La dépression est un trouble psychique se traduisant avant tout par une tristesse de l’humeur pouvant conduire au suicide, une perte d’énergie psychique, une incapacité à éprouver du plaisir et, souvent chez le sujet âgé de plus de 65 ans, une forte anxiété, un dysfonctionnement cognitif et des troubles somatiques qu’il ne faut pas négliger.
La dépression du sujet âgé, si elle n’est pas différente par elle-même de la dépression observée à d’autres âges, n’en mérite pas moins une attention spécifique :
→ elle fut trop longtemps tenue comme inhérente à l’avancée des années et confondue avec le processus sénile ;
→ elle s’inscrit souvent dans un profond bouleversement personnel et social de l’existence du patient qui, généralement, ne sollicite pas d’aide ;
→ elle peut se présenter sous des masques symptomatologiques singuliers, notamment somatiques ;
→ son traitement peut être difficile chez un sujet polymédicamenté et rendu plus vulnérable par de nombreuses comorbidités ;
→ 60 à 70 % des dépressions du grand âge sont mal diagnostiquées, négligées ou mal prises en charge, alors qu’un traitement bien conduit est aussi bénéfique que chez un sujet plus jeune.
La dépression est la pathologie mentale la plus fréquente en population générale : la prévalence des troubles dépressifs, tous types confondus, s’élève en France à quelque 19 % de la population générale sur une année en France ; celle des épisodes dépressifs majeurs (EDM, lire p. 32-33) est de près de 8 %.
Les études centrées sur les sujets âgés sont rares, même s’il ne peut être contesté que les signes de dépression sont plus fréquents avec l’avancement en âge. En population générale âgée, la prévalence est comprise entre 13 et 24 % chez les plus de 65 ans selon les études, avec une moyenne de 13 % (les troubles dépressifs majeurs représentant environ 3 % des cas). Elle peut atteindre 30 % chez les sujets vivant en institution ; un épisode dépressif s’observe dans l’année suivant le placement en maison de retraite ou en institution chez 10 à 15 % des sujets. Il est toutefois difficile d’établir des statistiques fiables car les critères de dépression retenus sont généralement ceux prévalant pour une population plus jeune et diffèrent significativement des présentations de dépression chez le patient âgé
De nombreux facteurs de vulnérabilité sont repérés : génétiques, sociaux, environnementaux. Ainsi :
→ la prévalence de la dépression est double chez la femme (10,4 versus 5,2 pour les hommes) ;
→ la dépression est moins fréquente chez un sujet dont le niveau socio-culturel est élevé et/ou qui bénéficie de revenus élevés ;
→ des traumatismes précoces (dysfonctionnement familial, tentatives de suicide chez un ascendant, alcoolisme parental, violence, dont notamment inceste, etc.) sont associés à un risque accru de dépression ;
→ une existence solitaire expose plus à dépression qu’une vie en couple ou en cohabitation ; le rôle protecteur de la vie en institution est variable selon l’individu ;
→ certains troubles ou même seulement certains traits de personnalité (sujets antisociaux
Chez le sujet âgé, des facteurs étiologiques méritent d’être pris en compte plus spécifiquement (la participation génétique est moindre lorsque le premier épisode dépressif survient à un âge avancé) :
→ perte d’autonomie associée à la diminution des capacités sensorielles ;
→ réduction des attaches sociales et deuils successifs ;
→ modification du mode de vie liée à un éventuel placement en institution ou à la nécessité de s’investir dans l’accompagnement d’un conjoint devenu dépendant ;
→ polymédicamentation : divers médicaments connus comme dépressogènes exposent à une dépression iatrogène (certains anticancéreux, immunomodulateurs tels les interférons, antihypertenseurs d’action centrale, bêtabloquants, corticoïdes, digoxine, phénytoïne, théophylline, anticholinestérasiques indiqués dans la maladie d’Alzheimer, etc.) ;
→ maladies organiques : la dépression peut constituer un symptôme d’une maladie neurologique liée à l’âge (maladie de Parkinson, démences) mais aussi d’un trouble vasculaire cérébral. D’autres maladies moins directement liées à l’âge sont aussi dépressogènes : hypothyroïdie, diabète et affections endocriniennes, cancers, maladies auto-immunes, insuffisance cardiaque, infections (VIH, tuberculose), pathologies à forte composante algique. La dépression peut aussi être consécutive à l’évolution d’une maladie liée à l’âge, notamment lorsque le patient prend conscience de l’installation inexorable et irrémédiable du handicap (maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, perte d’autonomie physique, cognitive et sensorielle, etc.).
