L'infirmière Libérale Magazine n° 305 du 01/07/2014

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

SANDRA MIGNOT  

DOM-COM → Un rapport dresse un inquiétant tableau sanitaire. En toile de fond, notamment, un mauvais fonctionnement de la régulation démographique de professionnels de santé.

« Je suis surprise par ce taux de mortalité infantile qui se dégrade, s’inquiète Pierrette Meury, infirmière libérale au Moule (Guadeloupe) et présidente du Syndicat national des infirmiers et infirmières libéraux (Sniil) dans le département. Mais peut-être faut-il aussi incriminer le développement de la précarité ? » Car les chiffres sont là.

Manque d’actions périnatales

Dans un rapport consacré à la santé dans les cinq départements et six collectivités d’outre-mer, la Cour des comptes dresse un tableau inquiétant*. À titre d’exemple, entre 2002 et 2012, le taux de mortalité infantile a progressé de 7,8 à 9,9 décès pour 1 000 naissances en Guadeloupe, de 6,6 à 8 en Martinique et de 5,7 à 8,5 à La Réunion. Dans le même temps, il se stabilisait à 3,3 ‰ en métropole… Le défaut d’actions périnatales (consultations ou césariennes trop tardives, faiblesse des moyens diagnostiques et de surveillance, manque de pédiatres, etc.) expliquerait en grande partie la situation.

Ces territoires d’outre-mer sont certes soumis à des spécificités épidémiologiques : maladies infectieuses transmissibles (paludisme, dengue, chikungunya, zika…), maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle, obésité…) et maladies cardiovasculaires plus développées (ces dernières représentent ainsi la première cause de mortalité en Guadeloupe).

Mais le rapport de près de 300 pages pointe aussi l’hospitalocentrisme exacerbé, l’absence de coopération interprofessionnelle et de coordination, le pilotage politique national défaillant, les budgets insuffisants et inadaptés. Le mauvais fonctionnement de la régulation démographique professionnelle est aussi souligné : « En Guadeloupe, le nombre d’infirmiers libéraux a été multiplié par deux en six ans, note Pierrette Meury. Certaines communes sont surdotées, et parfois davantage que ne le révèlent les données officielles. Par exemple, Marie-Galante a perdu en population mais gagné en infirmières, pourtant, la zone reste classée en sous-dotation et bénéficie d’aides à l’installation. Localement, il y a parfois des relations pas très confraternelles entre Idels, et des infirmiers qui peinent à payer leurs charges. »

À La Réunion, la problématique semble en voie de résorption : de quatre zones surdotées, l’île est passée à deux. « Mais l’absence d’investissement dans la coordination et la prévention, c’est du quotidien pour nous », remarque Alain Duval, président du Sniil de La Réunion et Idel à La Montagne. Même si cette île de l’océan Indien ne connaît pas la situation la plus délicate, son indice de développement humain s’établit à 0,750 contre 0,883 en métropole ou 0,822 en Guadeloupe.

Échanges délicats avec les médecins

« Nous avons un maillage de professionnels libéraux très important mais ne sommes jamais associés aux politiques, regrette Alain Duval. Par exemple, le programme Sophia a été implanté il y a deux ou trois ans. On nous a mis au courant et demandé d’en parler à nos patients, c’est tout, sans tenir compte de nos compétences et de notre rôle social de proximité. » Les difficultés sur l’échange interprofessionnel avec les médecins sont également soulignées. « Il y a cette crainte qu’on leur pique des patients ou qu’on critique leur travail, se lamente Alain Duval… Le résultat ? Des patients qui nous appellent le samedi après-midi en sortie d’hospitalisation avec une simple ordonnance et on doit prendre la suite en premiers recours… »

En Guadeloupe, Pierrette Meury constate une situation comparable : « Au cas par cas, cela peut fonctionner. J’ai réussi à mettre en œuvre un échange professionnel riche avec deux médecins généralistes. Donc, il y a des volontés mais pas de généralisation. » Les Idels ne perdent pourtant pas espoir. « Depuis l’arrivée de l’ARS, nous sommes présents dans un certain nombre de commissions et nous voyons qu’il existe de vrais projets. » Pierrette Meury vient elle-même d’achever le travail sur un protocole de prise en charge du chikungunya, co-élaboré avec un généraliste. « C’est plus de quinze heures de travail, en respectant la procédure HAS, alors ce n’est malheureusement pas à la portée de tout le monde, mais nous espérons que cela pourra se développer aussi dans les autres thématiques de soin. »

* À lire via le raccourci bit.ly/1pdJ1d5