L'infirmière Libérale Magazine n° 304 du 01/06/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous vous rendez chez Madame P., 73 ans, pour la prise de constantes et un bilan sanguin dans le cadre de la surveillance d’un traitement antidépresseur. Elle se plaint de n’avoir pas retrouvé le goût de vivre, précise que son mari s’en irrite et vous demande si elle va s’en sortir.

Vous l’écoutez, l’incitez à parler de son ressenti et vous assurez de son suivi médicamenteux et psychothérapique, mais le temps manque pour l’accompagner plus. Le soutien moral s’exerce initialement au sein du couple, comme le rappelle le Dr Pellerin.

Chez un couple ayant un fonctionnement conflictuel, lorsque la retraite arrive et que les protagonistes se voient privés de la valorisation que leur offrait l’activité professionnelle, l’un d’eux peut déprimer. La dépression apparaît alors comme un moyen de “s’absenter” de la relation conjugale conflictuelle. Dans un couple fusionnel, la survenue d’une dépression peut être vécue comme un abandon par le conjoint “sain” et générer des réactions de rejet ou, au contraire, induire une hyperstimulation “stérile” dans la mesure où le patient déprimé ne peut justement pas répondre à ces incitations répétées à l’action.

PRISE EN CHARGE PSYCHOSOCIALE

La stratégie thérapeutique ne se limite pas à une réponse médicamenteuse. Résumer un patient à sa dépression et affirmer qu’« il n’a qu’à prendre ses cachets et faire des efforts et ça passera… » est souvent une façon de ne pas s’en occuper, comme l’explique le Dr Pellerin. La psychothérapie est incontournable : le thérapeute, par son empathie et ses capacités d’analyse, favorise le travail d’introspection et aide le patient à établir des liens entre des événements de sa vie et à prendre de la distance face à son propre fonctionnement psychique. Les infirmières contribuent, pour leur part, à l’aspect relationnel de la prise en charge, en aidant le patient à mieux connaître sa maladie ou encore en entretenant avec lui des relations sociales. Des visites à domicile ou des relations sociales riches (comme dans un club du troisième âge) sont en effet bénéfiques pour le patient. Il est par exemple souhaitable de ne pas laisser les patients seuls face à leur plateau-repas : ils mangent mieux quand ils sont en compagnie.

BONNES PRATIQUES

Si les premiers temps de la prise en charge sont marqués par la réassurance du patient, les suivants visent à l’amener à trouver en lui les ressources susceptibles de l’aider à “aller mieux” pour pouvoir se projeter dans l’avenir (1).

Favoriser les échanges

Comme avec tout patient dépressif (2), il s’agit d’instaurer une relation de confiance. Les dépressifs sont peu demandeurs d’entretien ; la culpabilité, la mauvaise estime d’eux-mêmes, le désespoir, parfois, les tiennent éloignés des autres. Il faut donc les solliciter et, en cas de refus, leur dire que les professionnels de santé se tiennent à leur disposition s’ils ont envie de parler. Faire un geste technique n’interdit pas d’entrer en relation avec le patient. Le simple fait de prendre les constantes peut être un moment d’échange.

Encourager l’estime de soi

Lorsque le patient est au plus profond de sa dépression, il ne faut pas le “brusquer” mais le stimuler régulièrement (pour parler, pour effectuer les actes du quotidien…) ; s’adapter à ses possibilités et, éventuellement, à ses rythmes ; éviter les “bons conseils”, qui ne servent à rien chez des patients abouliques (sans envie, sans volonté) ; accepter d’entendre les plaintes du patient ; valoriser ses actes (par exemple, être sorti de son lit, s’être lavé sans rappel de cette nécessité). Lorsque l’état psychique du patient s’améliore, l’infirmière doit savoir le “bousculer” un peu, rappeler les éléments de réalité (respect des règles : horaires de repas, hygiène…) au risque de la frustration ou du mécontentement ; s’informer sur ses centres d’intérêt pour l’aider à parler de ce qui était connoté positivement pour lui, raviver les bons souvenirs, mettre en lumière certaines possibilités de reconstruction.