La dépression est une affection psychiatrique relevant du registre des troubles de l’humeur (« dysthymies »), tout comme la maladie bipolaire (que caractérise l’alternance d’épisodes maniaques ou hypomaniaques et d’épisodes dépressifs). Ce sont les troubles psychiatriques les plus fréquemment observés. Rappelons que, pour le clinicien, l’humeur du patient (ou thymie
L’humeur dépressive ne peut être réduite au constat d’une “tristesse” prolongée : il s’agit d’un ensemble de perturbations affectives retentissant de façon majeure sur les activités et l’intégration sociale du patient dont elle altère profondément la qualité de vie. Ainsi, le diagnostic d’épisode dépressif impose que soient réunis des symptômes précis (cf. à titre d’exemple page suivante, les critères du DSM-V, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), contrastant avec le comportement habituel du sujet et rapportés par le patient lui-même ou, souvent, par son entourage. Quelques points cliniques méritent d’être détaillés.
Elle se traduit par de la tristesse, une insatisfaction, du pessimisme, un sentiment de culpabilité (notamment, chez le patient âgé, après la perte du conjoint, la “culpabilité du survivant”), une perte de l’estime de soi s’observant de façon constante et expliquant une incapacité également constante à trouver du plaisir dans une quelconque activité (anhédonie).
La bradykinésie est constatée par l’entourage : le patient, inactif, inexpressif, au faciès figé (hypomimie), se dit constamment fatigué (cette plainte ne doit pas être tenue comme simplement liée à la vieillesse : le traitement antidépresseur lève souvent un syndrome asthénique chez le sujet âgé, prouvant son origine psychique). Chez le senior déprimé, il n’est toutefois pas rare de constater, au contraire, la survenue d’une agitation anxieuse. Par ailleurs, il ne faut pas confondre le ralentissement moteur d’origine psychique avec une incapacité physique à assumer diverses activités (en raison d’une insuffisance cardiaque ou respiratoire, ou encore de rhumatismes, par exemple).
La bradypsychie, se traduisant par l’incapacité à se concentrer et à s’adapter à la situation vécue, se manifeste de façon fréquente chez le sujet âgé par l’appauvrissement du discours avec monoïdéisme (le patient concentre son attention sur une seule idée) ou anidéisme (il n’a plus d’idée ou d’avis sur rien…).
L’insomnie du patient déprimé, caractéristique, survient en fin de nuit ou se traduit par une succession d’éveils nocturnes prolongés, avec un réveil matinal précoce et angoissé. Chez le sujet âgé, ces troubles ne doivent pas être mis systématiquement sur le compte du vieillissement, même si la durée du sommeil est effectivement réduite avec les années. Dans certains cas, notamment chez le sujet âgé, il peut y avoir, au contraire, hypersomnie et/ou somnolence diurne.
Une anxiété, parfois intense, accompagne souvent l’épisode dépressif : susceptible de passer au premier plan chez le sujet âgé, elle peut alors masquer les signes de dépression. Trop souvent d’ailleurs, le médecin se contente de traiter l’anxiété par une benzodiazépine anxiolytique sans mettre en œuvre un traitement de fond par antidépresseur.
Pour autant, la sévérité d’un épisode dépressif, même caractérisé, reste variable. Les critères du DSM, par exemple, ne laissent pas présager de sa sévérité. Un épisode dépressif peut être “sévère” car handicapant ou exposant à une évolution péjorative sans être “majeur” s’il ne réunit pas cinq des neuf critères. “Majeur” ou “caractérisé” n’est donc pas synonyme de “sévère”, et vice-versa. Enfin, il n’est pas exceptionnel que la dépression se traduise, chez un sujet âgé, par un état d’opposition totale à toute forme de prise en charge, avec mutisme, prostration, refus de s’alimenter : ce syndrome de “glissement” peut parfois entraîner un décès très rapide.
→ Un diagnostic de trouble dépressif majeur peut être porté même si la maladie est réduite à un EDM (lire encadré ci-contre) du moment que cet épisode n’est pas expliqué par une maladie psychiatrique et que le patient n’a pas présenté d’épisode maniaque, hypomaniaque ou mixte
→ Le trouble dépressif majeur récurrent se caractérise par la multiplication des EDM séparés par un intervalle d’au moins deux mois. La participation des événements de vie au déclenchement des récurrences est significatif.
