L'infirmière Libérale Magazine n° 306 du 01/09/2014

 

Laurent Milstayn, orthoptiste à Marly-le-Roi (Yvelines), président du Syndicat national autonome des orthoptistes

La vie des autres

LAURE MARTIN  

Laurent Milstayn entend développer les compétences des orthoptistes. Une possibilité que les ophtalmologues ne devraient pas voir d’un mauvais œil…

« Je me suis lancé dans les études d’orthoptie après un échec au concours de médecine car je souhaitais, malgré tout, travailler dans le domaine médical ou paramédical », se souvient Laurent Milstayn. Il s’inscrit alors en orthoptie, « sans trop savoir en quoi cela consistait mis à part la rééducation des yeux ». Mais déjà, il veut s’installer en libéral, « car j’avais dans l’idée que c’était la meilleure façon de maîtriser son emploi du temps ». Après ses études, il rachète en 1986 un cabinet à Plaisir (Yvelines), puis en crée un deuxième en 1987 à Marly-le-Roi. « J’ai créé le deuxième cabinet dans ma ville de naissance, où il n’y avait pas d’orthoptiste. Comme le premier fonctionnait bien, je n’avais pas besoin du deuxième pour vivre. Et heureusement, car cela m’a pris un peu de temps avant d’avoir des patients. » En fonction des jours de la semaine, il travaille dans l’un ou l’autre de ses cabinets, jusqu’à ce qu’il revende en 2011 celui de Plaisir en raison de la multiplication de ses activités.

Une aide aux personnes âgées

Parallèlement à son activité libérale, il débute des vacations à l’hôpital de Plaisir. « L’hôpital de Plaisir a souhaité lancer en 2004 une coordination gérontologique, raconte l’orthoptiste. J’ai donc participé à une réunion organisée par l’hôpital, au cours de laquelle je me suis rendu compte que l’établissement ne connaissait pas l’apport que pouvaient offrir les orthoptistes aux personnes âgées, en explorant le côté visuel et oculaire qui peut être source de chutes. » Il se voit alors confier la vice-présidence de la coordination gérontologique et effectue quatre vacations par semaine à l’hôpital. « Ce qui m’intéressait, c’était la liaison ville-hôpital, le travail coordonné et en équipe que je n’avais jamais expérimenté, puisque j’avais toujours travaillé seul en libéral », indique-t-il. À son grand regret, cette collaboration a récemment pris fin pour des raisons économiques. Néanmoins, Laurent Milstayn sait déjà vers quelle activité se tourner. En effet, depuis le mois de mars, les orthoptistes libéraux sont autorisés à faire le dépistage de la rétinopathie diabétique par le biais de clichés de fond d’œil, un acte jusqu’à présent effectué surtout en salariat car sans cotation. « L’Assurance maladie a fait le constat que les diabétiques étaient mal suivis dans leur risque de développer notamment des pathologies de l’œil. Normalement, les personnes diabétiques doivent avoir un fond d’œil tous les deux ans, car il existe des pathologies sourdes pendant dix à quinze ans, qui, une fois révélées, peuvent générer une cécité. Mais le dépistage précoce peut permettre de réduire ce risque de développer des pathologies graves. »

Désormais, les orthoptistes libéraux peuvent recevoir les patients diabétiques orientés par le médecin traitant. Ce parcours constitue le premier acte de télémédecine intégré à la nomenclature, puisque, une fois les clichés du fond d’œil effectués, l’orthoptiste a la possibilité de les télétransmettre à un ophtalmologue lecteur. Ce dernier envoie ensuite un compte rendu de son interprétation au médecin traitant et au patient. « Seuls sont concernés les patients sans pathologie [oculaire] déclarée. Il s’agit d’une expertise pour détecter les premières traces. » Les ophtalmologues ne se sont pas opposés à l’attribution de cette nouvelle compétence aux orthoptistes, « car, de toute façon, ils ne sont pas suffisamment nombreux pour gérer toutes les urgences. Et puis cet acte leur ramène quand même des patients, car si les résultats font état d’un problème, le médecin leur envoie le patient en consultation. » Et d’ajouter : « En tant que président du Syndicat national autonome des orthoptistes (Snao), j’ai passé un accord verbal avec tous les syndicats horizontaux* de médecins pour les informer de cette nouvelle collaboration possible. »

Éviter des attentes

Laurent Milstayn a débuté son engagement syndical pendant ses études. « Je me suis investi dans le syndicalisme, au Snao, et, progressivement, on m’a confié des missions de plus en plus importantes. » Quand l’ancienne présidente est partie, il s’est présenté et a été élu, en 2009. Avec le Snao, il défend l’intérêt de tous les orthoptistes, indépendamment de leur mode d’exercice, et plaide pour une évolution de leurs compétences. « On voudrait pouvoir prendre en charge la physiologie des patients qui n’ont pas de pathologies déclarées, défend Laurent Milstayn. Tant que les gens vont bien et qu’ils n’ont besoin de consulter que pour un contrôle, ils ne nécessitent pas l’expertise de l’ophtalmologue. Nous pouvons les prendre en charge. Cela éviterait de les faire attendre six à douze mois pour ensuite leur dire de revenir dans deux ans ! » Les ophtalmologues pourraient alors se concentrer sur les patients “à problèmes” et établir des diagnostics de pathologies. Mais « en aucun cas nous ne voulons être vus en premier recours car nous n’avons pas fait médecine », rapporte le président du Snao. Pour mettre cette organisation en place, il faudrait que le patient ait vu au moins une première fois l’ophtalmologue.

* Qui défendent la profession médicale quelle que soit la spécialité.

Il dit de vous !

« J’ai eu l’occasion de côtoyer les Idels, de me rendre compte du travail qu’elles effectuaient, et aussi de l’évolution de leur métier. J’ai constaté qu’avant, elles avaient une grosse permanence à leur cabinet. Petit à petit, la durée de cette permanence a diminué. Elles ont beaucoup moins de consultations ouvertes. Leur technicité s’est aussi beaucoup accrue par rapport à il y a vingt-cinq ans. Il s’agit d’une profession très sociale, et les infirmières ont des relations avec les patients que nous n’avons pas, sûrement parce qu’elles vont à domicile, ce qui permet d’échanger plus facilement sur la vie du patient. Nous, nous rencontrons les patients au cabinet, dans un lieu neutre, nous n’avons pas accès à leur intimité. Les infirmières libérales remplissent un rôle social très important. »

PROFESSION

Un manque de reconnaissance

« Étude et traitement des défauts de la vision binoculaire résultant des muscles optiques ou d’habitudes visuelles incorrectes », voilà, selon la définition du MesH traduite par l’Inserm, le rôle des 3 300 orthoptistes, dont 2 200 libéraux… et 89 % de femmes. Ils sont formés en trois ans, dans quinze centres situés dans les centres hospitaliers universitaires. « On a toujours fait partie du système universitaire et donc de la réforme LMD », rapporte Laurent Milstayn. Néanmoins, la profession demeure peu attractive, et manque d’étudiants. « Ce manque de reconnaissance est historique. Pendant longtemps, nous étions “cachés” car nous exercions dans les cabinets des ophtalmologues. Ce n’est que depuis la fin des années 1960 que nous pouvons exercer en libéral. » Et d’ajouter : « Le programme d’étude n’a pas été renouvelé depuis 1966 et nous sommes aussi la profession paramédicale la moins bien rémunérée avec un chiffre d’affaires moyen de 47 000 euros par an. »