L'infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014

 

MÉDICAMENTS

Le débat

LAURE MARTIN  

Délivrer à des patients (qui y consentent) le nombre exact de médicaments nécessaires à la durée de leur traitement, telle est l’expérimentation lancée pour un an dans 75 pharmacies (choisies sur la base du volontariat) de quatre régions. Quatorze spécialités sous forme orale sèche seront ainsi distribuées(1).

Gilles Bonnefond

président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine

Cette mesure est-elle la meilleure solution pour faire des économies, lutter contre le gaspillage et la résistance aux antibiotiques ?

L’argument de l’antibiorésistance est un écran de fumée. Les antibiotiques sont conditionnés et quand dix comprimés sont mis dans une boîte, c’est que le médicament doit être pris pendant dix jours. Or il arrive qu’il y ait une distorsion entre le respect de l’AMM(2) et la prescription. Mais plutôt que de renforcer le couple médecin-pharmacien et laisser le soin au pharmacien de préciser la durée de la prescription, on lui demande de découper des boîtes de médicaments. Lorsqu’il reste des comprimés dans les boîtes, c’est généralement parce que le patient a arrêté son traitement trop tôt. Que je donne des comprimés en vrac ou dans des boîtes, le problème reste identique. La lutte contre l’antibiorésistance passe davantage par une meilleure communication de la part des acteurs de proximité et des pouvoirs publics.

S’agit-il du meilleur dispositif en termes de rémunération, d’organisation ?

Cette mesure ne correspond pas à la valorisation du métier de pharmacien et dégrade son image. On nous fait faire un travail supplémentaire expérimental, mais on sait déjà que la partie statistique sera inexploitable parce que le nombre de pharmacies volontaires n’est pas suffisant. Le pharmacien aura des boîtes entamées, des notices à photocopier, et devra retranscrire les indications. C’est du bricolage, on est dans l’inefficacité. Il faudra mettre beaucoup d’argent sur la table pour financer le temps perdu. La rémunération des pharmaciens volontaires est actuellement symbolique car elle est de 1 500 euros pour l’année. Mais elle était nécessaire pour avoir des volontaires.

Cette mesure aura-t-elle des conséquences pour les autres professionnels de santé comme les infirmières libérales ?

Pour les infirmières libérales qui font des préparations de doses administrées à domicile, devoir se débrouiller avec des médicaments en vrac ne sera pas forcément très facile à gérer. Actuellement, le nom du médicament, la DCI(3), tout est inscrit sur la boîte. Avec cette expérimentation, les Idels vont se retrouver avec des blisters et des noms qui risquent d’être découpés. Il peut y avoir des erreurs.

Philippe Besset

vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

Cette mesure est-elle la meilleure solution pour faire des économies, lutter contre le gaspillage et la résistance aux antibiotiques ?

Je ne sais pas encore. J’ai été formé dans une démarche scientifique et la proposition faite par les autorités de santé est de faire une expérimentation pour vérifier si la vente de médicaments à l’unité est la meilleure solution. Je trouve présomptueux et contraire à une démarche scientifique de tirer des conclusions avant de tester. Néanmoins, on est très favorable à cette expérimentation, notamment parce que les pharmaciens font déjà de la vente à l’unité pour deux catégories de médicaments : la morphine et les traitements destinés aux enfants hyperactifs. Et il ne vient à l’idée d’aucun pharmacien de dire que c’est une mauvaise chose. J’ai néanmoins l’impression que les boîtes de médicaments sont généralement adaptées à la prescription. Mais peut-être est-ce propre à ma région ! Cette expérimentation permettra également de mesurer l’acceptation de cette mesure par la population.

S’agit-il du meilleur dispositif en termes de rémunération, d’organisation ?

On était favorable à un paiement à l’acte, du temps de travail supplémentaire nécessaire pour mettre en œuvre cette mesure. On l’a chiffré à 1 euro par jour par patient. C’est un calibrage qui nous paraît raisonnable. Tout en étant d’accord avec notre chiffrage, les responsables ont trouvé cela compliqué à mettre en œuvre. Ils ont donc regardé le nombre de dispensations moyennes par pharmacien concernant ces molécules et ont estimé qu’un forfait de 1 500 euros pour l’année était adapté. Après l’expérimentation, on verra si c’est le cas.

Cette mesure aura-t-elle des conséquences pour les autres professionnels de santé comme les infirmières libérales ?

Les quatorze molécules concernées sont généralement prescrites lors de pathologies aiguës pour lesquelles le recours à l’Idel n’est que rarement nécessaire. Mais si c’est le cas et qu’elle prépare les doses, elle aura un nombre exact de comprimés au lieu de boîtes. Pour moi, cela n’a aucun impact, ou du moins pas plus que la dispensation actuelle des médicaments les plus sensibles de la pharmacopée comme les comprimés morphiniques.

(1) Décret paru le 16 septembre au Journal officiel. Un arrêté publié à la même date précise la liste des médicaments concernés.

(2) Autorisation de mise sur le marché (AMM).

(3) Dénomination commune internationale (DCI).