Il existe de nombreux autres types de dépression, dont certains concernent parfois le sujet âgé :
→ la dépression saisonnière, affectant volontiers la femme (85 % des cas) entre 30 et 40 ans, se traduit par des fringales sucrées avec prise de poids, de l’asthénie, un besoin accru de sommeil et une tendance au repli sur soi, sans que les signes d’un EDM soient tous réunis. Survenant entre octobre et décembre pour durer trois à quatre mois, elle est induite par le déphasage circadien saisonnier et disparaît avec l’allongement du jour. Ce type de dépression est sensible à un traitement spécifique : la photothérapie ;
→ le trouble dysthymique est caractérisé par une humeur constamment triste, sans pour autant satisfaire aux critères diagnostiques d’EDM et sans antécédents d’épisodes maniaques, hypomaniaques ou mixtes.
Chez le sujet âgé, la dépression ne doit pas être tenue comme une conséquence inéluctable du vieillissement. Elle ne peut être confondue avec aucune autre maladie, du moins dans ses présentations caractéristiques. Son diagnostic, purement clinique, orienté par les signes psychiques, cognitifs et somatiques, mais aussi par les antécédents familiaux du patient (dépression, suicide chez un ascendant ou dans la fratrie) et par le contexte (deuil, séparation, perte d’autonomie, etc.), est souvent porté grâce à des échelles spécifiques, qui se révèlent généralement mal adaptées à la population âgée. Il est toutefois possible d’utiliser des outils plus spécifiques, dont notamment la Geriatric depression scale du docteur Jerome Yesavage (gériatre à l’université Stanford) ou la CARE (Comprehensive assesment and Referal Evaluation) qui permet de repérer les dépressions sévères chez le sujet âgé (lire Savoir faire p. 40).
Une dépression peut toutefois être difficile à diagnostiquer chez un sujet âgé car les comorbidités (notamment les démences) en modifient la présentation et ses signes diffèrent de ceux généralement décrits chez l’adulte : elle peut en effet fréquemment être “masquée” par une symptomatologie atypique susceptible d’en retarder le diagnostic.
Les signes psychiques et/ou cognitifs accompagnant un syndrome dépressif peuvent être discordants par rapport à ceux qu’il est habituel d’observer, et ce, notamment chez un sujet âgé déprimé. Ainsi, il est possible de voir se développer des réactions phobiques ou obsessionnelles, des troubles des conduites alimentaires (anorexie ou boulimie), des troubles addictifs (alcoolodépendance) ou, surtout (et notamment chez le sujet âgé), une anxiété généralisée, des troubles du comportement (irritabilité, agressivité verbale ou gestuelle, agitation, déambulation, etc., jusqu’à l’automutilation) et des troubles cognitifs parfois accompagnés d’idées délirantes (à thème de persécution, de jalousie, de préjudice, de vol, de ruine financière, etc.) pouvant faire suspecter une démence (mais disparaissant avec le traitement antidépresseur, ce qui n’est évidemment pas le cas s’il y a démence). Ces modifications du caractère méritent d’être prises en compte, notamment lorsqu’elles contrastent avec le vécu antérieur du patient, et ne doivent pas donner lieu à des contre-attitudes négatives de la part des proches et/ou des soignants.
La survenue de signes somatiques affecte environ 80 % des sujets dépressifs. D’intensité variable, ils se traduisent notamment, chez le sujet âgé, par des préoccupations hypocondriaques récurrentes concernant un (ou des) organe (s) spécifique (s), souvent envahissantes, contrastant avec un désintérêt certain pour le corps dans son ensemble, et observées chez un patient qui ne présente en apparence aucune douleur morale. Il peut s’agir de signes assez caractéristiques de la dépression mais ici très envahissants (anorexie, insomnie, etc.) ou de signes ne participant pas au tableau clinique habituel de la dépression :
→ troubles digestifs : constipation ou accélération du transit, douleurs coliques, expliquent parfois une phobie alimentaire ou, a minima, une sous-alimentation à l’origine d’un amaigrissement ;
→ troubles neurovégétatifs : sueurs, frilosité, lipothymie sont fréquents et ne doivent pas être systématiquement associés à l’âge ou à une instabilité tensionnelle par exemple ;
→ douleurs articulaires, musculaires (dorsales notamment, ou crampes) ou céphalées ;
→ troubles neuromusculaires : paresthésies, tremblements, vertiges, voire anomalies à l’électrocardiogramme…
Ces signes nécessitent des examens pour éliminer une pathologie organique, ce qui retarde le diagnostic de dépression. Les antécédents de dépression, la connaissance d’une cause susceptible d’expliquer les signes (maladie neurologique, prise de médicaments dépressogènes, placement en institution, dépendance, deuil, etc. chez le sujet âgé) mais également la rapide régression des signes cliniques sous traitement antidépresseur permettent de confirmer l’existence d’une dépression.
