L'infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous êtes contactée pour prendre en charge l’administration et la surveillance des traitements prescrits pour des troubles hépatiques à un jeune patient alcoolo-dépendant qui n’observe pas correctement les prescriptions qui lui sont faites en raison de son comportement addictif.

Vous intervenez dans le but d’accompagner le patient et d’assurer l’interface avec la structure qui le suit afin d’éviter toute rupture thérapeutique qui pourrait aggraver son état de santé.

ASSURER UNE PRÉSENCE BIENVEILLANTE

Avec la vitaminothérapie réalisée dans la continuité des cures de sevrage et l’administration des traitements de maintien de l’abstinence, cette situation clinique fait partie des interventions les plus fréquentes pour les infirmières à domicile dans le contexte de la maladie alcoolique. « En cas de suivi post-cure, explique Fabrice Pringuet, Idel à Lille, les patients sont souvent préoccupés par la rechute et on évoque les situations qui pourraient éventuellement les faire replonger dans l’alcool et les stratégies à mettre en œuvre pour éviter que cela se produise. Il n’est pas rare qu’après une période de sobriété, on les retrouve alcoolisés et on essaie de comprendre, par le dialogue, ce qui a provoqué cette rechute. » Le plus souvent, c’est un événement de vie, un stress occasionné par un rendez-vous particulier, juridique ou médical par exemple. Dans ce cas, il faut faire preuve de compréhension, d’empathie et d’écoute pour tenter de réassurer le patient dans son parcours de changement. Il faut surtout positiver et ne pas présenter ce dérapage comme un “échec” mais comme un faux pas sur le chemin de l’abstinence ou de la consommation contrôlée (en fonction de l’objectif du patient). Pour ces patients souvent fragilisés par leur situation sociale, la présence des Idels plusieurs fois par jour est indispensable pour maintenir la motivation, discuter, les encourager à prendre leur traitement et les stimuler dans leurs activités.

INFORMER

Même si le patient semble ne pas s’y intéresser, il est important de ne pas sous-estimer la portée des informations verbales et écrites que les soignants peuvent apporter(1). La remise de supports écrits et de documents d’informations sur l’alcool, ses effets sur la santé, les repères de consommation, les différentes prises en charge, les aides-mémoire pour rompre avec les rituels de consommation, les idées reçues sur l’alcool, les associations néphalistes – associations d’anciens buveurs qui prônent « l’abstinence totale de l’alcool sous toutes ses formes » (lire la partie Savoir plus p. 48) – sont autant d’informations susceptibles d’alimenter leur réflexion sur leur propre consommation, de leur faire découvrir les différentes options pour engager le processus de changement et de motiver ceux qui hésitent à passer à l’action. Parmi les nombreuses ressources documentaires, le Guide pratique pour faire le point sur votre consommation d’alcool(2).

SOUTENIR LA FAMILLE

« L’alcoolopathie est aussi une familiopathie. »(3) Elle bouleverse la vie familiale sur les plans matériel, affectif, relationnel. Elle suit un processus qui passe généralement de la bienveillance (on essaie de comprendre) au rejet face à un prétendu “manque de volonté” du parent alcoolique. Le dialogue devient impossible jusqu’au jour où la situation n’est plus supportable et la famille implose. Les Idels ne sont pas armées pour gérer de telles situations. Elles peuvent écouter et réconforter, expliquer la maladie, permettre l’extériorisation de la colère, de la souffrance et du désespoir, reconnaître la légitimité des réactions que le problème suscite, soutenir moralement en valorisant le courage et la ténacité déployés pour endurer la situation et tenter de la résoudre, mais elles doivent savoir passer la main et proposer à l’entourage de se rapprocher des structures spécialisées : Csapa, Écoute Alcool (0 811 91 30 30), association spécialisée dans l’accueil des familles comme Al Anon (al-anon.fr). Ensuite, si la personne engage un processus de stabilisation, voire de sevrage, les traitements font une place de plus en plus importante aux familles en proposant, dans le cadre de l’accompagnement psychosocial incontournable, des thérapies conjugales et familiales.

NE PAS RESTER SEULE

Quel que soit le contexte dans lequel elle aborde les malades alcooliques en ville, l’Idel ne peut pas limiter sa prise en charge à sa seule relation au patient. « Il est indispensable de travailler en réseau et de se former pour approfondir les spécificités de cette prise en charge, insiste Fabrice Pringuet. Ce sont les deux conditions principales pour parvenir à faire notre travail et réussir, au-delà de tout ce que nous pouvons proposer aux patients, leur conseiller ou leur dire, à accepter leur choix et à aller à leur rythme sans nous perdre nous-mêmes. » Le risque, dans ce contexte pour le soignant, c’est soit d’être dans le jugement, soit d’être dans une trop grande empathie et de vivre comme un échec personnel les “dérapages”, voire l’incapacité des patients à entreprendre une démarche de changement. Se former et avoir la possibilité de partager avec d’autres intervenants du milieu médical ou associatif permet de recentrer la prise en charge sur le désir du patient, de partager des expériences, de ne pas s’enfermer dans ses propres schémas thérapeutiques (sevrage, abstinence à tout prix…), et de lui accorder le temps dont il a besoin pour faire son chemin vers une vie où l’alcool n’occupe plus la première place, voire vers une vie sans alcool.

