Aurélie Seniuta, cadre de santé en transplantation au CHU de Bordeaux (Gironde)
La vie des autres
Responsable d’un service de dialyse péritonéale puis cadre de santé en transplantation, Aurélie Seniuta est en contact très régulier avec les infirmières libérales et vit au quotidien les relations entre la ville et l’hôpital. Y compris dans la lutte contre les préjugés.
« Je crois que j’ai toujours voulu être infirmière », confie d’emblée Aurélie Seniuta. Après un bac littéraire, elle entre donc à l’Ifsi de l’hôpital de Bordeaux, d’où elle sort diplômée en 1999.
Elle accepte un peu par hasard un poste dans le centre de dialyse d’une clinique privée : « Je voulais entrer à l’hôpital mais on ne me proposait que des postes très techniques avec des patients inconscients, ce qui ne me convenait pas. » Au bout d’un an en service d’hémodialyse, un poste se libère en dialyse péritonéale - technique de dialyse plus légère qui permet l’épuration du sang en utilisant le péritoine du patient comme filtre grâce à des soins quotidiens à domicile. « C’est un tout petit service où il n’y a qu’une seule infirmière et un seul médecin en même temps. Mon rôle était surtout d’informer les patients et les médecins traitants, de former les Idels aux techniques de soins et de suivre les prises en charge à domicile. » Puis elle intègre l’école des cadres de santé de Bordeaux en 2010. « J’avais commencé à prendre des responsabilités en dialyse et je souhaitais continuer. » Elle entre par la suite au service de transplantation rénale du CHU de Bordeaux. « Cette place s’est libérée juste quand j’ai obtenu mon diplôme, il y a donc eu comme une évidence avec mon parcours. » Depuis, elle travaille dans ce service de médecine qui accueille, quelques jours avant et après leur opération, les patients en attente d’une greffe de rein, mais aussi les patients atteints de rejets chroniques de greffon ou de complications de leur greffe.
Une part importante du travail d’Aurélie Seniuta a donc longtemps été le contact quotidien avec les infirmières libérales s’occupant de la dialyse péritonéale. Elle a tout d’abord appris à les convaincre de faire un soin peu connu. « J’ai dû “vendre” la dialyse péritonéale parce que c’était une technique peu connue et qui avait mauvaise presse, notamment chez les médecins traitants. C’est en discutant avec les infirmières libérales que j’ai compris quels arguments étaient pertinents : au-delà des questions strictement techniques, on doit les aider à intégrer dans leur tournée les contraintes horaires de ce soin, et leur parler de la cotation (lire l’encadré). J’ai un parcours de salariée : au début, ce sont des choses auxquelles je ne pensais pas, et les libérales, elles, n’osaient pas me poser la question. » Elle apprend aussi à les rassurer en leur disant qu’elles ne sont pas seules et qu’un médecin est de garde en permanence. « Venant de structure de soins, cela me semblait une évidence, mais j’ai découvert avec elles que ça ne l’était pas forcément. » Enfin, elle les rencontre donc une par une pour une formation à la technique de soins proprement dite. « Franchement, j’ai adoré ça ! C’est vraiment passionnant, l’exercice intellectuel de se demander comment adapter un soin que l’on fait dans un environnement aseptique aux conditions réelles du domicile. Évidemment, cela demande de laisser vraiment une place à la libérale pour s’exprimer mais, au final, l’échange est très enrichissant pour tout le monde ! » Elle découvre aussi l’implication personnelle des libérales auprès des patients. « Le seul reproche qu’on m’ait fait a été de ne pas assez appeler les libérales lorsque les patients étaient hospitalisés. Effectivement, comme les médecins traitants, je ne les appelais que pour les grandes étapes des soins, mais je ne faisais pas de retours réguliers… J’ai compris avec le temps que la relation tissée par les libérales avec un patient qu’elles voient trois fois par jour va souvent au-delà du rapport professionnel, et qu’elle est donc forcément différente. Cependant, je me suis aperçue que celles qui m’ont fait ce reproche ne m’appelaient pas non plus. Je crois que des barrières culturelles existent des deux côtés. »
Dans le service de transplantation où elle travaille aujourd’hui, les contacts avec les libérales sont moins fréquents car les patients, bien que malades chroniques, sont plus jeunes et autonomes. « Je cherche des infirmières libérales quand la prise en charge ne nécessite que des soins légers, sinon je fais appel à des prestataires qui ont leurs propres réseaux d’infirmiers, ou, plus rarement, à l’hospitalisation à domicile. » Elle découvre en revanche des barrières inattendues. « Je suis toujours choquée quand j’entends à l’hôpital l’idée - trop répandue - que “les libérales ne connaissent forcément rien à la pathologie”, parce que je sais bien que c’est faux, et on prend rarement la peine de les interroger ! Au fond, c’est dommage qu’il n’y ait pas plus de curiosité des équipes hospitalières pour leurs collègues libérales, je suis sûre que cela éviterait bien des incompréhensions. Par exemple, je sais par expérience qu’on ne peut pas aussi facilement chambouler toute une tournée de libérale d’une heure à l’autre, juste parce que l’hôpital veut faire sortir quelqu’un. Cela demande tout de même un peu de temps pour s’organiser et, non, ce n’est pas de la mauvaise volonté ! Au final, avec quelques explications très simples, tout le monde finit par comprendre les contraintes de l’autre et les conflits se résolvent, mais ce n’est jamais une démarche spontanée. »
« J’ai toujours eu de bons rapports avec les Idels, souvent très disponibles, conciliantes et motivées, et qui savent s’adapter aux demandes du patient. En dix ans, je n’ai eu de problème qu’avec un seul cabinet qui ne jouait pas le jeu et dont les infirmières n’étaient pas régulières dans les horaires. Mais, avec la dialyse péritonéale, on ne peut pas tricher, et cela s’est vite résolu. Les Idels connaissent aussi très bien leurs patients et leur mode de vie, ce qui m’aide pour connaître le versant social des prises en charge, et ainsi anticiper certains problèmes. Mais, pour cela, je dois souvent aller chercher les informations parce que les infirmières libérales appellent rarement les services. C’est comme si elles attendaient nos appels alors qu’elles devraient s’imposer davantage et mettre en valeur leur savoir qui est précieux. »
Une séance de dialyse péritonéale à domicile consiste à vidanger puis à remplir de nouveau la poche péritonéale du patient avec un liquide de dialysat. Pour cela, le patient est porteur d’un cathéter abdominal de dialyse (qui fait la communication entre le péritoine du patient et l’extérieur) nécessitant un pansement régulier. En moyenne, le patient suit trois ou quatre séances de dialyse de quatre heures par jour et il faut donc autant de passages infirmiers d’une durée approximative de trente minutes, à horaires fixes. Chaque passage est coté AMI 4. Pour prendre en charge des dialyses péritonéales, il faut laisser ses coordonnées professionnelles dans un centre de dialyse qui pratique ce type de soins. Si un patient n’a pas d’infirmier “attitré”, c’est le centre qui appellera l’infirmière libérale et effectuera la formation à ce moment-là. La formation aux soins est gratuite et dure une à deux heures.