Ces présentations cliniques, semblant parfois mineures par leur symptomatologie, peuvent être redoutables par leur pronostic si elles ne sont pas traitées. Le risque de passage à la chronicité de même que la possibilité d’un geste suicidaire ne doivent pas être méconnus.
Le traitement pharmacologique de l’épisode dépressif, qui ne fait que réduire la durée de l’épisode dépressif, repose sur l’administration d’un antidépresseur parfois associé à un antipsychotique, un anxiolytique, un hypnotique ou un thymorégulateur dans des situations spécifiques non détaillées ici. À efficacité égale, le choix d’un antidépresseur est fait, chez le patient âgé, en fonction de la tolérance : les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) et les antidépresseurs d’action duale sont privilégiés, alors que les tricycliques sont réservés aux dépressions résistantes
Les IRS augmentent le taux utile de sérotonine dans le cerveau. Bien tolérés, ils facilitent l’observance du traitement. Le prescripteur a le choix entre plusieurs molécules proches : citalopram (Séropram), escitalopram (Séroplex), fluoxétine (Prozac), fluvoxamine (Floxyfral), paroxétine (Déroxat, Divarius), sertraline (Zoloft). Ils peuvent induire une anorexie, des nausées, voire des vomissements (à prendre en compte chez un sujet âgé dénutri ou déshydraté), des céphalées ou des migraines, de l’insomnie, tous signes qui cèdent rapidement à la poursuite du traitement, ainsi qu’une hyponatrémie, notamment en cas d’association à un diurétique.
Toutefois, leurs effets indésirables sont dominés par le syndrome d’hypersérotoninergie, observé lors d’une intoxication, d’une augmentation brutale de dose ou de l’association de deux médicaments augmentant les taux de sérotonine (antidépresseur IRS + lithium, buspirone, etc.). Ce qui se traduit en général par des sueurs, des troubles digestifs (nausées, diarrhées), une instabilité de la tension, une tachycardie, des tremblements et des myoclonies et parfois par une agitation avec confusion mentale et de la fièvre (syndrome pseudo-grippal). Le traitement est curatif : suppression du traitement sérotoninergique, éventuelle prescription de propranolol (Avlocardyl), éventuelle prescription d’une benzodiazépine, mais, surtout, préventif avec adaptation de la posologie au patient (poids, médicaments associés, insuffisance rénale et/ou hépatique, etc.).
Venlafaxine (Effexor), milnacipran (Ixel), mirtazapine (Norset) et duloxétine (Cymbalta) se rapprochent des tricycliques (TC) quant à leur puissance mais ont une meilleure tolérance. Ces médicaments n’exposent que d’une façon limitée aux effets indésirables décrits pour les TC. L’incidence des nausées est plus faible qu’avec les IRS, tout comme celle des insomnies ou de l’anxiété. Toutefois, l’incidence des dysuries chez des sujets sensibles ou prostatiques impose la prudence en cas d’adénome prostatique. L’administration de duloxétine pouvant augmenter la tension artérielle, une surveillance s’impose lors du traitement chez les sujets hypertendus et/ou porteurs d’une cardiopathie. La mirtazapine peut exceptionnellement être à l’origine d’atteintes hématologiques réversibles (leucopénie, agranulocytose, neutropénie) ainsi que d’une augmentation du taux des enzymes hépatiques. Il s’agit là d’antidépresseurs fréquemment prescrits chez le sujet âgé.
L’agomélatine (Valdoxan) est active sur les récepteurs à la mélatonine. Participant à la régulation de l’horloge interne, elle concourt à la resynchronisation des rythmes circadiens perturbés par une avance de phase, que l’on sait corrélée aux variations circadiennes de la symptomatologie dépressive. Ses effets indésirables peuvent être gênants (nausées, troubles du transit, vertiges, céphalées, somnolence) et une surveillance hépatique s’impose avant l’instauration du traitement puis de façon adaptée tout au long de celui-ci. L’usage de cet antidépresseur n’est pas recommandé au-delà de 75 ans en l’absence d’études.
