Le courant ne passe pas toujours très bien entre les infirmières libérales et les équipes hospitalières. Pourtant, dès qu’un peu de coordination se dessine, les barrières tombent. Au profit du patient.
Si les infirmières libérales et les équipes hospitalières parlent la même langue, celle de la santé du patient, il est cependant frappant de constater à quel point elles communiquent encore peu entre elles. Au point que les infirmières libérales ont parfois l’impression que les équipes hospitalières les ignorent et méconnaissent leur rôle à la sortie des patients.
« La prise en charge des premières vingt-quatre heures après une hospitalisation est souvent bancale, observe Stéphanie Bocquin, infirmière libérale à Saint-Julien-sur-Reyssouze (Ain). On travaille beaucoup à l’instinct. Ce qui nous manque le plus, ce sont les comptes rendus médicaux sur ce qui s’est passé à l’hôpital pour le patient, les pathologies à surveiller… » Les informations venant de l’hôpital sont rares, les patients ne savent pas forcément transmettre les éléments pertinents et les prescriptions ne parlent pas toutes d’elles-mêmes. Sur un plan purement technique, faire une prise de sang, un pansement, une injection ne pose pas de problème en soi. « Mais la prise en charge serait meilleure, souligne Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), si on avait plus d’informations » sur la pathologie, les raisons de l’hospitalisation, les actes effectués pendant l’hospitalisation ou les suites opératoires. Et d’insister : « Nous sommes les premiers professionnels de santé à intervenir après une hospitalisation. Comment faire comprendre aux autorités que nous avons aussi le droit – et le besoin – d’obtenir des informations ? »
Marie-Odile Guillon, infirmière libérale à Compiègne (Oise), constate tout de même que de plus en plus d’infirmières hospitalières, notamment en cancérologie, l’appellent pour l’informer de l’hospitalisation et de la sortie d’un patient. Un effet secondaire de l’expérimentation de coordination Isipad (Intervention soins infirmiers post-ambulatoire à domicile) (lire l’encadré p. 30) ?
Philip Derleder, infirmier libéral à Nice (Alpes-Maritime) et élu à l’Union régionale des professionnels de santé-infirmiers de la région Paca, reçoit aussi des informations « parfois assez complètes, parfois rudimentaires » sur l’hospitalisation de ses patients. Sinon, il appelle l’hôpital pour obtenir des précisions, mais c’est un « parcours du combattant. Cela demande beaucoup de temps : il faut avoir de la chance pour trouver quelqu’un qui connaît le patient ». Il déplore également certains libellés de prescriptions qui dénotent une méconnaissance des réalités de la prise en charge en ville. Par exemple quand il n’est pas précisé que les soins doivent être réalisés à domicile pour une personne âgée dépendante, ou « y compris le dimanche ». D’une manière générale, « il faudrait que les médecins acceptent de partager l’information avec les paramédicaux », ajoute Stéphanie Bocquin, qui aimerait aussi disposer d’outils communs avec l’hôpital.
Cependant, de nombreuses initiatives locales, certaines soutenues par les Agences régionales de santé (ARS), visent à combler le fossé entre l’hôpital et les infirmières libérales.
Le Groupement des professionnels de santé du pays beaunois (GPSPB)
Pour chaque patient éligible, le groupement fournit un classeur de soins coordonnés très complet. Lorsque le patient est hospitalisé, les équipes hospitalières disposent ainsi de toutes les informations sur ses problématiques de santé, les soins et examens réalisés, son traitement, les professionnels qui le suivent… Elles savent aussi que le patient est inclus dans le dispositif et informent le GPSPB de sa sortie afin qu’elle soit préparée, précise Bernadette Tribault, la coordinatrice du groupement, qui prend également des nouvelles et les transmet aux infirmières libérales. Elle les informe des soins qui seront à effectuer à sa sortie, veille à ce que les prescriptions soient bien rédigées… Dans l’autre sens, c’est elle qui cherche un lit et organise le transport vers l’hôpital d’un patient qui doit être transfusé, par exemple. En revanche, au retour de l’hôpital, les libérales ne trouvent pas de renseignements dans le classeur sur l’hospitalisation : le carnet de glycémie n’est pas rempli, et les résultats d’INR ne sont pas transmis, regrette Pedro Ferrera.
Dans l’Ain, le réseau VilhopAin
Le développement de la chirurgie ambulatoire donne aussi l’occasion aux uns et aux autres de développer leurs échanges. Le rapport que la Haute Autorité de santé (HAS) a mis en ligne cet été sur le sujet
Ici ou là, des équipes hospitalières rencontrent déjà médecins et infirmiers libéraux, échangent sur les besoins des uns (prise en charge post-opératoire) et des autres (informations sur la chirurgie et l’anesthésie, points à surveiller, prise en charge de la douleur). Ils en tirent des outils et méthodes de communication qui permettent de mettre en place de manière fluide le suivi des patients en post-opératoire. En Picardie, par exemple, le dispositif Isipad organise l’intervention d’infirmières libérales au domicile de patients opérés en ambulatoire et favorise les échanges entre hospitaliers et libéraux.
