Cahier de formation
Savoir faire
Les infirmiers en centre hospitalier spécialisé ne sont pas les seuls confrontés à la dépression des personnes âgées : à domicile, l’Idel est bien placée pour reconnaître les signes de douleur psychique. Son rôle s’inscrit à toutes les étapes de la prise en charge : diagnostic et incitation aux soins, surveillance et accompagnement psychique pendant le traitement.
Vous intervenez chez Monsieur A., 63 ans, pour un pansement faisant suite à une intervention chirurgicale bénigne. Il vous confie qu’il traverse des moments difficiles, d’une part avec sa fille adoptive qui se met régulièrement en danger, d’autre part au travail où la légitimité de ses décisions est remise en cause par son supérieur. Il répète à l’envi que le monde court à sa perte et qu’il est incapable de protéger sa fille.
Devant ces plaintes, vous l’invitez à préciser l’impact de ses difficultés sur son moral, son appétit, son sommeil, ses relations avec son entourage et ses habitudes de vie, de façon à mieux cerner l’éventuelle apparition d’un syndrome dépressif. L’expression de son visage, la tonalité de sa voix, la façon dont il s’occupe de lui et de son environnement contribueront également à asseoir le diagnostic.
À l’occasion des soins, les infirmières libérales ont l’opportunité d’accueillir la parole des patients et de repérer les expressions d’angoisse. Elles sont particulièrement bien placées pour détecter une dépression, du fait des qualités relationnelles propres à leur exercice, de la proximité qu’elles entretiennent avec les patients au quotidien et sur la durée, de la moindre distance sociale qui les sépare d’eux, mais aussi en raison de leur connaissance du milieu de vie, des habitudes et des liens que ces patients ont avec leurs proches. Pour les personnes âgées à domicile, certaines situations à risque suscitent une vigilance accrue : la solitude, la perte d’un être cher (ou d’un animal familier), un conflit familial, l’annonce d’une maladie grave (ou d’une rechute), une perte brutale d’autonomie, une institutionnalisation à venir…
Pour détecter une dépression, l’attention est portée sur une anhédonie, un manque d’envie même pour des activités qui faisaient plaisir auparavant, comme la cuisine, la lecture, le jardinage ; des troubles somatiques, comme un mal de ventre, la perte de poids ou des troubles du sommeil, avec des réveils la nuit et plus tôt que d’habitude, du mal à se lever le matin et/ou des siestes qui se rallongent ; l’anesthésie affective (le fait de dire « tout m’est égal ») ; une alexithymie (les émotions sont cachées) ; une rupture des soins ; des réactions émotionnelles inappropriées, par exemple des pleurs au cours d’un soin habituel, ou des pleurs de plus en plus fréquents ; une passivité ou une irritabilité ; une rupture du fonctionnement antérieur avec l’entourage (c’est-à-dire les soignants et autres intervenants à domicile, la famille, les proches), par exemple une diminution des visites au domicile, des sorties moins fréquentes à l’extérieur ou des situations plus conflictuelles
La Geriatric Depression Scale, ou échelle de dépression gériatrique, de Yesavage, qui compte à l’origine trente items, existe dans une version brève, plus facilement utilisable à domicile, en seulement quatre questions : « Vous sentez-vous découragé et triste ? » ; « Avez-vous le sentiment que votre vie est vide ? » ; « Êtes-vous heureux la plupart du temps ? » ; « Avez-vous l’impression que votre situation est désespérée ? » Un point est attribué pour une réponse positive à l’une des deux premières questions et à la dernière, ou négative à la troisième. Un total d’au moins un point est interprété comme une probabilité de dépression. Cet outil figure dans les instruments mis à disposition pour les intervenants à domicile dans le programme Mobiqual, porté par la Société française de gériatrie et gérontologie, et dont l’objectif est d’améliorer la qualité des pratiques professionnelles au bénéfice des personnes âgées et handicapées (lire Savoir plus p. 45).
Des symptômes auxquels il convient d’être particulièrement attentif, selon Edmond Guilibert, psychiatre de liaison (Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, AP-HP).
Est-ce normal d’être déprimé quand on vieillit ?
Une phase “naturelle” de dépression est fréquente lors du vieillissement. L’impossibilité, consciente ou non, d’accepter le changement qui passe par le corps mais aussi par le renoncement à certaines prérogatives antérieures se traduit parfois par l’apparition d’une dépression. La symptomatologie est rarement franche (les plaintes somatiques se marient aux troubles de l’humeur et du sommeil et aux histoires de vie douloureuses…) et son intensité comme son mode de résolution sont parfois inattendus. Même avec un traitement bien conduit, les troubles peuvent évoluer de façons très diverses, allant de la douleur morale qui “s’enkyste” et résiste aux antidépresseurs à une résolution complète, laissant la place à un état psychique meilleur qu’avant l’épisode dépressif.