L'infirmière Libérale Magazine n° 305 du 01/07/2014

 

NOMENCLATURE

Actualité

VÉRONIQUE HUNSINGER  

COTATION → Alors que les contentieux entre infirmiers et Caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) se multiplient, deux stratégies de sortie de crise se dessinent : la négociation avec l’Assurance maladie pour réformer la nomenclature, ou la guérilla juridique.

La guerre des AIS 3(1) pourrait bien avoir lieu. C’est en tout cas la voie dure qu’a choisi un collectif informel d’infirmières des Bouches-du-Rhône.

« Entrave à l’exercice »

Informidel entend en effet porter le débat jusqu’au Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative en France, en attaquant directement la validité de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Cette contestation qui part du terrain en dehors de toute représentativité syndicale s’organise à Marseille. Ce collectif, qui cherche actuellement à réunir des fonds, travaille avec un avocat sur les moyens d’attaquer juridiquement l’article 11 de la nomenclature qui, selon Informidel, constituerait une entrave à l’exercice infirmier. Des contacts ont commencé à se nouer avec d’autres infirmières, en particulier dans les Pyrénées-Atlantiques et dans l’Oise.

La CPAM de ce dernier département, justement, a récemment obtenu gain de cause devant la Cour de cassation. Dans son arrêt, la Cour a estimé que la NGAP ne permet pas à un infirmier d’obtenir le remboursement de séances de soins cotés AIS 3 au-delà du nombre qu’avait prescrit le médecin, alors que le Tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de l’Oise avait donné raison à l’infirmier en première instance en mars 2013. La Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant le Tass d’Amiens et condamné le professionnel de santé à verser 2 500 euros à la CPAM.

« Situations dramatiques »

Selon Informidel, il y aurait entre deux et trois cents litiges sur la cotation des AIS 3 dans toute la France. « On ne se retrouve plus dans cet imbroglio, il y a un cafouillage juridique dans tout cela, estime André Dahan, un des animateurs, bien que non-infirmier lui-même, du collectif Informidel. C’est la raison pour laquelle on a commencé à lancer un mouvement qui se précise petit à petit. Ce n’est pas facile car les infirmiers travaillent beaucoup et, par rapport aux attaques qu’ils subissent, ils ont parfois du mal à trouver des moyens de défense. On découvre chaque jour des situations dramatiques d’infirmiers qui vivent très mal ces affaires. »

« Écriture ambiguë »

Le cœur du problème est, pour Informidel, que les CPAM voudraient imposer des quotas en matière d’AIS 3. Depuis trois ans, les CPAM auraient ainsi tendance à poursuivre directement les infirmières lorsqu’elles ne sont pas d’accord avec la facturation des actes. « On étudie avec des avocats les moyens de remettre en question l’article 11 de la NGAP qui concerne les AIS 3 et qui représente 80 % des litiges. Il est écrit de manière ambiguë qu’ils doivent être cotés par demi-heure, explique André Dahan. Mais cela ne veut rien dire car c’est une cotation forfaitaire qui inclut plusieurs actes. »

De leur côté, les syndicats d’infirmières commentent peu la démarche d’Informidel mais ne contestent évidemment pas le problème posé par la nomenclature actuellement. « Nous sommes justement en train de revoir cette question puisque les AIS font partie de l’élaboration d’une démarche de soins infirmiers », souligne Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux.

Groupe de travail

Un groupe de travail entre les syndicats infirmiers et les représentants de l’Assurance maladie est à l’œuvre. Un premier groupe de travail a été constitué avec des experts de la gérontologie. Puis un second qui suit la méthodologie de la Haute Autorité de santé. « Les travaux s’orientent vers l’élaboration de quelque chose qui s’apparente à une grille d’évaluation de la charge de soin », explique Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers. « Dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, il existe déjà une grille qui calcule la charge de soins pour les personnels, ajoute Annick Touba. On voudrait faire quelque chose d’adapté au libéral et surtout en sauvegardant notre démarche clinique infirmière. » Il est clair que la référence à la demi-heure de soins ne satisfait personne. « Aujourd’hui, lorsqu’une infirmière est restée au moins vingt minutes, la Caisse ne va pas lui chercher des noises, indique Philippe Tisserand. Ce qui pose problème, c’est quand une seconde demi-heure est entamée. »

Quand une infirmière reste quarante-cinq minutes chez un patient, comment peut-elle aujourd’hui facturer ? Facturer deux AIS, c’est prendre le risque de se le voir reprocher par la Caisse. N’en facturer qu’une seule revient à ne pas être rémunérée à hauteur de la réalité du travail effectué. « Le problème de fond est que l’AIS est très mal payé(2) et c’est ce qui est inacceptable », souligne Philippe Tisserand. « Nous avons conscience que notre nomenclature est un peu inadaptée car les besoins de soins évoluent, conclut Annick Touba. Mais il est possible de la faire évoluer comme on vient de le faire pour les perfusions. » La révision des AIS pourrait aboutir d’ici à la fin de l’année, promettent les syndicats. Si c’est le cas, c’est moins de temps qu’il n’en faut au Conseil d’État pour donner une réponse lorsqu’il est saisi d’un recours.

(1) Lire aussi notre débat pp. 24-25.

(2) 7,95 euros l’AIS 3.

LES AIS EN STATISTIQUES

Un tiers de l’activité des Idels

Les AIS représentent une part importante de l’activité infirmière : 35 %, selon les chiffres publiés l’année dernière par l’Assurance maladie dans son rapport “charges et produits”*. La forte croissance des dépenses de soins infirmiers depuis le début des années 2000 s’est caractérisée par deux phases. Dans un premier temps, ce sont les AMI (actes médico-infirmiers) qui ont très fortement augmenté au début de la décennie. Puis à partir de 2004, les AIS ont également commencé à croître fortement. Pour autant, la Sécurité sociale ne s’affole pas forcément de cette croissance et souligne le caractère « économique » des soins libéraux. « Il faut rappeler que les soins infirmiers contribuent largement au maintien à domicile et restent unitairement relativement peu coûteux pour l’Assurance maladie par rapport à l’hospitalisation ou à l’hébergement dans les Ehpad », peut-on lire dans ce rapport. En effet, la part de patients qui ont recours aux AIS est très restreinte (environ 1 % de la population). Sans surprise, ils sont à la fois âgés (78 ans en moyenne) et en affection de longue durée (82 % d’entre eux, dont la moitié pour une maladie cardiovasculaire). Et il n’y a pas de petits ou de gros consommateurs de ces soins : le recours aux AIS est assez uniforme dans cette population. Enfin, les trois quarts d’entre eux reçoivent également des soins médicaux infirmiers avec en moyenne un acte AMI tous les deux jours.

* À lire sur le site ameli.fr (via le raccourci bit.ly/1buHCEY).

À LIRE

→ L’ensemble du rôle propre…

La définition des AIS 3 « implique que cette cotation intègre l’ensemble des actes relevant du rôle propre de l’infirmière, et pas seulement les toilettes », analysent les auteurs de La Cotation des actes (3e éd., Lamarre, 2014, 22,50 euros, www.librairie-sante.fr).