En matière de relations entre infirmières libérales et hôpital, un sujet reste épineux : l’intervention de l’hospitalisation à domicile (HAD). Pour Philip Derleder, dans les zones de forte densité en infirmières libérales, « l’HAD est perçue plus comme une concurrence que comme un acteur complémentaire » pour prendre en charge les patients lourds. Et le fait que les infirmières libérales ne soient plus autorisées à effectuer les injections intraveineuses de fer à domicile, sauf dans le cadre d’une HAD, n’a rien arrangé (lire notre numéro 304 de juin dernier).
Comme le rappelle une circulaire de décembre 2013
Le fonctionnement de l’HAD varie en effet beaucoup d’une structure ou d’un territoire à l’autre, comme le pointe à demi-mots la circulaire de Marisol Touraine. Entre autres problèmes, la collaboration avec les infirmières libérales ne va pas forcément de soi. Tel infirmier détenteur d’un DU douleur n’apprécie pas de voir une HAD surveiller la pompe à morphine d’un de ses patients qui habite à 500 mètres de chez lui…
Certaines collaborations se passent pourtant bien. Stéphanie Bocquin a conclu avec la structure d’HAD de Bourg-en-Bresse une convention qui la satisfait complètement. « Nous gérons tous les soins de la journée, de 6 h 30 à 20 h 30, et eux la nuit, explique-t-elle. On connaît bien le secteur, les patients, les médecins, les pharmaciens qui nous fournissent le matériel. Les patients se sentent bien pris en charge. » Elle apprécie aussi la grande réactivité du service et le fait qu’aucun dégrèvement ne soit appliqué à sa tarification. Un point loin d’être systématique dans les conventions entre infirmières libérales et HAD.
Philip Derleder pointe également une contradiction de la circulaire : pour doubler la part du nombre de séjours hospitaliers effectués en HAD (de 0,6 à 1,2 %) d’ici 2018 et renforcer sa “pertinence”, elle préconise des restructurations de l’offre. Mais elle demande en même temps aux structures de s’assurer de leur accessibilité par l’ensemble de la population de leur territoire, tout en les invitant à « éviter (…) de retenir des territoires d’intervention à trop faible population »… « Si on n’a pas besoin d’HAD dans les campagnes, pourquoi en aurait-on besoin dans les villes ? », s’interroge alors l’infirmier. Pour lui comme pour bien des infirmières libérales, une meilleure coordination des professionnels de proximité pourrait avantageusement la remplacer, dans la plupart des cas et surtout, justement, dans les zones où les infirmières libérales sont nombreuses. « Les structures nous prennent trop souvent pour des exécutantes d’actes et, quand elles nous emploient, elles ne nous reconnaissent pas comme des coordinateurs au quotidien », ajoute Annick Touba.
Dans d’autres cas, l’intervention d’infirmières hospitalières à domicile pose a priori moins de problèmes. Celles de l’unité “plaies mobiles” de l’hôpital de Paimpol (Côtes-d’Armor) ne se rendent chez les patients qu’accompagnées par leur infirmière libérale et ne réalisent pas d’actes (lire l’encadré sur la page ci-contre).
La loi de santé, dont les orientations ont été présentées en juin par Marisol Touraine, vise à constituer un service territorial de santé au public dans lequel les professionnels seraient plus coordonnées. Le Sniil, notamment, regrette que les infirmières libérales ne soient pas citées expressément par la ministre. Mais Marisol Touraine a invité libéraux, hospitaliers et personnels médico-sociaux à proposer aux ARS des organisations qui s’inspirent des expérimentations déjà menées. La loi devrait également instaurer un « parcours organisé » dans lequel les professionnels seraient plus coordonnés, « en proximité ». La ministre a assuré que les ARS soutiendront les plateformes d’appui aux professionnels. « Demain, a assuré la ministre, chaque patient qui sort de l’hôpital se verra remettre le jour même une lettre de liaison », complémentaire du compte rendu d’hospitalisation et qui favorisera « le lien avec les professionnels de ville ». Le dossier médical, lui, deviendra un outil de coordination. Un rêve ?