Maprotiline (Ludiomil) et miansérine (Athymil) sont proches des précédents. Leur profil de tolérance est satisfaisant mais leur efficacité clinique est parfois plus faible que celle des TC. Quant à la tianeptine (Stablon), elle a une action peu puissante mais elle bénéficie d’une bonne tolérance, notamment chez le sujet âgé. Le risque de dépendance lié à son potentiel psychostimulant explique qu’elle doive être prescrite sur ordonnance sécurisée.
Les TC sont les antidépresseurs les plus puissants : leur action thérapeutique résulte d’une inhibition de la recapture de la noradrénaline, de la sérotonine, mais ils exercent de nombreuses autres actions, d’où une tolérance médiocre et une forte toxicité (clomipramine, Anafranil, imipramine, Tofranil, etc.). De ce fait, ils sont proposés en deuxième ou en troisième ligne de traitement chez le sujet âgé, notamment en cas de résistance à un autre traitement. Ils sont efficaces sur les dépressions mélancoliques.
Le traitement antidépresseur repose sur une monothérapie (sauf exception). Il est conduit en ambulatoire dans la majorité des cas, notamment si la dépression est d’intensité légère à modérée, si le contexte environnemental est favorable, si le risque suicidaire est maîtrisé et si l’alliance thérapeutique avec le patient est satisfaisante.
Le traitement antidépresseur s’articule autour de trois étapes.
→ Le traitement d’attaque permet d’abréger la durée de l’épisode. Visant à obtenir une rémission partielle (disparition d’une partie des symptômes) puis une rémission complète (disparition de tous les symptômes), il constitue un compromis entre efficacité (selon la symptomatologie du patient) et tolérance (selon sa vulnérabilité).
→ L’instauration est progressive, par paliers de deux à trois jours, sous étroite surveillance. Le médecin peut juger utile d’accompagner temporairement ce traitement par un médicament anxiolytique, qui limite le risque de passage à l’acte suicidaire toujours possible lorsque la levée de l’inhibition psychomotrice précède l’amélioration de l’humeur dépressive. L’action antidépressive en se développant peut, elle-même, induire des effets secondaires et notamment la survenue ou l’aggravation d’une insomnie traduisant une inversion de l’humeur (annonçant un épisode maniaque ou hypomaniaque, elle peut permettre de porter un diagnostic de trouble bipolaire).
→ L’évolution favorable du traitement se traduit par la régression des signes dépressifs. L’antidépresseur est efficace après un délai minimal de trois à cinq semaines, qu’il est nécessaire de respecter avant de conclure à son inefficacité (en supposant l’observance du traitement satisfaisante). Ce traitement est maintenu pendant environ quatre mois.
Prévenant les rechutes et suivant la phase d’attaque, il est poursuivi pendant six à douze mois (posologie identique à la posologie d’attaque).
Destiné à prévenir les récidives à long terme chez un patient ayant présenté des EDM récurrents, il peut être poursuivi pendant deux à quatre ans, voire plus.
Limiter le traitement d’une dépression à la seule prescription est souvent réducteur : la souffrance du patient doit être entendue, accompagnée et travaillée. L’existence de troubles de la personnalité ou d’antécédents d’événements conflictuels expliquant la décompensation dépressive fait indiquer une psychothérapie en association à l’administration de médicaments.
Enfin, en dernier recours, il est possible de recourir à l’électroconvulsivothérapie (ECT ou sismothérapie), y compris chez un sujet âgé.
L’électroconvulsivothérapie (ECT ou “sismothérapie”) consiste à provoquer une crise convulsive généralisée par l’électricité : pouvant être pratiquée chez le sujet âgé, elle n’est contre-indiquée qu’en cas d’hypertension intracrânienne et permet une amélioration des symptômes sévères lorsque d’autres options thérapeutiques se sont révélées inefficaces. Son action rapide est plus puissante que celle des TC, notamment sur la dépression résistante (efficacité supérieure à 80 %). L’ECT est proposée en dernière intention, sauf en cas de risque suicidaire important ou de contre-indication aux TC.
La stimulation magnétique transcrânienne est réalisée par induction d’une impulsion magnétique sur le cortex cérébral, à travers le crâne, et crée un champ électrique qui suscite une dépolarisation neuronale (potentiel d’action) plus ou moins localisée. Cette technique indolore peut être appliquée au traitement des dépressions résistantes.
