L'infirmière Libérale Magazine n° 306 du 01/09/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous vous rendez pour une première aide à la toilette chez Mme D. qui vit avec son mari. Elle est désorientée par la maladie d’Alzheimer. Elle a tendance à croire qu’elle a déjà fait sa toilette quand ce n’est pas le cas. Quand elle fait elle-même sa toilette, les gestes sont de plus en plus incohérents. Son mari lui explique la raison de votre visite, mais elle s’oppose à votre aide en expliquant qu’elle peut très bien se débrouiller toute seule.

Vous lui expliquez que vous n’êtes là que pour l’aider, qu’il ne s’agit pas de faire entièrement sa toilette à sa place. Entamez alors une conversation banale ou évoquez les sujets dont Mme D. parle avec plaisir. Ce qui vous permet d’engager une relation apaisée avec elle. Vous en restez là et calez l’horaire pour votre passage du lendemain. Veillez à laisser un souvenir émotionnel positif de ce premier contact.

La toilette est souvent considérée comme l’une des activités les plus difficiles à gérer avec les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. À cause des troubles cognitifs, l’aide d’une autre personne est parfois ressentie comme une intrusion dans l’intimité du patient, ce qui peut engendrer des comportements d’opposition. La prise de conscience de la perte d’indépendance et d’autonomie pour un acte aussi basique que la toilette peut aussi rendre la personne malade réfractaire à ce que quelqu’un s’occupe d’elle. La toilette constitue pourtant l’un des moments privilégiés pour l’utilisation des capacités, la réhabilitation du mouvement et de la verticalisation, et pour la conscience du corps. Les règles sont les mêmes que pour toutes les aides à la toilette : ne pas faire un geste à la place du patient capable de le faire lui-même et ne pas toucher le patient sans l’en informer au préalable.

RECUEILLIR L’ACCORD DU PATIENT

Les actes de soin sont rarement agréables pour le patient, d’autant qu’en fonction de l’atteinte cognitive, il lui est parfois impossible de concevoir le soin comme un acte nécessaire pour aller mieux par la suite. Pour améliorer la situation, « il faut obtenir l’accord du patient », insiste Rosette Marescotti, co-auteur avec Yves Gineste de la méthodologie de soin Gineste-Marescotti (lire plus loin) et directrice du Centre de communication et d’études corporelles (CEC-France). « Rechercher l’acceptation du soin et tenter de faire de l’acte de soin un moment de plaisir et d’échange avec le patient sont des objectifs de la méthodologie fondée sur le lien, sur les relations entre les personnes malades et les soignants ou les aidants. On est tout à fait dans le champ d’action de l’infirmière libérale », ajoute Rosette Marescotti. Lorsque la communication verbale est impossible ou difficilement compréhensible, l’accord ou le refus du patient peut s’exprimer par des attitudes. Une crispation, un visage figé ou les draps remontés sur tout le corps à l’arrivée de l’infirmière doivent être considérés comme un refus de soin. « La question qui se pose en institution comme à domicile est de savoir que faire quand, malgré une approche bienveillante, la personne s’agite et s’oppose. D’où l’intérêt des outils proposés dans notre méthode, notamment la “capture émotionnelle” pour établir le contact, et la “stratégie de diversion” pour accomplir le soin si nécessaire. »

CAPTER L’ATTENTION

La méthodologie de soin Gineste-Marescotti s’appuie sur les trois piliers de la communication que sont la parole, le regard et le toucher pour provoquer une “capture émotionnelle” qui pallie l’absence d’un échange verbal suffisant. La mise en œuvre de ces trois piliers rassure le patient qui entre en relation avec le soignant. Il s’agit pour l’infirmière de :

→ capter le regard de la personne, c’est la première prise de contact. Le langage doit intervenir rapidement. En se positionnant face au visage du patient, le soignant montre l’attention qu’il porte à la relation. Un regard oblique vers le haut est lu comme un signe de soumission qui assure au soignant de ne pas être perçu comme un agresseur. Un regard plus ou moins attentif, voire pas de regard du tout, sera perçu négativement par la personne qui a l’impression de devenir un objet de soin ;

→ utiliser une parole douce et bienveillante pour ménager le ressenti émotif du patient. Se présenter et demander par exemple si la personne a passé une bonne nuit. Employer des mots pris dans un registre positif – « bonjour », « cela me fait plaisir de vous voir » – et éviter les mots connotés négativement comme le fait de nommer le soin à venir si c’est habituellement un soin difficile – « je viens pour votre toilette ». Parler calmement avec des phrases courtes et en donnant une seule consigne par phrase aide à rendre le moment de la toilette aussi agréable que possible pour le patient ;

→ toucher progressivement le patient en commençant par des zones socialement neutres comme les épaules ou les avant-bras, ou par les jambes ou le dos avec des gestes larges, lents et doux, ressentis comme agréables. Le toucher permet de rentrer dans l’espace intime de la personne. Cette mise en relation se conclut par les zones plus sensibles, notamment le visage et les mains, et en terminant par la toilette intime. Commencer une toilette par le visage et les mains comme l’apprennent souvent les soignants peut engendrer une réaction agressive du malade. Pour une toilette au lit, positionner le patient sur le côté est préférable à une position sur le dos qui procure un sentiment de vulnérabilité et engendre plus souvent des réactions d’opposition.

