L'infirmière Libérale Magazine n° 306 du 01/09/2014

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

MATHIEU HAUTEMULLE*   LAURE MARTIN**  

ANALYSE > L’avant-projet loi de santé présenté ce mois-ci entend modifier les relations conventionnelles entre Assurance maladie et professions libérales de santé. Les mesures proposées ne sont pas en contradiction avec le sévère rapport de la Cour des comptes sorti cet été…

L es conventions entre Union des caisses d’Assurance maladie (Uncam) et professions libérales de santé n’ont pas permis de réguler la dépense d’Assurance maladie liée aux soins de ville, le reste à charge des patients, ni de faire gagner en « efficience » l’organisation des soins. Constat sévère de la Cour des comptes (CC) dans un rapport remis au Sénat et rendu public mi-juillet(1).

Ces conventions, qui portent en particulier sur la rémunération et la répartition géographique des professions de santé, sont régulièrement négociées et précisées, celle des Idels comprenant quatre avenants. Aujourd’hui, ces “contrats” sont surtout signés profession par profession, pas à pas, thème par thème.

« Rythmes différents »

Cette méthode individualisée a ses avantages. La CC loue « une maturation des problématiques à des rythmes différents selon les professions ». Ce procédé a aussi des inconvénients : beaucoup de temps et d’énergie pour, au total, une faible lisibilité des mesures. Y compris pour les professionnels de santé.

Sur un plan plus collectif, les négociations interprofessionnelles peinent à émerger, malgré l’existence de deux dispositifs : l’Accord cadre interprofessionel (Acip), destiné à fixer des dispositions communes et déclinables à toutes les professions, et l’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI), censé être plus souple en n’intégrant que les professions concernées (par exemple, les médecins et les Idels).

Dernier exemple de ces difficultés à négocier à plusieurs professions : la dizaine de réunions sur la généralisation de nouveaux modes de rémunération dans les équipes de soins de proximité. Impulsés par la ministre de la Santé, ces débats ont abouti (pour le moment) à un « point d’étape » (lire page ci-contre). Ils se sont ouverts « dans des conditions difficiles, faute que les différentes conventions par profession se soient d’emblée inscrites dans une perspective d’ensemble », note la CC. À l’heure actuelle, le paysage des expérimentations de nouveaux modes de rémunération en équipe est complexe car morcelé, voire déchiré. On en recense dans 147 maisons, pôles ou centres de santé, auxquels s’ajoutent 40 protocoles de coopération entre professionnels (dans le cadre de l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires), ainsi que les programmes Paerpa (personnes âgées), Sophia (maladies chroniques), Prado (retour à domicile)…

« Tensions entre professions »

Les négociations en cours « impliquent un changement culturel considérable », note la CC, qui évoque jusque-là « des tensions entre professions qui ne rendent pas aisée une approche interprofessionnelle apaisée ». Exemple : « La mise en place en 2013 d’une rémunération sur objectifs des pharmaciens en contrepartie de l’accompagnement des patients chroniques sous anticoagulants oraux a été mal acceptée des médecins. » Dans la même veine, la Cour juge « très pauvre » le premier Acip, conclu en 2012. Quant à la possibilité d’accords « à géométrie variable » offerte par les ACI, elle « n’a pas été exploitée à ce jour », se limitant à des « éléments d’annonce ». Exemples : de nouveaux rôles infirmiers « encore très flous » malgré le souhait de les développer, de façon pluriprofessionnelle, exprimé dans la convention des Idels de 2007 ; la démarche de soins infirmiers « pas encore remplacée » « malgré des stipulations en ce sens dans la convention de 2007 ».

Alors que se profile une nouvelle loi de santé, les Sages prônent donc « des négociations moins nombreuses, moins éclatées et adaptées aux spécificités régionales », avec l’approche conventionnelle nationale pour « armature commune » aux différentes professions. Ils suggèrent aussi d’affirmer le rôle de l’État dans les politiques conventionnelles. Ou encore d’étendre le conventionnement sélectif à toutes les professions dans les zones surdotées.

L’avant-projet de loi, attendu ce mois-ci au conseil des ministres, évoque d’ailleurs de possibles adaptations régionales des conventions nationales, et permet aux ministres de la Santé et de la Sécurité sociale de « définir conjointement des principes cadres » avant les discussions entre Uncam et professionnels.

« Ce rapport est choquant », critique pour sa part Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers. Il dénonce entre autres « une volonté de reprise en main par l’État. Celui-ci ne connaît pas les libéraux, on est considéré comme un secteur diffus ». À titre d’exemple, « si demain les Agences régionales de santé décident de la régulation démographique, on n’aura plus notre mot à dire. Or, même s’il est améliorable, ce système fonctionne bien. Les conventions nous permettent de traiter directement avec l’Assurance maladie ». De son côté, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux estime que l’analyse de la Cour des comptes « semble plutôt équilibrée, bien qu’encore très médico-centrée »(2).

(1) À lire sur bit.ly/1kRvMN9

(2) Cf. bit.ly/1oND05Z