanges verbaux et cantonnent leurs actions aux gestes techniques, car leur détresse est parfois difficile à supporter, d’autant qu’elle peut faire écho à des problématiques personnelles douloureuses. Pour celles qui acceptent d’entendre la souffrance, le fait de pouvoir en parler au sein d’une équipe “contenante” est positif. Cela leur permet de ne pas se laisser déborder par l’émotion et d’éviter de réagir par des attitudes inappropriées d’abandon ou de rejet
(1) Il existe 125 réseaux de ce type en France.
(2) Comme l’explique le Dr Aymeric Reyre, praticien hospitalier (service de psychopathologie, CHU Avicenne, AP-HP, Bobigny, Seine-Saint-Denis).
L’hospitalisation s’impose dans trois situations :
• une composante suicidaire importante,
• un échec du traitement ambulatoire,
• une nécessité d’isoler le patient de son milieu familial.
« Les cas de suicide chez les personnes âgées interrogent et peuvent culpabiliser les soignants et les proches. Je me souviens d’une femme, qui avait interrompu son activité professionnelle un an plus tôt, et qui avait démarré une dépression au décours d’une séparation d’avec un amant de longue date. Elle est décédée des suites d’une intoxication médicamenteuse volontaire entre deux visites de sa fille.
Ni cette dernière ni moi n’avons su hélas mesurer l’impact de ces pertes successives ni endiguer la crise suicidaire. Une autre patiente de 65 ans, psychotique chronique, s’est suicidée en se pendant dans le hall de son immeuble avec la sangle d’un sac que lui avait offert sa fille. Rétrospectivement, je dois dire que l’appauvrissement de son délire de persécution et l’apparition d’un discours relatif à un abus sexuel à l’âge de dix ans auraient dû m’alerter. Le délire – et la ritualisation des comportements qui l’accompagnait – avait une dimension protectrice. Lorsque les défenses psychotiques se sont effondrées à l’occasion de la dépression, la fragilité des assises narcissiques a refait surface avec des conséquences délétères. Dans les suites du suicide, le dialogue avec la famille et l’Idel qui l’avait prise en charge a contribué à minorer le sentiment individuel de culpabilité. Le suicide chez la personne âgée survient dans des conditions très diverses… Et la solitude est un facteur de risque majeur. Lorsque des signes d’alerte ont été repérés, il n’est pas toujours simple de poser directement la question des idées suicidaires. L’Idel peut en revanche dire qu’elle se fait du souci et qu’il lui paraît important que le médecin traitant soit informé de son inquiétude. »