Il est fréquent que le patient déprimé bénéficie d’un accompagnement prolongé par une psychothérapie en complément du traitement médicamenteux dont il renforce l’action et qui contribue à prévenir les rechutes ultérieures. Cette prise en charge n’a d’indication, complémentaire, que dans les dépressions d’intensité légère à modérée.
(1) Voir notamment Lempérière et al. (1995), Olié et al. (1996) en bibliographie. Les données épidémiologiques précises restent curieusement rares dans ce domaine précis…
(2) Manifestant une grande indifférence pour la loi et le droit des autres personnes.
(3) Trouble de la personnalité que caractérise une hyperémotivité et l’incapacité à gérer ses émotions.
(4) La thymie est la disposition affective de base qui oscille entre joie et douleur en fonction des émotions et des événements vécus.
(5) Sinon, il s’agirait d’une maladie bipolaire. 20 à 50 % des EDM s’inscrivent dans le cours d’une maladie bipolaire : la survenue, même à long terme, d’un épisode maniaque/hypomaniaque/mixte chez un sujet ayant présenté un (des) épisode (s) dépressif (s) fait donc porter un diagnostic de maladie bipolaire.
(6) L’usage des antidépresseurs inhibiteurs des monoamines oxydases (IMAO), devenu marginal, n’est pas envisagé ici.
La dépression résulte d’altérations dans la neurotransmission au niveau du cerveau, affectant notamment le cortex cérébral et le système limbique. Elle est associée à une diminution des taux synaptiques de noradrénaline, de dopamine et de sérotonine : la plupart des médicaments antidépresseurs tendent à restaurer des taux suffisants de ces neuromédiateurs dans le cerveau.
Elle s’associe aussi à une diminution de la plasticité neuronale (c’est-à-dire à la capacité des neurones à modifier leurs connexions et à communiquer entre eux) affectant notamment l’hippocampe (d’où les troubles cognitifs), le cortex préfrontal (d’où l’inhibition psychomotrice) et l’amygdale (d’où l’anxiété, la tristesse, l’agressivité éventuelle).
Il existe de plus des liens entre dépression et rythme circadien. Cela explique les troubles du sommeil qui accompagnent la maladie. L’agomélatine (Valdoxan), antidépresseur, est efficace car elle est active sur la mélatonine, impliquée dans la régulation du sommeil.
Idées suicidaires et récurrence des pensées relatives à la mort constituent des signes caractérisant tout syndrome dépressif majeur, sans que leur évocation soit nécessairement explicite. Si les passages à l’acte non anticipés sont banals (raptus suicidaire), le patient peut aussi préparer méthodiquement sa fin. Le suicide est fréquent chez le sujet âgé
* Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées (CNBD) : “Prévention du suicide chez les personnes âgées” (2013). Voir aussi www.cepidc.inserm.fr.
• L’épisode dépressif est dit “majeur” (EDM) (ou “caractérisé”) dès que cinq des symptômes suivants sont présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et que cela a représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur. Un des symptômes doit être une humeur dépressive 1 ou une perte d’intérêt ou de plaisir 2. Ne sont pas inclus des symptômes manifestement imputables à une affection générale.
1 Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (sentiment de tristesse ou vide) ou observée par les autres (pleurs).
2 Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours.
3 Perte ou gain de poids significatif (5 %) en l’absence de régime, ou diminution ou augmentation de l’appétit tous les jours.
4 Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
5 Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours.
6 Fatigue ou perte d’énergie tous les jours.
7 Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade).
8 Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
9 Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
C’est une distinction historique entre les troubles dépressifs qui amène le clinicien à distinguer deux types de dépressions selon leur origine : les dépressions endogènes et les dépressions psychogènes.
→ Dépressions endogènes : les épisodes dépressifs endogènes satisfont aux critères de l’EDM et s’accompagnent d’une intense douleur morale : moins fréquents que les épisodes psychogènes, ayant une forte composante génétique, ils sont aussi connus comme accès “mélancoliques” et sont peu fréquents chez le sujet âgé.
→ Dépressions exogènes (réactionnelles, psychogènes, névrotiques) : les troubles dépressifs réactionnels peuvent être ou non caractérisés.