(1) www.gpspb.fr
(2) www.vilhopain.fr
(4) Circulaire DGOS/R4/2013/398 du 4 décembre 2013 relative au positionnement et au développement de l’hospitalisation à domicile, petitlien.fr/circulaireHAD
Anecdote révélatrice livrée par Annick Touba (Sniil). « Le développement de la chirurgie ambulatoire constitue une opportunité pour les Idels, mais l’hôpital nous ignore encore beaucoup. J’ai vu un patient qui avait subi une petite intervention en ambulatoire retourner à l’hôpital se faire retirer l’extrémité des fils de suture. Une Idel aurait pu le faire. »
Entre les infirmières libérales et l’hôpital, un nouvel acteur a vu le jour : Prado, le service d’accompagnement du retour des patients à domicile après une hospitalisation – en maternité, après des opérations de chirurgie orthopédiques ou une hospitalisation pour décompensation cardiaque. En 2014, le dispositif doit s’étendre, géographiquement et à d’autres pathologies (broncho-pneumopathie chronique obstructive, plaies chroniques). Mais « est-ce à l’Assurance maladie d’assurer cette coordination ? », se demande Philip Derleder, infirmier libéral à Nice (Alpes-Maritimes). Annick Touba, du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux, estime qu’il n’est pas normal que l’organisme payeur organise la sortie d’hôpital. Elle regrette que le dispositif ne reconnaisse pas le rôle de coordonnateur des infirmières libérales et s’interroge sur le libre choix du patient (en théorie garanti). Philip Derleder pointe aussi l’absence de négociation sur la rémunération des actes réalisés dans ce cadre : « La charge de travail est plus grande avec peu ou pas de rémunération. » Il souligne également qu’en dehors des jours et horaires ouvrables, il est difficile de joindre un correspondant…
Quelles relations observez-vous entre les services hospitaliers et les Idels ?
Nous avons des systèmes très cloisonnés avec le monde de l’hôpital et les professionnels de santé libéraux. Il y a une grande méconnaissance entre hospitaliers et libéraux. Cela est préjudiciable aux malades.
Les critiques des Idels sur le rôle que tient l’HAD sur le terrain sont-elles justifiées ? L’HAD est un dispositif un peu hybride, entre hôpital et libéraux. En Bourgogne comme dans la plupart des régions, l’HAD n’est pas complètement bien positionnée. Les médecins traitants n’ont pas l’habitude de la prescrire, les médecins hospitaliers rechignent à voir sortir leur patient, les Idels ont l’impression qu’elle marche sur leurs platebandes, alors qu’ils n’interviennent pas sur le même registre de soins. Il faut dire que lors de la création de l’HAD, on a écarté les Idels… L’HAD devrait davantage s’appuyer sur les elles.
Comment améliorer les relations hôpital-Idels ? Nous croyons beaucoup à l’exercice coordonné entre professionnels. Nous constituons d’ailleurs des plateformes territoriales où un coordinateur met en relation les acteurs de la prise en charge. Un autre facteur clé réside dans les “territoires de soins numériques”, le partage entre tous les professionnels des données du malade. Avec les nouvelles technologies, on doit pouvoir communiquer plus facilement.
En Picardie, le dispositif Isipad (Intervention soins infirmiers post ambulatoire à domicile) consiste à faciliter le retour à domicile de certains patients particulièrement fragiles après des chirurgies ambulatoire précises (varices, hallus valgus…). Et à éviter les réhospitalisations. « Pour certains patients, le retour à domicile peut être très angoissant », constate Marie-Odile Guillon, présidente de l’URPS-infirmiers, à l’origine du projet soutenu par l’ARS. Au départ, début 2013, les médecins, cadres et infirmières de chirurgie ambulatoire à l’hôpital de Compiègne (Oise) et une quarantaine d’infirmières libérales ont appris à se connaître et échanger sur leurs besoins respectifs, les interventions effectuées, les techniques opératoires, les différents types d’anesthésie, les points clés à surveiller, l’évaluation de la douleur… Et ils ont défini un protocole.
Le chirurgien donne au patient le numéro d’Isipad et Marie-Odile Guillon l’oriente vers une infirmière libérale formée qui est prévenue, par l’équipe de l’hospitalisation, de la date de sortie et des besoins du patient. Celle-ci passe ensuite deux fois à domicile, le soir et le lendemain du retour. Elle évalue la douleur, surveille les suites de l’anesthésie, les pansements, rappelle les consignes et, surtout, elle rassure, insiste Marie-Odile Guillon. L’expérimentation, en cours d’évaluation, a duré un an et concerné un centaine de patients.
À Paimpol (Côtes-d’Armor), des infirmières du service des plaies chroniques se rendent parfois au domicile de certains patients sortant de l’hôpital. Une concurrence pour les libérales ? Pas du tout, assure Brigitte Le Naour, cadre supérieure de santé. Les infirmières de cette équipe, baptisée non sans humour “plaies mobiles”, se déplacent au domicile de certains patients tout juste sortis d’hospitalisation ou après l’une des consultations qu’elles assurent. Mais « elles ne se substituent pas aux infirmières libérales, elles assurent à domicile une supervision » du traitement des plaies complexes. Détentrices d’un DU plaies et cicatrisation, elles assurent un suivi (en prenant des photos transmises au chirurgien pour avis) et partagent des préconisations avec les libérales qui, elles, réalisent les pansements. Et elles se rendent toujours chez les patients en même temps que les libérales. Les infirmières de l’équipe “plaies mobiles” ne réalisent de pansement que dans le cadre de l’HAD ou, exceptionnellement, si une infirmière libérale le demande.