Soutenir la vigilance du patient

Il s’agit de veiller à ce que le patient, souvent très peu demandeur de soins, ne passe pas ses journées au lit. Pour ceux qui ne sortent pas, prendre le prétexte du ménage ou de la chambre à aérer pour les inciter à quitter leur lieu de réclusion. Il n’est pas question de se substituer au patient, mais de l’aider. Les infirmières peuvent aussi inciter les patients à prendre soin d’eux sur le plan corporel, leur proposer de l’aide et valoriser ce qui est fait. Il est préférable de mettre l’accent sur l’importance de l’hygiène plutôt que sur les nécessités esthétiques. Pour ceux qui ont du mal avec la douche, le bain peut être une solution, moins “agressif” et plus relaxant. Il faut aussi privilégier, en journée, le port de vêtements de ville plutôt que celui d’un pyjama ou d’un peignoir.

Écouter avec bienveillance

L’Idel doit accepter d’être touchée émotionnellement tout en gardant la “bonne distance” thérapeutique : ne sombrer ni dans le débordement émotionnel ni dans le rejet défensif. Il faut valoriser l’empathie, mais se méfier de la sympathie ou de la compassion, qui remettent en question la nécessaire limite entre soignant et soigné. Ne pas porter de jugement et prendre le temps de l’écoute constituent deux autres impératifs.

(1) Selon S. Santier, IDE.

(2) Nous reprenons ici quelques-uns des conseils pratiques formulés par l’équipe d’infirmiers du secteur psychiatrique du XVIIe arrondissement parisien pour le dossier de formation du n° 269 de L’Infirmière magazine (15 décembre 2010), et qui nous semblent utiles aussi pour le domicile. Les citations d’Edmond Guilibert, Didier Morisot, Philippe Nuss, Aymeric Reyre et S. Santier dans la partie Savoir faire sont également extraites de ce numéro.

Améliorer la coordination

Pour les Idels, la prise en charge de la dépression d’une personne âgée relève plus souvent de la coordination que du soin technique ou relationnel. L’amélioration de la coordination entre professionnels de santé est d’ailleurs citée dans le Projet de cahier des charges du Parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (cf. bit.ly/1o6bduj). Le Paerpa, qui doit être expérimenté dans neuf régions (lire notre n° 302 d’avril), cible plusieurs facteurs de risque d’hospitalisation des 75 ans et plus, dont la dépression.

Cette volonté de “prise en charge interdisciplinaire de la souffrance psychique” transparaît également dans les très récentes recommandations de l’Anesm (lire p. 45). Cette Agence suggère d’établir « une liste régulièrement mise à jour des personnes ressources ou des structures locales compétentes pour la prise en charge de la souffrance psychique », comme les psychiatres, psychologues, centres médico-psychologiques, centres de consultation mémoire, équipes mobiles gériatriques et psycho-gériatriques, etc. Les Idels peuvent être prévenues qu’une telle équipe, composée d’infirmiers, est passée à domicile, par exemple après une hospitalisation en établissement psychiatrique. Ponctuellement, il peut aussi leur arriver d’appeler un centre psychologique en ambulatoire si l’état psychique d’un patient semble se détériorer alors que son rendez-vous y est fixé plus tard.

Point de vue…

« L’expérience douloureuse du renoncement » Dr Jacques Pellerin, gérontopsychiatre, hôpital Charles-Foix (AP-HP), Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne)

« Je reçois monsieur L., 82 ans, parkinsonien, qui présente une symptomatologie dépressive, se réveille fatigué, a le moral en berne et n’arrive plus à s’occuper du quotidien. Une fois éliminés les effets secondaires du traitement, il apparaît que cet homme est en train de faire l’expérience douloureuse du renoncement. Lui qui était orphelin de père et mère depuis son plus jeune âge, a été adopté par son oncle et a eu une brillante carrière professionnelle, trois enfants aimants ayant fait de hautes études, des petits-enfants charmants, une épouse adorable avec qui il partage des centres d’intérêt. La survenue inattendue de la dépression dans un tel contexte apparaît concomitante d’une prise de conscience qu’il n’est plus le leader de la famille, qu’il lui faut renoncer à sa position charismatique. Lui revient alors en mémoire, lors de la psychothérapie, un épisode douloureux de son adolescence où il était moqué par ses pairs et contraint de redoubler sa première année de mathématiques élémentaires. L’année d’après, il avait retrouvé sa place dans le lycée, devenant “populaire” et réussissant avec facilité son baccalauréat. Il n’est pas exclu que le leadership soit inconsciemment devenu sa façon de lutter contre les risques de l’effondrement. La relecture des images fortes du passé contribue à une prise de conscience ouvrant la possibilité d’envisager, cette fois sans risque, le renoncement à un statut. L’apaisement vient de l’acceptation d’un nouveau positionnement familial et social. »