Très fréquents, se traduisant par une symptomatologie variable, avec une douleur morale réduite, mais souvent une composante anxieuse importante, se traduisant parfois uniquement au plan somatique (asthénie, douleurs, etc.), ils font souvent suite à une décompensation dépressive suivant un traumatisme et sont ainsi liés à l’histoire du patient.
Symptômes présents indépendamment de l’âge
→ Troubles de l’humeur : tristesse voire désespoir, pessimisme, mésestime de soi, anhédonie, défaut d’anticipation, anxiété
→ Bradykinésie et bradypsychie
→ Troubles du sommeil
→ Anorexie
Symptômes moins habituels chez la personne âgée (mais caractéristiques chez le sujet plus jeune)
→ Idées suicidaires, expression d’une douleur morale
→ Culpabilité
→ Moindres relations sociales et professionnelles (caractéristique liée au désengagement associé à l’âge)
→ Diminution de la libido
Symptômes fréquents chez la personne âgée
→ Démotivation, ennui, sensation douloureuse de vide intérieur, repli sur soi, isolement, angoisse matinale (souvent au réveil)
→ Instabilité thymique, agressivité, hostilité, épisodes de colère, suicides tentés et réussis
→ Troubles cognitifs avec parfois idées délirantes
→ Somatisations multiples (hypochondrie)
→ Dépendance
Le médecin m’a donné un antidépresseur mais il n’a pas voulu prescrire un médicament pour dormir… Pourtant, je me réveille toutes les nuits vers 4 heures du matin !
Le traitement antidépresseur n’est pas efficace immédiatement sur les signes caractérisant l’épisode dépressif, mais, dans les dix jours, il induit une amélioration clinique significative, avec réduction de l’anxiété, amélioration de la qualité de vie psychique et contrôle des troubles somatiques, dont les troubles du sommeil. Il n’y a donc pas lieu de lui associer systématiquement un traitement hypnotique (benzodiazépine ou apparenté type zopiclone, Imovane ou zolpidem, Stilnox) dont l’index thérapeutique est défavorable (notamment chez le sujet âgé : risque de chute et/ou de dépression respiratoire, etc.) et qui expose à un risque d’accoutumance rapide et de dépendance. S’il y a prescription d’un hypnotique, celle-ci doit être très ponctuelle (deux semaines au maximum) et faite à dose réduite de moitié par rapport à celle usuellement utilisée chez un sujet plus jeune.
« Les effets indésirables des tricycliques (TC) doivent être connus et reconnus. Sueurs et bouffées de chaleur fréquentes en début de traitement régressent rapidement. D’une façon plus préoccupante, les TC sont à l’origine de signes anticholinergiques dominés par un tarissement des sécrétions : constipation, troubles visuels (contre-indication : glaucome), sécheresse buccale (candidose, carie, glossite, stomatite), troubles urinaires (contre-indication : adénome prostatique). Ils peuvent aussi induire de la sédation, de l’hypotension artérielle (fatigue et vertiges, avec possibles chutes chez la personne âgée), des tremblements digitaux (même à de faibles doses), une prise de poids. L’éventuelle intoxication aiguë par un TC sera préoccupante chez un patient âgé : troubles neurologiques (coma, convulsions, etc.), troubles du rythme pouvant s’accompagner d’une chute de la tension, acidose métabolique peuvent en effet entraîner un décès rapide. »
Le millepertuis (Hypericum perforatum) est une plante médicinale disponible en vente libre. Il est présenté comme actif dans les troubles de l’humeur ou les troubles anxieux. Son emploi ne peut être envisagé que pour les dépressions légères et transitoires : il ne constitue pas un traitement acceptable pour une dépression caractérisée sévère.
Ce traitement faiblement psychoactif expose à de possibles signes d’hypersérotoninergie, à un risque de photosensibilisation. Il existe également un risque important d’interactions avec diminution de l’efficacité des médicaments associés (notamment, chez le sujet âgé, des antivitamines K, d’où le risque de thrombose, de la digoxine, des antidépresseurs IRS avec risque d’hypersérotoninergie, etc.). De plus, l’arrêt de l’administration du millepertuis peut être à l’origine de signes de surdose par ces médicaments, car leur élimination est brutalement ralentie.
• Un épisode dépressif guérit spontanément en six à douze mois en l’absence de traitement. Une rémission complète des signes cliniques supérieure à six mois traduit une “guérison” de l’épisode. Passé ce délai, la réapparition des signes fait évoquer une “récidive” dépressive ; avant ce délai, lorsque la rémission n’est que “partielle”, il y a “rechute” du même épisode.