(1) Modalités de l’accompagnement du sujet alcoolo-dépendant après un sevrage, Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé-Société française d’alcoologie 2001.

(2) Sur le site du Cespharm : bit.ly/1pN1Mn9

(3) Pour en finir avec l’alcoolisme, Philippe Batel, édition Inserm-La Découverte, 2006.

Les six étapes de Prochaska

Le modèle mis au point par Prochaska et DiClemente recense plusieurs étapes pour changer de comportement en cas de dépendance.

→ La pré-intention : la personne n’envisage pas de changer de comportement.

→ L’intention : temps où la personne envisage de changer de comportement et pèse le pour et le contre, les avantages et les obstacles.

→ La préparation : la personne a pris une décision et elle se prépare à changer.

→ L’action : la personne consulte dans le but de mettre en pratique le programme de changement.

→ Le maintien : la personne consolide à ce stade les nouvelles habitudes.

→ La liberté : la personne n’a plus l’intention de revenir à son comportement antérieur, mais une vigilance demeure vis-à-vis de la rechute.

Source : Haute Autorité de santé, octobre 2013 (sur son site : bit.ly/Z8fd63).

Remerciements

Sarah Coscas, praticien hospitalier, Nabila Labiad, médecin attaché, et Vaneissa Valeix, IDE, Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Pôle neurosciences de l’hôpital Paul-Brousse, Villejuif (AP-HP) ; Michel Hamon, professeur de neuropharmacologie à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris), vice-président du comité scientifique de l’Institut de recherches scientifiques sur les boissons ; Laurence Tisserand, infirmière en charge du sevrage ambulatoire, de l’aide au maintien de l’abstinence et du programme de gestion préventive des consommations au Csapa du CHRU de Lille ; Marie-Pierre Jumel, psychothérapeute ; Dr Anita Roosebeke, Institut Pasteur de Lille ; Fabrice Pringuet ainsi que Martine, Idels ; Brigitte, Pascale et Alexandre, membres des Alcooliques anonymes, pour leur contribution.

Point de vue

Mettre en place des stratégies de protection du patient

Dr Anita Roosebeke, responsable de la consultation de réduction contrôlée de la consommation d’alcool, Institut Pasteur de Lille (Nord)

« Élaborer le contrat thérapeutique avec le patient est une étape décisive du processus de gestion contrôlée. Il est adapté au contexte de chaque patient et conçu à partir des raisons pour lesquelles il n’aime pas boire et que lui-même a relevées. Nous cherchons des solutions pratiques pour qu’il puisse rompre avec ses habitudes, voire les rituels associés à la consommation d’alcool. Par exemple : informer son entourage proche pour qu’il n’incite pas à boire et serve de “garde-fou” dans des situations à risque ; préparer des réponses pour refuser de boire sans se sentir mal à l’aise (« je ne suis pas en forme », « je n’ai pas envie de boire de l’alcool », « je préfère une autre boisson ») ; arriver dans une soirée bien hydraté et fixer préalablement le nombre de verre d’alcool que l’on s’autorise ; déterminer un, voire des jours sans alcool dans la semaine pour rompre avec les habitudes quotidiennes ; prévoir de nouvelles activités pour remplacer le moment à risque “verre en rentrant du travail” ; limiter les stocks d’alcool et alterner avec des boissons non alcoolisées particulièrement appréciées ; prendre le temps de savourer le premier verre, boire à petites gorgées pour le faire durer et ne pas être resservi systématiquement lorsqu’on est à table ; poser le verre après chaque gorgée (lorsqu’on garde le verre à la main, on le vide plus vite) ; ne pas participer aux “tournées” ou bien prendre une boisson sans alcool ; éviter de boire sans rien faire d’autre. Ces stratégies de protection peuvent également servir aux Idels confrontées à des situations où le patient et/ou sa famille sont en demande d’aide. La tenue d’un journal de consommation peut être un moyen simple pour aider le patient à objectiver les progrès réalisés dans la réduction de sa consommation, en notant chaque jour le nombre de verres d’alcool standard consommés (préciser, le cas échéant, les circonstances et les émotions associées à chaque consommation). »