MAINTENIR LA RELATION

Selon la méthodologie de soin Gineste-Marescotti, le soignant veille à maintenir au moins deux piliers de communication en permanence, soit parler et toucher, soit parler et regarder. Lorsque le soignant sort du champ de vision du patient, il peut maintenir un contact apaisant en laissant par exemple sa main posée sur l’épaule du patient. De la même manière, le toucher doit être accompagné d’une parole douce et bienveillante sans laquelle la personne ne se sent pas reconnue. Le soignant qui explique le geste qu’il va faire ou qui décrit ce qu’il est en train de faire peut maintenir une communication verbale, alors qu’une conversation d’ordre général peut s’épuiser naturellement face à un patient qui ne répond pas. En restant attentif aux émotions, le soignant pourra remarquer des signes positifs tel une baisse du tonus musculaire, parfois des sourires ou des mots qui n’était plus prononcés depuis des années par des patients mutiques. Ou au contraire des signes de désagréments dont il convient de chercher la cause. « Tout comportement qui nous paraît pathologique est un comportement qui a du sens », souligne Rosette Marescotti. Ainsi, il faut parfois penser à masquer ou retirer un miroir dans lequel la personne qui ne se reconnaît pas voit un intrus entré dans la salle de bain.

INSTAURER UNE ROUTINE

Procéder à la toilette et à l’habillement selon une routine bien établie donne au patient des repères qui le rassurent. En revanche, le soignant doit conserver une certaine souplesse car le ressenti du patient peut varier d’un jour à l’autre pour le même soin. Les changements fréquents de personnels soignants peuvent perturber les patients. Il est préférable d’être à deux pour les soins complexes. L’infirmière libérale peut faire coïncider sa visite avec l’aide à domicile ou se faire aider par la famille. Ce qui permet par exemple d’ouvrir les bras et de faire la toilette en même temps, sans trop forcer pour ne pas entrer en lutte avec le patient. « On distingue généralement trois types de toucher : le toucher agréable, désagréable, et le toucher utile, c’est-à-dire l’acte de soin, explique Rosette Marescotti. Lorsque les troubles cognitifs empêchent de comprendre l’intérêt du soin, il ne reste que deux types de toucher perçus par la mémoire émotionnelle : le toucher agréable ou désagréable. L’acte de soin est classé dans le désagréable et le soignant doit mettre en œuvre ses connaissances pour le faire glisser dans l’agréable. » Il est très important de préciser dans les transmissions la manière dont les soins sont réalisés et ce qui convient ou ne convient pas au patient. Il est préférable que les différents soignants présentent un soin aussi régulier que possible. Ces informations seront également très utiles aux aidants qui assument eux-mêmes une large part de la prise en soin du patient.

VALORISER LE SOIN

La dernière phase de la méthodologie enseignée par les Instituts de formation Gineste-Marescotti* est dite de “consolidation émotionnelle”. Le but est de quitter le patient sur un sentiment positif qui peut être retenu par la mémoire émotionnelle, mémoire des émotions et de l’ambiance affective qui persiste tant que dure la vie, et permettre un abord du soin suivant plus simple, mieux accepté par le patient. Il s’agit de valoriser le patient, la rencontre et le soin par des propos positifs – « vous avez été très agréable », « la douche vous a fait du bien », etc. « La prise de rendez-vous pour le soin suivant fonctionne très bien même si c’est un peu mystérieux au vu des troubles mnésiques du patient », constate Rosette Marescotti.

* Les Instituts de formation Gineste-Marescotti (IGM) sont des organismes de formation agréés par Yves Gineste et Rosette Marescotti (CEC Formation) répartis par zone géographique sur toute la France. Pour connaître l’IGM de votre secteur, consultez la carte du réseau IGM sur www.igm-formation.net.

Point de vue

« Travailler au bon niveau de soin »

Rosette Marescotti, co-auteur avec Yves Gineste de la méthodologie de soin Gineste-Marescotti et directrice du Centre de communication et d’études corporelles

« Le soignant doit veiller à ce que l’acte de soin contribue à améliorer la santé du patient et, au moins, à ne pas l’aggraver. Le moment de la toilette est notamment l’occasion d’aider le patient à se déplacer. Nous pensons aujourd’hui que faire vingt minutes de verticalisation par jour, le temps d’une toilette, évite la grabatérisation des personnes âgées. Nombre de personnes considérées comme grabataires par les équipes soignantes sont encore capables de marcher. Ces patients sont donc des grabataires iatrogènes, leur grabatérisation est due au type d’accompagnement proposé. Les soignants sont plus formés à la toilette au lit pour laquelle il existe des protocoles qu’à la toilette debout. Ils doivent connaître les techniques d’aide à la verticalisation. Une toilette évaluative et une réévaluation régulière des capacités du patient permettent de travailler au bon niveau de soin. Il est possible de faire une toilette “debout-assis”, car quarante secondes, c’est le temps d’un geste. Il faut savoir qu’en maintenant une toilette “debout-assis”, le patient a de grandes chances de pouvoir faire l’intégralité de sa toilette debout au bout d’un mois. »