• La notion de “guérison” concerne un épisode donné : la dépression est une maladie volontiers récurrente et, souvent, l’épisode donne lieu à une simple rémission partielle, laissant persister des symptômes résiduels.
• Chez quelque 20 % de sujets dépressifs, la symptomatologie se prolonge pendant au moins deux ans : la dépression est alors considérée comme “chronique”.
« Les associations de médicaments incluant un antidépresseur étant fréquentes chez le sujet âgé, il faut privilégier, chez ce patient souvent polymédicamenté, un antidépresseur limitant le risque d’interactions. Les tricycliques donnent lieu à des interactions cinétiques nombreuses : le risque de signes anticholinergiques est potentialisé par tous les médicaments également anticholinergiques (certains antihistaminiques, neuroleptiques, antiparkinsoniens) ; ils peuvent potentialiser une hypotension orthostatique s’ils sont associés à des neuroleptiques ou à des antihypertenseurs ; ils potentialisent l’effet anticoagulant des antivitamines K. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine interagissent globalement peu avec d’autres médicaments, exception faite de la duloxétine (Cymbalta). Il faut toutefois souligner un réel risque de syndrome sérotoninergique, en cas d’association additive sur ce neurotransmetteur et un risque d’hyponatrémie (avec confusion mentale) en cas d’association à certains diurétiques. Le risque d’interaction est faible avec la tianeptine (Stablon) ou l’agomélatine (Valdoxan). »
L’arrêt du traitement antidépresseur, quelle qu’en ait été la durée doit être toujours progressif, sur plusieurs semaines. Effectivement, son interruption brutale peut induire des signes cliniques de sevrage qu’il ne faut pas mésestimer : sensations vertigineuses, anxiété, irritabilité, troubles du sommeil, syndrome pseudogrippal, troubles sensoriels à type de paresthésies et de sensations de décharges électriques, signes digestifs, etc., ni confondre avec les signes d’une reprise éventuelle de la symptomatologie dépressive. Ce syndrome, souvent bénin, est spontanément résolutif en deux semaines à deux voire trois mois. Il est notamment décrit avec les TC ou avec les médicaments d’action duale (milnacipran, mirtazapine, venlafaxine), mais aussi avec des IRS. Des facteurs pharmacologiques et cinétiques participent à ces effets, notamment l’affinité des principes actifs pour les récepteurs à l’acétylcholine (paroxétine). Chez des patients mal observant, ce syndrome pourra imposer un changement de molécule active afin de favoriser un antidépresseur d’élimination plus lente, dont l’effet est ainsi persistant dans l’organisme même après quelques oublis de prise…
J’ai oublié de prendre mon antidépresseur pendant le week-end chez ma fille. Qu’en pensez-vous ?
L’arrêt brutal d’un traitement antidépresseur peut induire des signes d’interruption (anxiété, tremblements, paresthésies, troubles digestifs, etc.). Ce syndrome, souvent bénin, peut toutefois être gênant, voire anxiogène. Il est surtout décrit avec les tricycliques et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Les antidépresseurs dont l’élimination est prolongée minimisent ces signes en raison de la rémanence de leur effet. Ainsi, l’interruption d’un traitement par fluvoxamine (Floxyfral), paroxétine (Déroxat) ou venlafaxine (Effexor) induisent plus d’effets de “discontinuité” que celle d’un traitement par fluoxétine (Prozac). Toutefois, l’oubli d’une prise ou deux d’un antidépresseur ne pose pas de problème : elle ne doit pas pour autant devenir répétitive ! En aucun cas, elle ne doit être “compensée” par la prise simultanée de plusieurs doses.
Tous les antidépresseurs sont à peu près équivalents en termes d’efficacité sur un EDM. Pourtant, il reste impossible d’obtenir une rémission complète en raison d’une résistance chez 10 à 40 % des patients déprimés pour lesquels deux antidépresseurs successifs administrés pendant quatre à six semaines avec une observance rigoureuse, à une dose suffisante, n’ont produit aucun résultat. La stratégie face à une résistance vise à modifier l’antidépresseur (avec usage notamment d’un tricyclique) et/ou à en augmenter la dose, à lui associer un traitement renforçant son action (thymorégulateur, hormone thyroïdienne ou… autre antidépresseur), à recourir à l’électroconvulsivothérapie.