Dans un arrêt du 15 mars 2012, la Cour de cassation a rendu une décision sur l’intervention des infirmières libérales en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Certains y ont vu – à tort – une interdiction définitive. Éclaircissements.
De nombreux articles se sont fait l’écho de la décision de la Cour de cassation du 15 mars 2012, selon laquelle le versement à un Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du forfait de soins excluait que les Caisses primaires d’Assurance maladie puissent rembourser, en sus de ce forfait, les soins prodigués par les praticiens libéraux intervenant à la demande des personnes hébergées. Ipso facto, beaucoup en ont déduit que les infirmières libérales ne pouvaient plus intervenir en Ehpad, sauf si le patient acceptait que ses soins ne soient pas pris en charge !
Il s’agit d’une conclusion un peu hâtive : non seulement les infirmières libérales peuvent dispenser des soins dans les Ehpad, mais l’avenant n°4 à la convention nationale des infirmières, signé le 19 décembre 2013, dispose que l’assiette de prise en charge d’une partie des cotisations sociales par l’Assurance maladie comprenne désormais tous les revenus tirés de l’activité non salariée des praticiennes.
Le 26 octobre 2006, Mme L. assigne devant le tribunal de grande instance de Strasbourg (Bas-Rhin) un Ehpad dans lequel elle intervenait régulièrement, afin d’obtenir des dommages et intérêts pour perte de clientèle. Elle lui reproche d’avoir indiqué aux résidants que, à la suite de la signature d’une convention tripartite (entre l’Ehpad, le conseil général et l’Agence régionale de santé) et de l’embauche d’infirmières salariées, les interventions des infirmières libérales seraient à la charge du patient. Selon elle, cette information serait à l’origine de la désaffection de ses patients. Le 10 novembre 2008, le tribunal de grande instance déboute Mme L. de sa demande. Cette dernière fait appel.
La cour d’appel de Colmar (Haut-Rhin), le 15 octobre 2010, infirme le jugement du tribunal de grande instance, et fait partiellement droit à la demande de Mme L. en lui allouant des dommages et intérêts d’un montant de 13 000 euros. Les juges considèrent en effet que l’Ehpad a commis une faute à l’origine du préjudice de Mme L., l’information sur l’absence de remboursement de l’intervention d’une infirmière libérale dans son établissement n’étant aucunement induite par la réforme et par la convention tripartite. L’Ehpad se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation, le 15 mars 2012, casse la décision de la cour d’appel pour avoir violé les dispositions applicables « qui excluaient la prise en charge par les caisses primaires d’Assurance maladie des soins pratiqués par les praticiens libéraux intervenant à la demande des personnes hébergées ».
L’affaire ne s’arrête pourtant pas là puisqu’elle a été renvoyée devant la cour d’appel de Metz (Moselle) : dans son arrêt du 17 décembre 2013, la cour fait partiellement droit à la demande de Mme L. En effet, les juges d’appel ont souligné que l’Ehpad avait opté, dans le cadre de la convention tripartite et conformément à l’article R314-167 du Code de l’action sociale et des familles, pour le forfait journalier partiel, comprenant notamment la rémunération des infirmières libérales. Ce choix permettait donc la coexistence de soins prodigués par les infirmières salariées avec ceux d’une infirmière libérale rémunérée directement par la maison de retraite. La cour a, dès lors, estimé qu’en laissant croire aux pensionnaires que les soins dispensés par une infirmière libérale ne seraient plus pris en charge, l’Ehpad avait commis une faute délictuelle, causant à Mme L. un préjudice matériel et moral, indemnisable à hauteur de 15 000 euros.
Si une infirmière libérale peut intervenir sans condition spécifique dans les maisons de retraite qui n’ont pas signé de convention tripartite, les professionnelles demeurant alors rémunérées à l’acte et les soins étant remboursés au patient par l’Assurance maladie, il en est différemment dans les établissements ayant signé une telle convention.
Dans ce cas, l’infirmière, pour pouvoir dispenser des soins dans un Ehpad, doit signer avec ce dernier un contrat fixant les conditions et les modalités de son intervention, conformément au décret n° 2010-1731 du 30 décembre 2010 relatif à l’intervention des professionnels de santé exerçant à titre libéral dans les Ehpad. Un arrêté en date du 30 décembre 2010 a fixé les modèles des contrats types signés avec les médecins et les masseurs-kinésithérapeutes. Si rien n’a été spécifiquement prévu pour les infirmières libérales, la pratique démontre que les établissements se sont inspirés de ces dispositions pour la conclusion des contrats avec les infirmières libérales. Dans ce cadre, le paiement des soins est acquitté directement par l’Ehpad, sauf exception (lire l’encadré).
Les infirmières libérales peuvent facturer leurs interventions aux Ehpad sur des bases directement négociées avec les établissements. Cependant, jusqu’à la signature de l’avenant n° 4 à la convention nationale des infirmières, l’Assurance maladie refusait de considérer cet exercice comme faisant partie intégrante d’une activité libérale conventionnée et ne participait donc pas aux cotisations d’Assurance maladie payées par les infirmières. Une position aux conséquences financières importantes, puisque les praticiennes devaient acquitter plus de 9 % de cotisations sociales sur ces actes, au lieu de 0,11 %.
La signature de l’avenant n° 4, le 19 décembre 2013, change la donne (lire aussi notre article “Moins d’Urssaf à payer… dès 2013” dans notre numéro 300 de février). En effet, à compter des revenus perçus au titre de l’année 2013, la participation des caisses est étendue aux revenus tirés de leur activité non salariée dans des structures dont le financement inclut la rémunération des infirmières. C’est une façon de valoriser l’exercice des professionnelles dans les établissements de soins médicaux et médico-sociaux (hospitalisation à domicile, services de soins infirmiers à domicile, Ehpad), qui représente une part non négligeable de leur activité. Cependant, cette participation est conditionnée à l’absence de dépassement aux tarifs fixés par la convention, attestée par la production de documents fixant les règles de rémunération entre les infirmières et les établissements de soins. Toutefois, « ces règles de rémunération peuvent comprendre des modes de rémunération […] qui peuvent contenir une rémunération adaptée pour tenir compte de la situation spécifique de certains patients ».
Lorsque le patient n’est pas autonome, la dialyse péritonéale nécessite au moins trois fois trente minutes par jour de soins infirmiers, sept jours sur sept. Elle implique donc des moyens humains importants en personnel formé. L’imputation sur le forfait de soins dun Ehpad des frais d’intervention d’un infirmier pour les actes liés à la dialyse péritonéale était un obstacle à l’orientation des résidants vers cette modalité d’épuration extrarénale, de même qu’à l’admission en Ehpad de patients présentant une insuffisance rénale terminale traitée par cette modalité d’épuration extrarénale. La dialyse péritonéale a donc été exclue du forfait de soins réalisés par une infirmière libérale.